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[Tribune] Amine Elbahi : « L’immigration n’est ni un droit absolu, ni un interdit »
Avant d’entamer ces lignes, revenons à ce qui constitue la colonne vertébrale d’une nation : ses choix. Robert Castel, dans son magistral L’insécurité sociale, alertait déjà sur une vérité crue : un État qui promet tout à tous finit par ne plus rien tenir à personne. Cette réflexion, toujours actuelle, éclaire le paradoxe d’une politique sociale française généreuse jusqu’à l’excès, qui finit par se retourner contre elle-même. Castel décrivait un monde où la protection ne se mesure pas uniquement au filet social, mais aussi à son épaisseur, à ses failles et à sa capacité à prévenir les fractures. Une société où la promesse de l’État ne saurait être infinie, sous peine de devenir un leurre.
Depuis des décennies, la France a construit une architecture sociale parmi les plus ambitieuses, souvent admirable, parfois aveuglante. Les accords internationaux en matière de sécurité sociale et les jurisprudences successives ont transformé ce qui devait être des exceptions en principes généraux, vidant les lois de leur substance. Ce glissement insidieux a vu les représentants du peuple perdre la maîtrise des règles qu’ils avaient édictées. L’aide médicale d’État, l’inconditionnalité de l’hébergement d’urgence, ou encore l’accès généralisé à l’aide juridictionnelle illustrent cette ambition d’une solidarité illimitée. Si ces dispositifs portaient à l’origine une noblesse certaine, ils ont peu à peu engendré un paradoxe : ils attirent davantage qu’ils ne régulent, et contribuent à déséquilibrer la politique migratoire. Lorsque le ministère de l’Intérieur s’efforce de contrôler, celui des Solidarités ouvre les vannes. Cet antagonisme interne affaiblit notre souveraineté et nourrit une mécanique contradictoire.
Prenons l’exemple de l’hébergement d’urgence, devenu le symbole d’un État qui promet toujours plus, mais s’épuise à tenir parole. Chaque nuit, en Île-de-France, l’État loue plus de 52 000 lits dans des hôtels pour héberger principalement des immigrés illégaux. Ces hôtels sociaux, souvent indignes, ne sont qu’une réponse temporaire à un problème structurel profond. Pendant ce temps, les listes d’attente pour accéder à un logement d’urgence ou social explosent, privant les plus vulnérables de nos concitoyens de solutions. Cette politique, loin de soulager, alimente une nouvelle insécurité sociale : celle des arrivants, à qui l’on promet des droits sans perspective durable, et celle des plus précaires parmi les nationaux, qui se sentent abandonnés. Michèle Tribalat, dans Assimilation : la fin du modèle français, résume cette impasse : « Une immigration mal contrôlée fragilise d’abord les plus vulnérables parmi les nationaux. »
Mais le paradoxe va plus loin. L’architecture institutionnelle elle-même, par sa complexité et ses contradictions, crée une véritable loterie des droits. À force d’empiler des jurisprudences et des dispositifs administratifs mal calibrés, la France a offert aux demandeurs d’asile déboutés, aux sans-papiers et à leurs soutiens un manuel d’instructions pour exploiter les failles du système. Les doctrines de régularisation préfectorales varient d’un territoire à l’autre, alimentant des disparités et des stratégies d’auto-organisation. Des associations pro-migrants et des réseaux d’avocats spécialisés orchestrent des mouvements massifs de régularisations en utilisant les faiblesses du droit administratif. Une demande rejetée ici peut être acceptée ailleurs, tandis que les recours juridiques, systématiques et interminables, engorgent les tribunaux et neutralisent toute volonté de fermeté.
Foucault, dans La Naissance de la biopolitique, expliquait que l’intervention de l’État moderne sur la vie des individus tend à s’auto-perpétuer. Ce principe trouve ici une illustration parfaite : la multiplication des recours, des droits et des dispositifs crée un cercle vicieux où chaque tentative de maîtrise est contournée par les acteurs du terrain. Cette mécanique ne profite qu’à une minorité bien organisée, au détriment de l’ensemble des citoyens.
Ainsi, l’inconditionnalité, présentée comme une valeur morale, devient un mirage. Dans un État aux ressources limitées, où chaque euro doit être justifié, peut-on vraiment parler d’une solidarité sans cadre ? L’illusion d’abondance conduit à une administration qui promet plus qu’elle ne peut délivrer, nourrissant frustrations et tensions. Ce n’est pas une négation de la générosité, mais une alerte sur ses dérives. Chaque élargissement, loin de renforcer l’intégration, aggrave les fractures. À ceux qui arrivent, l’État offre des droits immédiats sans effort d’intégration. À ceux qui ont démontré leur capacité à s’intégrer, il impose des attentes interminables, diluées dans un océan d’urgence. Ce déséquilibre, loin d’être une preuve de grandeur, traduit un abandon de responsabilité. Et pourtant. La générosité sociale reste une valeur fondamentale. Mais elle n’a de sens que si elle s’inscrit dans un cadre réaliste et durable. Aujourd’hui, l’État providence vacille sous le poids de ses contradictions. Comme le disait Pierre Rosanvallon : « L’État providence est une promesse autant qu’une épreuve. » Il est temps de mettre fin à ces antagonismes stériles entre les ministères, de réconcilier fermeté et humanité. Cela passe par une réforme en profondeur des politiques sociales et migratoires, avec une vision claire et assumée. Limiter l’inconditionnalité, conditionner les droits à un effort réel d’intégration, et harmoniser les pratiques préfectorales pour mettre fin à la loterie des régularisations. Il ne s’agit pas de fermer nos portes, mais d’apprendre à les ouvrir avec discernement. L’immigration n’est ni un droit absolu, ni un interdit. C’est une chance qui, pour être donnée, doit être méritée. Repenser notre solidarité, c’est la rendre juste. Réparer l’architecture institutionnelle, c’est redonner à l’État les moyens d’être crédible. Et bâtir une politique cohérente, c’est rétablir la confiance d’un peuple qui, aujourd’hui, doute de la capacité de ses dirigeants à agir.
2 commentaires
vert10
Seul les pays du golfe ont compris comment faire une immigration temporaire de travail. Visa et contrat de travail liée. Plus de boulot, ils repartent. Et impossible d'obtenir la nationalité française. Et on peut travailler 30 ans aux émirats. Et repartir dans son pays d'origine avec beaucoup d'argent mis de côté
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Il faut absolument stopper toute l'immigration pour qu moins 10 ans. Opérer un tri sévère dans les étrangers présents, ceux qui bossent peuvent rester, les pompes à aides sociales repartent
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