Immigration
Tunisie : à la recherche de l’avenir
En octobre 2022, un avion de la compagnie TunisAir décolle de l’aéroport de Marseille pour atterrir quelques heures plus tard sur le tarmac, encore chaud, de l’autre côté de la Méditerranée. Le soleil est à son zénith, l’air est chaud, sec et poussiéreux, les femmes sont drapées de voiles noirs ou de burqas, les taxis s’activent à capter tous les touristes sur le parvis de l’aéroport. Mon avion s’est posé à Djerba, en Tunisie.
Avant cette enquête, je m'étais déjà engagé en tant que volontaire à l’étranger. J’ai pu apprécier le calme des rues de Kecskemet en Hongrie, la douceur de vie de Wroclaw en Pologne ou encore la beauté de l'architecture portugaise à Sétubal. Ne pouvant m'empêcher de comparer ces situations harmonieuses de ces pays au mien, le sujet de l’insécurité provoqué par l’immigration suscita en moi, une nécessité de comprendre en me rendant à l’une des sources de l’émigration. Après avoir étudié la théorie, il était grand temps de passer à la pratique : comprendre où se trouve l’origine de nos maux.
Quelles sont notamment les raisons poussant les Tunisiens à quitter leur pays ? Pays qui, d’un point de vue économique et social, a grandement besoin de ses talents ainsi que de ses individus en tout genre afin de préserver l’identité tunisienne arabo-musulmane, pour paraphraser Kaïs Saïed.
Les dangers du multiculturalisme en Afrique du Nord
En prenant un taxi louage en partance de Djerba la douce, j'entame mon périple à destination de Médenine, capitale du gouvernorat portant le même nom, qui se situe au sud-est du pays, côtoyant la Libye en partageant une frontière. Le périple commence.
Dans ma ville hôte, c’est presque en ségrégation que vivent les subsahariens, les réfugiés syriens ou les voisins libyens. Les identités locales de cette grande région d’Afrique du Nord sont hétérogènes, différentes, particulières et, par conséquent, désunies.
Les kheles, voici comment les noirs sont surnommés par les locaux de cette ville moyenne de plus de 70 000 habitants. Ce terme signifie littéralement noir ou fait référence à la saleté que représente le noir dans les représentations collectives, 90% des subsahariens disent d’ailleurs avoir déjà subi des insultes venant de Tunisiens. 61% de ces mêmes personnes trouvent les locaux racistes à leurs égards. Quant aux Syriens, ils vivent dans une situation plus que précaire. Ayant fui les conflits de 2015, la cohésion musulmane n’est pas de rigueur en Tunisie. Il est monnaie courante de voir dans les rues de jeunes enfants en train de mendier, sans leurs parents, vêtus d’oripeaux dans la plus grande indifférence des habitants. Ici, pas de maraudes ni de soupes populaires, les étrangers doivent se débrouiller.
Dans cette ville, on observe, comme partout ailleurs, une forte présence de la religion. Ici, ni synagogue ni église. La ville est animée par les appels à la prière, de nombreuses mosquées font résonner leurs haut-parleurs cinq fois par jour. Pourtant, la solidarité entre les peuples de même religion n’existe pas. Sans en venir aux litanies occidentales, les locaux ne qualifient pas cette situation de ségrégation raciale, mais bel et bien de situation normale, comme le cours naturel que les choses doivent suivre. Les groupes se distinguent par leur ethnie, et puis c’est tout.
Dans le local de l’association, appartenant à deux réseaux financés par la Commission européenne, Anna Lindh Foundation et Salto Euromed, le personnel m’annonce mes missions : mettre en avant la nécessité d’un sentiment de cohésion auprès des jeunes et les accompagner à la recherche d’un travail. Entre autres, réussir à calmer leur désir d’Europe, les connecter au réel et les unir dans un projet de solidarité nationale. Honorable objectif qui ne cessera de se confronter à la dure réalité.
Mirage européen au désert africain
Ici, à Médenine, d’anciens ouvriers industriels qualifiés, professeurs et diplômés d’universités locales sont en contrat avec l’association dans laquelle je me trouve. La raison principale : un dédommagement financier du gouvernement tunisien d’une valeur de 200 dinars par mois pour les chômeurs s’étant engagés dans une activité bénévole au sein d’une structure associative pendant un an. En interne, plusieurs membres me sollicitent au fil de mon volontariat afin de les aider à constituer leur dossier d’émigration à la destination du Canada, des Pays-Bas et même de la France. Leurs raisons principales sont les mêmes que bon nombre d'immigrés vivant sur le sol européen : économiques et familiales.
Mais la réalité rattrape, et même dépasse souvent la fiction. La majorité des Tunisiens sont propriétaires et vivent généralement en famille dans ces maisons traditionnelles qui font tant rêver les touristes. Ils sont, pour la plupart, conscients des opportunités professionnelles présentes dans leur pays (BTP, taxis, restauration, agriculture, professeurs d’écoles, prestataire de services dans l’informatique…) mais se sont convaincus d’une chose : ailleurs, l’argent se trouve en masse. Pour cela, ils se rendent sur Internet et convertissent leurs salaires et monnaie locale en euros ou en dollars canadiens. Ils sont unanimes à croire à leur propre mirage, là-bas, ils pensent devenir plus riches, tout en oubliant que le coût de la vie en France est trois fois plus élevé que chez eux. Après plusieurs mois, mes rencontres auprès des jeunes étudiants ou chômeurs ont confirmé mes a priori : tous rêvent d’Europe et sont prêts à tous les moyens pour y parvenir.
Lors d’une conférence que j’ai animée sur le thème du volontariat, la salle était comble, une quarantaine d’individus assidus prenaient des notes, presque les uns sur les autres, partageant une table individuelle pour trois ou quatre et une chaise pour deux. Après la conférence, le moment est parfait pour échanger avec eux afin de comprendre leurs attentes. Au final, aucun de ces jeunes Tunisiens d’environ 25 ans n’a pour objectif d’être utile pour une cause répondant à des besoins locaux ou régionaux, tunisiens ou maghrébins. Leur but ? Faire valider leur visa par TLS (entreprise sous-traitant les demandes de visa en partance pour des pays membre de l’Union européenne) à destination de l’Europe, à tout prix.
Une volontaire de l’association de longue date m’a confié, qu’un jour, une jeune bénévole au sein de l’association tunisienne basée à Médenine, s’était portée volontaire pour une mission en Allemagne afin de rejoindre sa famille lors de l’échange. Elle excluait d'emblée toute possibilité de s’engager bénévolement pour la cause de son association d’accueil. L’association d’envoi était au courant, mais elle avait besoin de remplir ses contingents de volontaires afin de justifier auprès des réseaux auxquels elle appartient de son attractivité et de son dynamisme.
Fatima*, cette même volontaire de longue date, est elle-même en train de boucler les préparatifs de son mariage avec un Néerlandais d’origine tunisienne. Son but : le rejoindre là-bas. Après avoir abordé avec elle la question de la culture locale néerlandaise, pas question de faire profil bas sur le port du voile : « Je suis musulmane ici, et là-bas, même si l’on m’oblige à retirer mon voile dans la rue, alors, je ne sortirai pas de chez moi ! ».
La grande désertion
La prochaine session de conférence a pour objectif d’accompagner les jeunes de la ville à la création de C.V, de lettres de motivation ainsi que de les guider à la bonne tenue d’un entretien d’embauche. Suite à dix jours de bouche-à-oreille, de communication sur les réseaux sociaux ainsi que d’envoi d’invitations auprès des volontaires de l’association, seulement six personnes se sont présentées au lieu de rendez-vous. Au total, cinq filles et un seul homme, son air nonchalant en disait long sur son implication à trouver un emploi dans le secteur géographique de Médenine.
Néanmoins, le lieu où les conférences se déroulent est grandiose. Cet espace est dédié aux jeunes de la ruralité. Le personnel est composé de bénévoles ou bien de Tunisiens en contrat avec l’État. Tout le confort occidental s’y trouve : salles de révision, salle de jeux pour les plus jeunes, cuisine tout équipée, espace de conférence, extérieur fleuri… La liste est longue, sans compter les animateurs, activités, interventions extérieures, formations proposées…
La responsable de cet espace culturel et social est plus que consciente du désir d’Europe des jeunes qu’elle accompagne dans son centre. « Je me suis rendu à Marseille il y a un an pour une conférence sur un dispositif européen et j’ai compris pourquoi les jeunes voulaient y aller. C’est comme Tunis, mais avec les avantages sociaux français. Dans les rues, on parlait arabe, je ne pense pas que cela ait changé ». L’analyse faite par une Tunisienne est implacable, la culture d’un pays change en fonction de qui peuple son sol, mais le système social lui est inhérent à l’État. Cette attractivité tant recherchée par les jeunes de ce centre est à l’image du mirage migratoire qui a également convaincu bon nombre de jeunes africains à la quête du trop fameux soi-disant Eldorado européen.
Ma vie sociale s’est définie en fonction de ce que je représente. Les traditionnelles réunions amicales autour de café, de thé ou de repas ne font pas vraiment partie des événements culturels auxquels l’on me convie. Au fond, je reste le Français en terres non-touristiques qui suscite nombre de questionnements de la part des locaux sur les raisons de ma présence. Quelqu’un dont on ne se méfie pas plus que cela, mais qui est, par ce qu’il représente, un étranger, qui plus est Français. Des groupes de jeunes n’hésitent pas, à maintes reprises, à me pointer du doigt dans la rue en me désignant comme étant l'anomalie du lieu. Ces remontrances à répétition émanent d’un comportement normal vis-à-vis d’un étranger. En France, nous nous sommes habitués à les côtoyer, tous les jours.
Où est la perle du Maghreb ?
Paradoxalement, malgré sa situation économique, la Tunisie regorge de possibilités professionnelles. Le faire comprendre est le but de l’association locale dans laquelle je suis volontaire. Il faut mettre les jeunes de cette ville en contact avec des acteurs professionnels locaux, plusieurs rencontres sont programmées pour les semaines à venir, mais lors des sessions précédentes, seuls les jeunes ciblés ont manqué à l’appel. Plus qu’un rendez-vous manqué, il s’agit d’un renoncement de la part de ces mêmes jeunes, ce qui peine fortement les volontaires de l’association ainsi que les anciennes générations. « Mais qui va rester en Tunisie ? Qui va travailler nos terres ? Enseigner dans nos écoles ou nous soigner plus tard ? » désespère Brahim, bénévole au sein de l’association et ingénieur civil.
En Tunisie, le taux de chômage a officiellement augmenté au cours du premier trimestre 2023 pour atteindre 16,1 %, contre 15,2 % au cours du quatrième trimestre de 2022 (3), mais le nombre de commerces non déclarés n’est bien évidemment pas pris en compte. Rien que dans ma rue, bâtiments modernes et maisons familiales sont en cours de construction, mais peu de Tunisiens de souche travaillent sur ces chantiers. Les travailleurs subsahariens sont souvent employés dans ce secteur professionnel car bien moins chers pour l’employeur. En moyenne, 89% des travailleurs en situation irrégulière sont rémunérés de manière inférieure au SMIC en vigueur. Par conséquent, même si les diasporas africaines sont mal vues par les Tunisiens en matière de cohésion nationale, l’avantage économique de l’immigration subsaharienne reste avantageux pour les employeurs.
La lutte contre l'immigration illégale que Kaïs Saïed a amorcée via ses propos en février 2023 va mettre un coup d’arrêt à ce secteur de recrutement, les Tunisiens ou les individus en situation régulière ne seront donc plus mis en concurrence avec les irréguliers. Le gouvernement espère une résorption du taux de chômage bien que 68% des Tunisiens ont également un salaire inférieur que le SMIC en vigueur. Le discours du président est en somme celui-ci : la reconquête de la préférence nationale est lancée, le peuple tunisien doit répondre à l’appel et cesser d’émigrer s’il veut que la Tunisie survive.
La Tunisie, pays de paradoxes mêlant forte émigration et forte immigration, est en train de se vider sa substance nationale, de son peuple. Loin de l’image d’Epinal que l’on prête aux pays africains ou en voie de développement, la Tunisie a tout pour être solide : universités techniques compétentes, secteurs professionnels en carence d’employés, ressources naturelles abondantes… Mais si la volonté ne guide plus le peuple tunisien de sortir leur nation d’une crise sociale et économique qui est en train de devenir endémique, alors, le sort en est jeté.
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