Société
Quelques heures sur Bluesky, le réseau social de gauche où tout le monde s’ennuie déjà
L’aventure ne promettait pas d’être digne d’une épopée, il faut bien l’avouer. Depuis une dizaine de jours, le réseau Bluesky, devenu le nouvel horizon de la gauche cherchant à quitter Twitter, a connu une forte croissance en termes d’utilisateurs comme de contenu. Après les échecs successifs de Gettr à droite et de Mastodon à gauche, le réseau social au joli papillon permettrait-il de vraiment remplacer X ? Rien n’est moins sûr.
D’où vient Bluesky ?
S’il ne connaît la lumière que depuis peu de temps, le projet Bluesky est né en 2019 dans la tête de Jack Dorsey, fondateur et ancien patron de Twitter. Loin d’être un Démocrate à la AOC ou Bernie Sanders, ce soutien de Robert Kennedy avait alors pour projet un réseau social décentralisé qui offrirait à l’utilisateur moyen plus de contrôle sur ses données et sur son expérience. L’idée générale ? Par des protocoles spéciaux, éviter la centralisation des serveurs et donc des données.
Pourtant, en 2024, Jack Dorsey claque la porte du réseau : « ils répètent littéralement toutes les erreurs que nous avons faites [sur Twitter] » avait-il déclaré dans un entretien accordé à Pirate Wires. Quelles erreurs ? Notamment la centralisation des serveurs, ce que Dorsey voulait absolument éviter. Deux réseaux sociaux fondés, deux départs en fanfare donc.
La conséquence de cette centralisation, c’est notamment le rachat du réseau. Des réseaux de cryptomonnaies et de « venture capital » se sont donc jetés dessus, notamment Blockchain Capital, entreprise fondée par l’ancien bras droit de Steve Bannon – lui-même proche de Donald Trump. On est loin de l’initiative de gentils Démocrates cherchant un « safe space ». Aujourd’hui contrôlée par ces fonds américains, l’entreprise est valorisée à 700 millions de dollars. Comptant 15 millions d’utilisateurs au mois de novembre, elle est montée à 24 millions en décembre, obtenant de plus en plus d’utilisateurs au fur et à mesure que l’élection de Donald Trump se rapprochait. D’ailleurs, voilà qui est fait : le nouveau président des États-Unis a été officiellement investi pour quatre ans ce 20 janvier.
Très concrètement, Bluesky a une interface et une « expérience utilisateur » très similaire à Twitter, ou X plutôt. Fil d’actualité principalement composé de posts en texte de maximum 300 caractères, mais aussi de vidéos et photos, onglet de recherche, onglet messages privés, onglet notifications… Concrètement, on ne s’y perd pas ! Quelques fonctionnalités en moins tout de même : d’un point de vue strictement pratique, Bluesky, c’est Twitter en moins bien.
Plongée au cœur de l’ennui
Après avoir téléchargé Bluesky et s’être inscrit, nous voilà partis. Partis pour… nulle part en fait. Parmi les comptes disponibles, en France, on retrouve quasi-exclusivement des comptes de gauche, ou des comptes de centristes inactifs.
Alors, faisons un tour sur le profil de Salomé Saqué, l’une des pionnières du départ de Twitter. Disposant de quelque 50 000 abonnés, quand même, la jeune star de Blast poste assez régulièrement, au point d'être l’une des rares personnalités francophones capable de franchir la barre symbolique des 1 000 likes sur certains posts. Alors, que se passe-t-il dans les commentaires ? Échappe-t-on au harcèlement ?
Sans doute, effectivement. Mais si l’on y échappe, c’est à un point presque indécent : sous les publications de Salomé Saqué, on ne retrouve pratiquement pas un seul commentaire négatif. L’essentiel étant fait à base de « bravo », d’associations entre le Rassemblement national et le nazisme ; entre Trump, Musk et le fascisme : en somme, le réseau fonctionne en vase clos. Tout le monde est à peu près d’accord sur tout, et l’on ne peut même pas assister à quelque débat croustillant entre le néo-trotskiste et l’archéo-situationniste. On fait d’ailleurs sensiblement le même constat sur de nombreux comptes de personnalités de gauche : tout le monde est d’accord sur tout.
En me rendant sur le compte de Sandrine Rousseau toutefois, je retrouve quelques commentaires critiques ou négatifs : il s’agit de twittos ayant eux aussi migré vers Bluesky, mais pour poursuivre jusqu’en enfer la députée écologiste. Résultat, les voilà vite placés sur une « liste » publiée par un autre utilisateur, liste répertoriant les « trolls » anti-Sandrine Rousseau. Dernière sociologie d’utilisateurs : quelques boomers centristes qui se retrouvent là, on ne sait trop pourquoi.
Même sur le Bluesky américain, l’uniformité est navrante : ce lundi 20 janvier au soir, tout le monde est d’accord pour critiquer le salut « romain » d’Elon Musk, le qualifiant de nazi. Tout le monde s’applaudit pour sa dénonciation du fascisme, et tout le monde est très content. On se passera dans cet article de métaphore plus salace, mais enfin, voir ces milliers d’utilisateurs se féliciter entre eux de penser rigoureusement la même chose, ne faisant que renchérir les uns sur les autres, ça n’en donne pas moins des idées. D’ailleurs, même en restant en France, la très faible diversité des intervenants, et donc des sujets traités, fait qu’on voit assez peu de contenu sur autre chose que sur Twitter et Elon Musk. Ça valait le coup de partir.
Point positif pour la gauche, la modération serait très développée sur Bluesky. On retrouverait, grosso modo, le système opaque qui régnait autrefois sur Twitter et sur Meta où notre compte pouvait sauter sans trop de justifications.
Alors, cher lecteur, si vous êtes intéressé par un réseau où l’on ne retrouve que la gauche, des contenus de gauche, des félicitations adressées par la gauche à la gauche, n’hésitez plus et migrez vers Bluesky ! D’ailleurs, vous pouvez même soutenir la recherche publique française en utilisant l’application HelloQuitteX fondée par des chercheurs du CNRS ! De mon côté, je fais le pari que même la gauche n’y restera pas : elle mourra d’ennui bien avant.
1 commentaire
vert10
Amusant le salut reproché à musk , obama , kamila harris et melanchon firent le même geste lors de meetings politique
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