Immigration
Pierre-Marie Sève : « Les tribunaux français sont soumis aux décisions de la CEDH »
Pierre-Marie Sève, juriste et président de l'Institut pour la Justice, revient avec son expertise sur le rapport de la Cour des Comptes volontairement caché par Pierre Moscovici durant les débats de la loi immigration.
Comme le révèle le dernier rapport de la Cour des Comptes, l’Union européenne représente un verrou majeur dans la gestion des flux de migrants illégaux en France. Est-il possible de stopper l’immigration illégale et, en même temps, de rester dans Schengen ?
Oui et non. Un État a tenté de le faire, c’est la Hongrie. Lors de la crise migratoire de 2015, la Hongrie a donc tenté de refouler un grand nombre de migrants appelés en masse par la chancelière allemande de l’époque. Les migrants interpellés étaient immédiatement placés en centre de rétention et leurs demandes d’asile étaient directement étudiées dans ces centres. Évidemment, des situations concrètement difficiles à vivre pour ces migrants ont éclos, c’était inévitable.
Et à chaque fois, la Cour de Justice de l’Union européenne a condamné la Hongrie pour sa façon de gérer l’immigration illégale. Même s’il n’est heureusement pas à proprement parler interdit à un État de stopper l’immigration illégale, c’est pratiquement impossible, au risque d’encourir les foudres des instances européennes. Un autre exemple : c’est encore la Cour de Justice de l’Union qui supprimé le délit de séjour irrégulier. Concrètement, jusqu’au 1ᵉʳ janvier 2013, une personne en situation irrégulière pouvait être arrêtée et détenue pour ce seul fait. Mais depuis des décisions de la Cour de Justice de l’UE, confirmées en France par la loi Valls du 31 décembre 2012, la police ne peut arrêter des personnes pourtant illégales sur le territoire. Comment lutter contre l’immigration illégale si cette illégalité est vidée de sa substance ?
Pierre-Marie Sève, peut-on désobéir à la CEDH qui bloque massivement les OQTF en France ?
On peut sur le papier, car la CEDH, officiellement, ne peut que condamner un pays à payer des indemnités. Mais dans la réalité, les tribunaux français appliquent les décisions de la CEDH, et c’est d’ailleurs logique. Ceci explique toute la polémique qui avait entouré l’action de Gérald Darmanin. Il avait déclaré qu’il assumait un bras de fer avec la Cour au sujet des expulsions du territoire. Mais quelques semaines plus tard, le Conseil d’État a ordonné le rapatriement d’un homme de nationalité ouzbek expulsé par les services du ministère, notamment pour radicalisation djihadiste.
Cette décision, mesquine et probablement motivée par une volonté de nuire au ministre de l’Intérieur, était néanmoins attendue et assez logique. La solution envisageable est la solution danoise, reprise en 2017 par François Fillon : la sortie de la Convention européenne des droits de l’Homme avant une réintégration avec des réserves d’interprétation sur les points les plus problématiques. De ce point de vue, la France aurait plus de marge de manœuvre en matière d’expulsion, tout en restant dans la légalité.
La moitié des demandeurs d’asile deviennent des migrants illégaux. Comment l’empêcher ?
La solution se situe probablement en amont. Avec de tels flux, il est illusoire de vouloir expulser tous ceux qui se voient refuser une demande d’asile. Les pompes aspirantes doivent être supprimées au minimum pour endiguer le flux entrant et les frontières doivent être imperméables. Au sujet des frontières, on pourrait envisager une solution à l’australienne, mais cette fois à l’échelle européenne : l’Australie avait décrété que les zones sur lesquelles débarquaient les navires de migrants illégaux sortaient du territoire « normal » de l’Australie et à ce titre n’ouvraient pas les mêmes droits, en matière de droit de l’homme et de demande de visa.
Il faudra certainement que les territoires du pourtour méditerranéens obtiennent un statut juridique spécial pour que les migrants qui y débarquent ne puisse pas espérer une amélioration de la situation. En fin de compte, tout peut se régler par le droit, à condition que le peuple l’ait entre ses mains et que celui-ci ne reste pas en quelque sorte auto-bloqué par des normes enchevêtrées comme l’interprétation extensive de la Constitution par le Conseil constitutionnel, ou les normes internationales appliquées largement par les Cours européennes.
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Regarder l'entretien de Pierre-Marie Sève sur la chaine Youtube de Livre Noir
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