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Nigel Farage, l’homme qui a grand-remplacé les conservateurs au Royaume-Uni
Le clivage entre les conservateurs et les travaillistes, historique au Royaume-Uni, serait-il sur le point de s’effondrer ? C’est en tout cas ce que tend à affirmer un sondage publié par YouGov paru ce lundi 13 janvier. Retour sur l’envolée spectaculaire du parti de Nigel Farage, un homme politique pas comme les autres.
Farage, de UKIP au Brexit
A 60 ans, Nigel Farage n’en finit pas de bousculer la vie politique britannique. Fantasque dans sa communication, amateur de punchlines, ambigu sur le multiculturalisme, mais résolument pro-Brexit, le patron de Reform UK vient de hisser son parti à 25 % d’intentions de vote selon un récent sondage de YouGov publié ce lundi 13 janvier, le premier depuis les élections générales de juillet 2024. L’exploit n’est pas mince, d’autant que le personnage n’en est pas à sa première résurrection politique.
Il y a quatre ans presque jour pour jour, le Royaume-Uni sortait officiellement de l’Union européenne. Nigel Farage, grand défenseur et artisan du Brexit avait alors gagné : enfin, ses presque quarante années de combat politique trouvaient un résultat concret – presque le combat d’une vie. Sans députés nationaux, il semblait avoir achevé sa mission. A moins que…
Ayant quitté UKIP à cause des relations entre des cadres du parti et le militant identitaire britannique Tommy Robinson en 2018, Farage a mis un peu de temps à rebondir une fois le Brexit passé. Le 6 janvier 2021, c’est donc un changement de nom qui s’impose : le Brexit Party devient Reform UK. Il perd par la même occasion ses nombreux députés européens et s’efface du paysage politique. Richard Tice succède à Nigel Farage qui se concentre sur son travail médiatique à GB News (équivalent de CNews au Royaume-Uni).
Mois après mois, Reform UK monte dans les sondages. Après l’échec total du gouvernement de Liz Truss, puis la lente déroute de Rishi Sunak, le parti de Richard Tice apparaît de plus en plus comme une alternative crédible à la droite conservatrice. Pourtant, alors que Reform UK bataille pour atteindre les 10 % des suffrages, Nigel Farage fait son grand retour dans la bataille. Début juin, il annonce être candidat dans le canton de Clacton malgré son triste historique de sept élections législatives perdues : sa campagne se fait à grand renfort de coups d’éclat médiatiques et de bières au pub avec en musique de fond Without Me d’Eminem. Finalement, le 4 juillet, les résultats tombent : Reform UK rassemble 14,3 % des suffrages, en troisième position derrière le parti travailliste de Keir Starmer (33,7 %) et le parti conservateur de Rishi Sunak (23,7 %). Seulement cinq sièges sont obtenus à cause du mode de scrutin britannique, mais enfin, Farage reprend officiellement du service. Il est élu triomphalement à Clacton avec 46 % des voix, largement devant son concurrent conservateur (28 %).
Faire imploser la droite
S’il aurait brièvement été tenté de rejoindre le parti Tory, Farage a désormais un plan clair en tête : phagocyter la droite traditionnelle pour la « grand-remplacer » dans les urnes. Alors, avec son discours anti-élites, anti-immigration, anti-écologie et libéral, l’artisan du Brexit surfe sur les échecs et mensonges des conservateurs. Au fil des mois, alors que le parti de Boris Johnson souffre de manque d’incarnation et de souffle, Farage progresse, comme emporté dans une sorte de campagne permanente.
La campagne, Farage veut d’ailleurs la provoquer. Après d’innombrables scandales liés à la liberté d’expression et la croissance de l’impopularité de Keir Starmer, aujourd’hui désapprouvé par 65 % des habitants selon YouGov, le patron de Reform UK a lancé une pétition pour demander la tenue de nouvelles élections générales. Signée par plus de 3 millions de personne, elle est un véritable succès. Plus récemment, le parti – structuré à la manière d’une entreprise – aurait même dépassé les tories en nombre d’adhérents, avec plus de 180 000 membres revendiqués.
Elon Musk et Nigel Farage : bad romance
Nigel Farage serait-il le Trump français ? C’est en tout cas le pari que faisait le milliardaire Elon Musk jusqu’à récemment. Au mois de décembre, on apprenait notamment que le patron de Tesla, qui repartageait déjà régulièrement les publications de Farage, pensait à faire un don de 100 millions de dollars à Reform UK. L’annonce choc voulait dire des moyens illimités pour les prochaines années, assurant à long-terme au moins la victoire de son leader.
Tout ne pouvait cependant pas se passer comme prévu, ç’eût été trop facile. Depuis plusieurs semaines, Elon Musk s’était trouvé un autre « chouchou » en Angleterre, le militant identitaire Tommy Robinson. Condamné à dix-huit mois de prison ferme pour diffamation, son incarcération au mois d’octobre a été vécue comme un véritable choc par Musk, déjà très critique des mesures de Starmer sur le plan de la liberté d’expression.
Or, Farage n’entretient pas forcément les meilleures relations qui soient avec Robinson, les deux tenant des lignes assez différentes au sein du parti UKIP par le passé – Farage pouvant être qualifié de souverainiste et Robinson d’identitaire. Alors, lorsqu’il s’est agi de le défendre, le patron de Reform a botté en touche. Aucune condamnation franche, mais pas de véritable soutien non plus.
Alors, le 5 janvier dernier, Elon Musk s’en est franchement pris à Farage, directement : « Le Parti réformiste a besoin d'un nouveau chef. Farage n'en a pas les qualités requises. » Le mérite de la clarté, mais également une rupture apparente des relations entre les deux personnages : depuis neuf jours, le futur patron du DOGE reposte parfois du contenu produit par Reform, mais plus rien sur Farage.
En attendant, avec ou sans ces 100 millions de dollars, Nigel Farage ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Visant avant tout de nouvelles élections anticipées qui pourraient lui permettre soit d’augmenter son nombre de sièges, soit de remporter les élections, c’est à grand coups de slogans anti-immigration, très offensifs contre les grooming gangs et surtout anti-Starmer que l’élu de Clacton cherche à se tailler une voie. Il sait devoir prendre garde, sachant mieux que quiconque en Angleterre que la roche tarpéienne est proche du Capitole.
A lire aussi : Le soutien d’Elon Musk à Tommy Robinson : un casse-tête pour Nigel Farage
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