Politique
Reportage au cœur du meeting de Louis Boyard
C’est dans une salle comble de Villeneuve-Saint-Georges, sous la lumière des projecteurs et au son des applaudissements, que je me suis rendue au meeting de Louis Boyard pour Frontières Média, hier soir. L’ambiance était électrique et les slogans scandés avec engouement, mais au fil des échanges avec les participants, un détail frappant s’est imposé : l’enthousiasme ne semblait pas nécessairement accompagné d’une réelle connaissance des profils de la liste.
Organisée à quelques jours des élections municipales partielles prévues dimanche, la mobilisation battait son plein. C’est dans cette salle que Mamadou Traoré, initialement pressenti pour être tête de liste, a ouvert le bal. Le militant insoumis, relégué à la 3ᵉ place par la direction du mouvement au profit de Louis Boyard, a entamé son discours avec une citation de Thomas Sankara, souvent surnommé le « Che Guevara africain » :
« La révolution démocratique et populaire a besoin d’un peuple convaincu et non d’un peuple de vaincus. ».
”
Cette phrase a servi de fil conducteur à son intervention, où il a mis en avant son parcours de vie et ses engagements locaux. Né à Villeneuve-Saint-Georges, le candidat a raconté son attachement à la ville, ses souvenirs de jeunesse et ses actions associatives, comme la distribution de petits-déjeuners gratuits dans les écoles.
Cependant, il est à noter qu'il a également affirmé son soutien sans réserve aux candidats controversés de la liste. Il a en effet déclaré : « Nous les soutiendrons quoi qu’il se passe ! ». Une prise de position qui, loin de rassurer, soulève des questions sur les valeurs défendues au sein de cette campagne municipale.
Une liberté de la presse malmenée
Tandis que je me fondais dans la foule, mes collègues journalistes, dont Jordan Florentin, venus couvrir l’événement, ont été accueillis par des militants en rangs serrés, téléphones à la main, prêts à immortaliser chaque mouvement. Les invectives ont fusé : « Fachos ! », « Extrême droite ! », accusations répétées avec une intensité déconcertante. Même le cadreur, resté à bonne distance, n’a pas été épargné : « Toi aussi t’es un facho ?? ». Ce dernier, malgré son rôle purement technique, a été qualifié de « facho » sans autre forme de procès, étant au même moment filmé par plusieurs téléphones.
Ambiance survoltée autour de Jordan Florentin, accusé d’être LE responsable des « mensonges de Frontières Média ». Un militant me glisse : « Faut lui mettre une tape, gentil, gentil. » Un autre : « Ils sont là pour casser les couilles. ». La liberté de la presse version LFI. Malgré cette hostilité manifeste, mes collègues n’ont pas reculé. Revenus à la fin du meeting pour poser leurs questions, ils ont tenu tête aux provocations.
L’attitude de certains militants allait au-delà de la simple hostilité : ils semblaient se galvaniser à l’idée de « tenir tête » à ceux qu’ils percevaient comme des ennemis. Pourtant, lorsque je les ai interrogés sur les profils controversés de la liste, les contradictions sont vite apparues.
« Je peux pas te dire si c’est vrai ou pas. », avoue finalement l’un d’eux. Mon constat : « Personne n’a l’air de savoir qui sont ces candidats, c’est dommage de ne pas se renseigner sur les gens pour qui on vote. » À cela, je n’ai obtenu aucune réponse.
Frontières dans toutes les bouches
Un détail révélateur de la soirée : Frontières Média était omniprésent dans les conversations. Même un journaliste de Libération souhaitant recueillir les impressions d’un sympathisant non loin a reçu cette réponse : « Vous n’êtes pas de chez Frontières, vous ? » La réponse, rapide et rassurante : « Ah non, non, monsieur, nous c’est Libération. ». Une distinction marquée entre le camp du bien et ... les autres.
Des soutiens mal informés
À l’intérieur, l’ambiance était tout autre. La salle vibrait d’une énergie palpable : applaudissements nourris, slogans scandés, drapeaux agités. Rapidement, je me rends compte que les gens présents n’ont pas la moindre idée de la composition de la liste. Ce qui devient vite évident, c’est qu’ils ne sont pas là pour Boyard ou sa liste. Ils sont venus voir le show Mélenchon. Et lui, fidèle à lui-même, a transformé Villeneuve-Saint-Georges en décor de campagne pour ses ambitions présidentielles.
Lorsque j’ai mentionné les révélations de Frontières Média sur Mohammed Ben Yakhlef — 7ᵉ sur la liste, accusé d’apologie du terrorisme — et Adel Meddour — 23ᵉ, dont le casier judiciaire inclut extorsion avec violence et intrusion armée dans une école —, la réponse a été la même à chaque fois. Entre ceux qui n’avaient jamais entendu parler de ces noms : « Je ne sais pas qui c’est », et ceux qui rejetaient en bloc les accusations : « Ils mentent. C’est des conneries. », un dénominateur commun a émergé : une ignorance délibérée. Certains tentaient d’esquiver avec des réponses vagues : « Ils mentent, ils mentent. », « Non, ils ont extrapolé. ».
Face à mon insistance sur les faits : « Vous n’avez pas cherché à savoir si c’était vrai ? », la réponse, d’un calme désarmant, fut : « Non. ». Quant à la gravité des faits reprochés, certains se réfugiaient derrière une minimisation hasardeuse : « Après, y’a casier et casier. ». Une formule bien commode pour relativiser des accusations pourtant graves. Plus étonnant encore, à la mention des accusations d’apologie du terrorisme visant à Mohammed Ben Yakhlef, un militant m’a rétorqué : « Après chacun a sa définition. Est-ce que c’est un mouvement de résistance ou non ? ».
Louis Boyard : attaquer pour mieux esquiver
Louis Boyard, vedette de la soirée, a poursuivi dans la même direction. Son discours, ponctué d’attaques contre l’extrême droite et les médias, a soigneusement évité les accusations visant certains membres de sa liste :
« Tous ces petits bourgeois de CNews, qui n’ont jamais mis le pied dans une ville populaire, inventent un grand remplacement, inventent un communautarisme. ».
”
Boyard a également affirmé que :
« Quand vous avez une liste comme celle-là, qui raconte la fierté des habitants des quartiers populaires… on montre la vérité à la France. »
”
Mais cette vérité, semble-t-il, exclut tout ce qui pourrait ternir le tableau.
Il a poursuivi en évoquant l’histoire coloniale de la ville :
« Il faut comprendre que Villeneuve-Saint-Georges, c’est une ville dans laquelle il y a 120 nationalités. Pour beaucoup, l’histoire de la colonisation, c’est une histoire familiale douloureuse qui a été racontée par les parents, les grands-parents. Pour moi, c’est l’école qui m’a raconté les horreurs de l’histoire pour que jamais on ne les reproduise. »
”
Ce détour historique et émotionnel a servi à renforcer un sentiment d’unité et d’appartenance, mais une fois encore, aucune mention des révélations gênantes sur les candidats.
Le député insoumis a également dirigé ses critiques vers ses adversaires habituels :
« Tout le monde a vu l’offensive grossière des médias de Bolloré contre nous. Et l’extrême droite, elle nous attaque parce que tous ces petits bourgeois de CNews cherchent à inventer un grand remplacement, cherchent à inventer un communautarisme. Sauf que ça n’existe pas. Parce que nous, on y vit, donc on le sait. »
”
Cette rhétorique accusatrice n’est pas nouvelle, mais elle a une fonction claire : détourner l’attention des critiques légitimes envers les profils controversés de la liste. Boyard parle de « mensonges » des médias, alimentant chez ses sympathisants l’idée que les révélations de Frontières Média ne sont que des fabrications.
Fadwa Sadak : Un discours identitaire pour éluder les critiques
Sur scène, Fadwa Sadak, keffieh sur les épaules et deuxième sur la liste, a livré un discours enflammé :
« Cette semaine, des voix haineuses s’élèvent pour critiquer notre liste. Des médias d’extrême droite, adeptes de la manipulation et de la division, nous reprochent ce que nous sommes, des citoyens français, héritiers de l’histoire de l’immigration. »
”
Mais plutôt que de répondre sur les accusations factuelles concernant Mohammed Ben Yakhlef ou Adel Meddour, elle a préféré déplacer le débat sur un terrain identitaire, insinuant que les critiques relèveraient du racisme. Une stratégie habile pour mobiliser un public déjà acquis.
Un incident lunaire : « Mademoiselle », l’insulte suprême ?
À l’extérieur de la salle, mes collègues tentaient d’interviewer des sympathisants. Une femme, manifestement agitée, lançait à répétition des accusations d’« Extrême droite ! ». Jordan, calme et respectueux, lui a simplement répondu par un courtois : « Mademoiselle. » Ce mot anodin, employé dans une tentative de maintenir une conversation civilisée, a eu l’effet d’une allumette jetée sur un baril de poudre.
Ismaël El Hajri, collaborateur parlementaire de Louis Boyard, qui était à ses cotés et qui invectivait également Jordan, s’est alors précipité pour enfoncer le clou : « Alors voilà pourquoi pourquoi vous êtes d'extrême-droite ! Parce que vous êtes sexiste ». La scène, surréaliste, rappelait immédiatement un autre moment de grandiloquence politique : la fameuse séquence entre Manon Aubry et Julien Odoul autour d’un simple verre d’eau. Ici, un mot aussi anodin que « Mademoiselle » est devenu une preuve irréfutable de fascisme et de sexisme, et un outil de disqualification.
Mais dans cet épisode-ci, le décalage est encore plus frappant. Qu’un simple « Mademoiselle » puisse être interprété comme un signe idéologique, montre jusqu’où certaines sensibilités militantes peuvent aller pour entrer en contradiction. Ce qui aurait pu être un débat, s’est rapidement mué en un tribunal d’intimidation verbale. Une scène révélatrice, non seulement, d’un climat d’hostilité, mais aussi d’une incapacité à tolérer la moindre forme de désaccord.
Rappelons que ce même Ismaël El Hajri, loin d’être un inconnu, est régulièrement pointé du doigt pour ses prises de position radicales et ses affiliations militantes. Défenseur déclaré du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) et de BarakaCity, deux associations dissoutes en 2020 pour leurs liens présumés avec des mouvances islamistes, El Hajri a dénoncé ces décisions comme des attaques injustifiées contre les musulmans. Dans un billet publié sur Mediapart, il les qualifie d’injustices, s’insurgeant contre ce qu’il considère comme « l’islamophobie d’État ».
Co-organisateur de « balades décoloniales », il a milité en 2019, pour la débaptisation de rues portant des noms liés au passé colonial français. Peut-on prôner l’universalité tout en s’entourant de figures aussi polarisantes ? Ce choix de collaborateurs renforce l’image d’un militantisme rigide, où la contradiction est diabolisée et le débat évacué. L’incident du « mademoiselle » illustre à merveille cette posture : tout est interprété sous le prisme de l’idéologie, au détriment du bon sens.
Une fin laborieuse avec la Marseillaise
Dernier acte : une tentative de chanter La Marseillaise. Un moment visiblement pénible pour quelques candidats. L’image parlait d’elle-même. Certains semblaient mal à l’aise avec cet hymne républicain, contrastant avec leur aisance à brandir des Keffiehs.
Une soirée de contradictions
Ce meeting a mis en lumière un double paradoxe : une salle animée par une ferveur indéniable, mais où la méconnaissance des profils de la liste était flagrante, et des intervenants plus enclins à cibler leurs détracteurs qu’à répondre aux interrogations légitimes. Entre les intimidations réservées aux journalistes, les débats soigneusement évités et une certaine complaisance face à des accusations graves, cette soirée a montré à quel point les principes républicains peuvent aisément être relégués au second plan. Malgré l'hostilité réservée à mes collègues, mon anonymat m’a valu un accueil courtois, ajoutant une nuance inattendue à cette soirée pleine de contradictions.
À lire aussi : En meeting, Louis Boyard réaffirme son soutien à son candidat pro-Hamas et à son candidat délinquant
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