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Alexandre Cormier-Denis : « On pourrait assister, dans les années à venir, à une Europe et une France encore plus liberticides ! »
Quelles sont les causes de la chute de Justin Trudeau ?
Depuis au moins un an, les sondages pour Justin Trudeau sont désastreux, voire plus. Cette situation a engendré un mécontentement croissant au sein même de son parti. De nombreux députés libéraux ont commencé à réclamer sa démission, craignant les conséquences des élections législatives fédérales prévues au plus tard en octobre 2025. Dans le système parlementaire britannique, il reste toutefois possible d’organiser des élections anticipées. Cette éventualité est d’autant plus plausible que le gouvernement libéral de Justin Trudeau, minoritaire, ne tient qu’en raison de son alliance avec un parti socialiste.
Le mécontentement interne s’est amplifié, plusieurs députés exprimant leurs inquiétudes : si les élections se déroulaient sous la direction de Justin Trudeau, ils risqueraient de subir une défaite cuisante, menaçant leurs propres sièges. Certains ont alors appelé à trouver un autre leader. Cette crise a atteint son paroxysme lorsque Chrystia Freeland, ministre des Finances, a annoncé sa démission à seulement 12 heures d’une importante mise à jour économique. Ce départ a laissé le gouvernement sans ministre des Finances à la veille d’une conférence de presse cruciale, exacerbant encore la situation.
Face à cette accumulation de pressions et après une réflexion durant les fêtes de fin d’année, Justin Trudeau a finalement décidé de quitter ses fonctions. Il a officiellement annoncé sa démission, mais il reste premier ministre en attendant que le Parti libéral du Canada désigne un nouveau chef. Cette transition laisse le parti dans une position délicate, devant gérer à la fois la succession et une préparation électorale complexe.
Un homme commence à faire parler de lui, bien qu'il ait été jusque-là peu connu en France : Pierre Poilievre, les médias français le présentent comme une sorte de « Trump 2.0 », mais j'imagine que la réalité est un peu plus nuancée ?
Pierre Poilievre est souvent présenté comme une sorte de populiste canadien. Pourtant, il se distingue nettement de Donald Trump par son parcours et son style politique, étant davantage un politicien classique. Engagé très tôt en politique, il est membre du Parti conservateur, l’un des deux grands partis qui alternent historiquement au pouvoir au Canada.
Pour bien comprendre la politique canadienne, il est important de dépasser les noms des partis et de se pencher sur leurs idéologies. Le Parti conservateur, bien que portant ce nom, est en réalité un parti libéral, notamment en matière économique et individuelle. Il défend la liberté économique et individuelle, mais se montre peu conservateur sur les plans moral et identitaire. C’est un parti qui prône une immigration importante, correspondant aux besoins du patronat, et accueille favorablement tous ceux qui contribuent à l’économie du pays. Ainsi, malgré son appellation, le Parti conservateur est fondamentalement libéral dans son approche.
De l’autre côté, le Parti libéral, qui a historiquement été le plus souvent au pouvoir, s’apparente désormais à un parti social-démocrate. Cette distinction est cruciale pour éviter de se laisser berner par des noms qui ne reflètent pas toujours les réalités idéologiques.
Pierre Poilievre, leader du Parti conservateur, est donc un libéral classique. Son discours repose sur un retour au « bon sens » face à ce qu’il perçoit comme les excès du gouvernement Trudeau. Selon lui, les dix années du régime Trudeau ont été marquées par une dépense publique excessive et des politiques idéologiques, notamment sur les plans écologique et socialiste. Son positionnement reflète une volonté de rupture avec ces orientations, en prônant des politiques plus pragmatiques et économiquement libérales.
Quel avenir pour le Québec ? Pensez-vous que tous ces bouleversements, qu’il s’agisse de l’influence de Trump, qui évoque l’idée de faire du Canada le 51ᵉ État, ou encore de la chute de Trudeau, pourraient favoriser une éventuelle indépendance du Québec ?
Il est difficile de prédire l’avenir, notamment en ce qui concerne les enjeux économiques et politiques complexes auxquels le Québec est confronté. La guerre tarifaire que Donald Trump laisse entrevoir pourrait en être un exemple significatif. Il est connu pour sa stratégie de déstabilisation de ses partenaires commerciaux, et la menace d’imposer des tarifs de 25 % sur certains produits fait partie de son approche pour renégocier le libre-échange au profit des États-Unis. Cependant, il reste incertain si ces tarifs seront réellement mis en place.
Historiquement, le mouvement indépendantiste québécois a toujours été favorable au libre-échange avec les États-Unis. La raison est simple : cela permet de « décanadianiser » l’économie québécoise. En favorisant des relations commerciales nord-sud avec les États-Unis, le Québec pourrait réduire sa dépendance économique envers le reste du Canada anglophone. Ce désenclavement économique a toujours été perçu comme un levier pour renforcer l’autonomie du Québec.
En ce qui concerne la souveraineté, le Québec se trouve dans une situation particulière. Deux référendums ont déjà été tenus sur la question de l’indépendance, mais le mouvement souverainiste n’a jamais su s’assurer de la mise en œuvre concrète de ces consultations, en cas de victoire. À ce jour, le soutien à l’indépendance reste relativement stable, oscillant entre 30 et 40 % selon les périodes. Actuellement, il se situe autour de 38 %, ce qui suggère que, dans l’hypothèse d’un nouveau référendum, le mouvement souverainiste risquerait une nouvelle défaite. Cette stagnation dans les appuis représente un défi majeur pour le projet indépendantiste.
Pensez-vous qu’un véritable retour de la liberté d’expression puisse se concrétiser un jour ? Et est-ce que le rôle d’Elon Musk, la victoire de Trump et une succession d’événements pourraient permettre d’instaurer un climat où l’on pourra enfin s’exprimer librement en Europe ?
Il est important de considérer les réactions psychologiques et politiques qu’une droitisation des États-Unis pourrait engendrer à l’échelle internationale. Il est tout à fait possible que cette évolution suscite une réaction inverse en Europe, notamment sur des questions comme la liberté d’expression. C’est un phénomène déjà observable dans les rapports des commissaires européens, ainsi que dans l’attitude de la classe politique européenne et française vis-à-vis de certaines plateformes, comme le réseau social X. De nombreux utilisateurs quittent ce réseau, car ils rejettent la liberté d’expression qu’il promeut. Ce qu’ils cherchent, c’est davantage de restrictions au nom de la lutte contre la haine, la désinformation, et d’autres causes souvent mises en avant par une gauche autoritaire favorable à la censure.
La réélection éventuelle de Donald Trump pourrait exacerber cette tendance liberticide en Europe. Une telle victoire pourrait radicaliser les politiques européennes, en réaction aux "Rednecks américains" ayant soutenu Trump. On pourrait alors assister, dans les années à venir, à une Europe et une France encore plus liberticides, se positionnant en opposition idéologique claire face aux États-Unis dirigés par un mouvement national-conservateur et populiste. Cette hypothèse, bien que spéculative, ne doit pas être écartée.
Cependant, le contraire pourrait également se produire. L’intervention de figures influentes comme Elon Musk, qui s’implique ouvertement dans les affaires politiques européennes, pourrait jouer un rôle significatif. Par exemple, Musk a affiché son soutien à l’Alternative für Deutschland (AfD) en Allemagne. Il est envisageable que des oligarques proches de la droite financent des mouvements favorisant une plus grande liberté d’expression, une critique renforcée de l’immigration et une remise en question des structures fédérales européennes. L’Union européenne, perçue comme une fédération inachevée au statut encore flou, pourrait devenir une cible privilégiée de ces nouvelles dynamiques politiques.
Ces deux scénarios reflètent des avenirs possibles, l’un liberticide, l’autre plus libéral, chacun dépendant des forces en présence et de leur influence sur les politiques européennes et nationales.
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