Société
Chawki Benzehra : « Le régime algérien ne comprend que le rapport de force »
Pourquoi avez-vous décidé de dénoncer la présence et les attaques verbales d’agents d’influence algériens, appelons un chat un chat, contre la France, et ce, alors que vous êtes vous-même d’origine algérienne ?
Chawki Benzehra : Il y a plusieurs raisons qui m’ont poussé à dénoncer ces propos très graves, tenus par des gens qui sont soit des illuminés, soit qui reprennent le discours du régime algérien. Tout d’abord, cela fait des années que les opposants au régime algérien, comme moi, vivent cela en France : des menaces, des appels au meurtre, etc.
Mais là, les bornes ont été dépassées : il s’agit d’appels à commettre des attentats. On pourrait croire que cela est toléré, ce que fait le régime algérien depuis des années sur le sol français.
Moi, j’ai décidé d’agir parce que je savais qu’il y avait un ministre de l’Intérieur (Ndlr : Bruno Retailleau) décidé à agir. Si cela avait été un autre, pas sûr que j’aurais dénoncé ces influenceurs. Je suis concentré depuis des années sur l’Algérie, l’actualité algérienne et mon opposition au régime algérien. Il faut que les gens se réveillent et prennent conscience des actes et du discours du régime algérien. De l’autre côté de la Méditerranée, se développe un narratif complotiste, sur le discours colonial, notamment vis-à-vis des Algériens de la diaspora vivant en France ou des Franco-algériens. Et, ce qui est nouveau, maintenant vis-à-vis des Algériens clandestins en France. Il y a un discours sur le fait que la France viserait la nation algérienne, et pas seulement les autorités de ce pays. Le régime algérien a aussi évidement joué sur la question israélo-palestinienne, avec un discours sur un pseudo complot sioniste de la France « Macrono-sioniste », comme l’affirme l’agence de presse algérienne.
J’ai été qualifié de lanceur d’alerte sur les influenceurs algériens appelant au meurtre, mais mon vrai rôle, c’est de dénoncer l’attitude du régime algérien. Et je le répèterais tant qu’il le faudra : il n’y a pas qu’un seul Zazou Youssef (Ndlr : l’un des influenceurs mis en cause et arrêté par les autorités françaises pour ses menaces vis-à-vis des Français et de la France), il y en a des milliers sur le sol français.
Il ne s’agit pas de stigmatiser qui que ce soit, je suis moi-même Algérien et beaucoup d’Algériens qui se respectent sont d’accord avec moi. Ces gens nous font honte.
La société algérienne est malade, la diaspora est malade, il faudra donc faire un travail en toute conscience pour réparer tout cela. Je tiens à ajouter que ce sont des Algériens d’Algérie qui m’ont les premiers signalé ces vidéos et ces influenceurs.
Comment la France devrait se positionner face à l’Algérie ? Faut-il rompre nos relations diplomatiques avec ce pays ?
Rompre, ou pas, les relations diplomatiques avec l’Algérie, ce n’est pas le sujet : il faut des actions fortes. Pour l’instant, il n’y a que des discours. Même si, c’est vrai, parler de déshonneur, comme l’a fait récemment Emmanuel Macron (Ndlr : à propos de l’arrestation de Boualem Sansal), tranche avec son attitude depuis 2017, ou il a été très conciliant avec le régime algérien. J’avais l’impression, avec l’opposition algérienne, que le régime algérien, depuis le mouvement du Hirak en 2019, ne tenait que grâce au soutien d’Emmanuel Macron. Mais il faudra déjà agir sur le plan diplomatique face à un régime qui s’est isolé, notamment en Afrique du Nord, de nombreux partenaires, notamment l’Espagne. En 2022, le régime algérien a eu la même attitude envers l’Espagne quand ce pays a soutenu le plan marocain d’autodétermination du Sahara occidental. Sauf qu’avec l’Espagne, il n’y avait pas de diaspora algérienne aussi nombreuse.
Il faut agir sur cette diaspora algérienne sur notre sol. Il faut en particulier agir sur la Grande Mosquée de Paris, véritable relai du régime algérien, par une fermeture administrative, temporaire évidemment, le temps d’ouvrir des enquêtes et de libérer la Grande Mosquée de l’influence du régime algérien et du recteur, (Ndlr : Chems-eddine Hafiz) qui est un agent d’influence du régime algérien. Il faut couper les réseaux du régime en France du régime lui-même. Il faudra adopter un contre-discours sur ce qui vient de l’autre côté de la Méditerranée : le complotisme, l’instrumentalisation du passé colonial, etc. Il ne faut plus de tabous surs les sujets liés à l’histoire de nos deux pays, ainsi que sur le conflit israélo-palestinien, notamment dans l’Éducation nationale. C’est ce qu'a fait Boualem Sansal, mais il était seul.
Il faudra aussi imposer des sanctions au régime algérien, revenir sur les exemptions de visas, ouvrir des enquêtes sur leurs biens en France ; il y a des leviers que la France pourrait utiliser.
Dans une tribune publiée sur notre site, le juriste Amine Elbahi considère qu’abroger les accords de 1968 avec l’Algérie serait « contre-productif », notamment en matière migratoire, parce qu’alors les Algériens entreraient dans le régime commun des étrangers en France. Êtes-vous d’accord avec cette proposition ?
Je ne suis pas d’accord avec tous ceux qui disent qu’abroger les accords de 1968 serait contre-productif. Cela porterait un grand coup au régime algérien. Ce régime ne respecte pas ses engagement, notamment lorsqu’il a refusé d’accueillir sur son propre sol un de ses ressortissants, l’influenceur Doualemn, que la France a expulsé. Il s’agit ici pour la France d’envoyer un signal fort. Si la France met fin à l’exemption de visas, la diaspora se retournera contre le régime algérien. Ce régime conduit l’Algérie à la ruine, il faut l’arrêter. Et ce n’est pas que dans l’intérêt des Algériens : c’est aussi celui de l’Espagne, de l’Italie et évidemment de la France.
Mardi 14 janvier, vous avez signé, avec Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie et membre du comité éditorial de Frontières, une lettre ouverte au recteur de la Grande Mosquée de Paris, l’accusant de fatwa à votre égard et lui demandant de prendre position en faveur de Boualem Sansal. Pourquoi Chems-Eddine Hafiz a-t-il cette attitude envers vous et ce silence sur la détention de Boualem Sansal ?
Je connais bien la Grande Mosquée de Paris. Son recteur se serait honoré à me soutenir, non pas moi personnellement, mais en tant que lanceur d’alerte sur ce sujet des influenceurs qui appellent tout de même à commettre des attentats sur le sol français, à déstabiliser la France. Mais non, Monsieur le recteur a préféré me citer et citer Xavier Driencourt dans un texte. Il s’agit là d’une méthode des Frères musulmans, de mettre une cible sur le dos des gens, mais de le faire de façon indirecte : les Frères musulmans n’appellent jamais à commettre des assassinats. Et d’ailleurs, depuis que mon nom a été cité dans le communiqué de la Grande Mosquée de Paris, j’ai reçu beaucoup plus de menaces.
Donc, en effet, nous avons reçu une fatwa contre nous parce que le fait d’avoir pointé du doigt le recteur de la Grande Mosquée de Paris comme un agent d’influence du régime algérien permet aux gens de s’intéresser à cette institution, qui devrait être au service de tous les musulmans et d’œuvrer à un discours d’apaisement. Mais non, cette institution est devenue une antenne, une caserne du régime militaire algérien en France, et qui œuvre contre les intérêts de la France.
Plus largement, que peut faire la France pour obtenir la libération de Boualem Sansal ?
La réponse doit se faire au niveau diplomatique. Peut-être que la France devrait aussi agir au niveau européen, c’est très important, parce que lorsque le sort de Boualem Sansal a été invoqué au Parlement européen, cela a été un grand coup porté au régime algérien. Et, bien entendu, il faudra mettre en œuvre ce que j’évoquais plus haut, notamment les sanctions contre le régime algérien. Les Américains, à partir du 20 janvier et de l’investiture du nouveau président, Donald Trump, pourraient aider ; ils ont classé l’Algérie dans leur liste des pays persécutant les minorités religieuses.
Boualem Sansal n’est pas le seul à être persécuté par le régime algérien. L’Algérie est isolée au plan diplomatique. Aussi, Paris pourrait adopter une attitude plus dure et moins conciliante avec Alger.
Le régime algérien ne comprend que le rapport de force, et ne voit les velléités d’apaisement de la France que comme un signe de faiblesse.