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Ukraine : pour Frontières, un volontaire français dans l’armée ukrainienne témoigne en exclusivité de la débâcle sur le front de Pokrovsk
Un témoignage choc et désabusé. Frontières a pu entrer en contact direct avec un combattant volontaire français au sein de l’armée ukrainienne. Ce combattant, sous le pseudonyme de Georges, nous a raconté l’enfer de la bataille de Pokrovsk, dans l’oblast de Donetsk (Donbass), dans l’est du pays. Car il s’agit bien là d’un véritable enfer, nous confie le soldat, arrivé en Ukraine en août 2024. Pour le volontaire du 23ᵉ bataillon des opérations spéciales, la situation de son unité est aussi limpide que terrifiante : « Depuis notre déploiement à Pokrovsk le 2 janvier dernier, notre bataillon a été décimé en seulement dix jours. Les pertes s’élèvent à plusieurs dizaines de morts et de blessés, plus de 60 % du bataillon mis hors de combat en quelques jours. » nous explique Georges.
Pourquoi un tel niveau de pertes ?
Parce qu’il s’agit d’une guerre essentiellement dite d’attrition, c’est-à-dire d’usure. Et, à cet égard, Georges a des révélations à faire à Frontières.
La brigade Anne de Kiev, formée en France, abandonne ses positions
En effet, le volontaire français nous explique que son unité, le 23ᵉ bataillon des opérations spéciales donc, est quasiment seule à tenir ses positions. Les unités voisines, dont la 155ᵉ brigade mécanisée, dite brigade Anne de Kiev – qui avait déjà défrayé la chronique lors de sa formation militaire en France lorsque certains de ses soldats avaient déserté – ont abandonné leurs positions autour de Pokrovsk, à l’est, près de l’autoroute stratégique de Kotlyne, objectif principal des Russes à Pokrovsk.
« Ils se sont tous carapatés » résume Georges, amer.
La brigade Anne de Kiev a vu près de 1 700 de ses 5 000 soldats déserter dès l’arrivée au front, avant que ce qui restait de la brigade soit en grande partie démantelée. Georges nous décrit une situation apocalyptique sur ce front : « Ce n’est pas romanesque ce que nous vivons : 99 % d’attrition, de frappes d’artillerie et de drones, pour seulement 1 % d’assaut », tient à nous expliquer le combattant français. Une violence inouïe qui ébranle même l’homme à la voix grave et basse avec qui nous nous entretenons, profondément marqué par ce qu’il a vu et ce qu’il a vécu.
Des ordres criminels de la part de la hiérarchie ukrainienne
Plus que tout, Georges tient à nous raconter la façon dont certains officiers supérieurs ukrainiens « gèrent » la guerre. « Ils nous envoient au casse-pipe. Il y a un mélange chez ces officiers-là d’incompétence et de carriérisme, maquillé en patriotisme. Ils appliquent avec nous la stratégie du ‘’dos d’âne humain’’ : ralentir l’avancée ennemie quitte à se servir de leurs propres soldats comme des ‘’ralentisseurs’’ en les sacrifiant. Cela leur permet de justifier leurs ‘’objectifs’’ soi-disant tenus auprès de l’état-major de l’armée ukrainienne. C’est criminel ! » s’indigne le combattant français. Celui-ci explique que les officiers subalternes (chefs de compagnies, de sections) tentent du mieux qu’ils peuvent d’atténuer la portée de ces ordres, trop conscient qu’ordonner, par exemple, la tenue coûte que coûte d’une position sous un déluge de feu ennemi, avec un ratio de un défenseur ukrainien contre huit assaillant russes, est à la fois criminel et inutile tactiquement, car envoyant des soldats à la mort pour… rien, les Russes finissant par submerger inévitablement les positions ukrainiennes.
Quand nous lui demandons la ou les raisons de cet entêtement d’une partie de sa hiérarchie militaire, Georges nous explique : « Il faut aussi se mettre dans la mentalité de ces officiers supérieurs : beaucoup d’entre eux ont encore une vision soviétique de la guerre, ou la vie humaine n’a guère d’importance, ou l’on doit tenir sa position coûte que coûte, selon la vision stalinienne du « plus un pas en arrière », quitte à faire de son propre corps un rempart humain contre l’ennemi. »
Désorganisée, isolée, l’unité du combattant français, composée en grande partie de volontaires colombiens, utilisés comme « de la chair à canon », tente de tenir comme elle peut. « En quatre jours, ma section a été entièrement décimée, car envoyée sur une position ennemie imprenable et intenable », nous raconte le soldat, qui estime l’espérance de vie sur ce type de positions de « 24, grand maximum 48 heures », avant d’être détecté via des caméras thermiques et « traité » par l’artillerie ou les drones ennemis. « Nous avons été projeté en zone dite ‘’rouge’’ au sein du dispositif ennemi pour ralentir les Russes en tenant des positions déjà perdues, exposées, sans couvertures d’arbres ou d’éléments naturels. » nous détaille-t-il. « C’est un véritable massacre à ciel ouvert. Autant aller sciemment et directement dans une embuscade », décrit le Français.
Georges nous signale que des tirs fratricides entre militaires ukrainiens ont aussi été relevé, ce qui appuie la thèse d’une défaillance du commandement.
Le volontaire résume la situation par une citation du colonel Denis Merzlikin, commandant la 32ᵉ brigade mécanisée, brigade à laquelle le 23ᵉ bataillon des opérations spéciales a été intégré récemment : « C’est un ticket aller simple ».
Comprendre : un aller simple vers la mort.
Auprès de Frontières, Georges met directement en cause cet officier supérieur « peu scrupuleux », coupable à ses yeux « d’ordres criminels », tenant d’une « défense sacrificielle absurde », et qui aurait construit sa carrière sur le narratif d’une blessure de guerre. Le Français nous explique que plusieurs officiers subalternes, dont un commandant de compagnie de son bataillon, ont tout tenté pour essayer de sortir les camarades de Georges de cet enfer, quitte parfois à minimiser, voire ignorer les ordres qui leur étaient donnés. Georges nous affirme qu’il a « assisté en direct depuis le poste de commandement à ces ordres criminels du colonel Merzlikin : il n’envisageait aucune évacuation, et laissait sciemment des soldats hors de combat sur des positions exposées pour prétendre les occuper ».
Au moment où nous achevons l’écriture de ces lignes, le repli tactique des unités restantes tenant Pokrovsk a débuté pour éviter un encerclement de la ville par l’armée russe.
La corruption, autre défaillance de l’armée ukrainienne
Georges nous explique que ce qui mine aussi la défense de Pokrovsk et la bonne tenue de cette partie de la ligne de front, c’est la corruption. À cet égard, le volontaire français nous raconte que des affaires de corruption liées à la construction de fortifications autour de la ville ont entaché la réputation de l’armée ukrainienne. Un officier du renseignement militaire ukrainien, pseudonyme « Piligrim », avait dénoncé le détournement de fonds alloués à la fortification de Pokrovsk par des militaires ukrainiens. Coût du détournement selon cet officier : environ 483 millions de dollars (20,1 milliards de hryvnias ukrainiens), un coût corroboré par une enquête de nos confrères du Financial Times.
Ces fortifications, mal conçues et mal organisées, ont probablement joué un triste rôle dans la chute prochaine de Pokrovsk aux mains de l’armée russe.
L’armée ukrainienne obligée de « racler les fonds de tiroir »
Devant l’accumulation de pertes et de désertions qui dégarnissent les rangs ukrainiens, les autorités militaires sont obligées de littéralement « racler les fonds de tiroir ». Pour être clair : tout le personnel militaire non-combattant, à l’origine, est envoyé sur le front comme fantassins. Médecins, chauffeurs, techniciens, notamment – stratégiques – de l’armée de l’air… L’armée ukrainienne, saignée à blanc, au sens propre du terme, prend tous les hommes disponibles pour tenter désespérément de freiner l’avancée inexorable de l’ennemi.
Une situation relatée par nos confrères du Figaro, et confirmée par Georges.
Le volontaire français s’en indigne et, là aussi, pointe du doigt l’incurie d’une partie du commandement ukrainien. D’autant que si les militaires ukrainiens refusent d’être envoyés à la mort, « c’est sept ans de placard pour eux », résume, désenchanté, Georges.
Car le volontaire français, désillusionné sur la conduite de cette guerre, partage auprès de Frontières son sentiment : « Les Occidentaux, les Européens de l’Ouest ne sont absolument pas prêts à ce type de conflit. La violence y est à un niveau inimaginable. La bataille de Pokrovsk marque un tournant dans le niveau de haute intensité de la guerre contemporaine. La bravoure et l’engagement des soldats ukrainiens ne peuvent malheureusement pas soutenir le degré d’attrition et de létalité des feux ennemis dans une défense frontale. C’est ici un cas d’école de ce qu’il ne faut pas faire. » Et Georges lance cet avertissement : « Les Occidentaux doivent se préparer à cette exposition terrible de leurs forces humaines, sans rêver ces combats ou l’homme est harcelé par les drones et l’artillerie. »
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