Société
[Édito] Manifestations paysannes : la terre et les morts
La grogne gronde depuis des semaines. Depuis des semaines, les panneaux sont retournés à l’entrée des villes, et les doléances ne cessent d’affluer auprès des institutions. Pourtant, les paysans qui représentent moins de 500 000 personnes en France n’ont pas été écoutés, le ministre de l’Agriculture Marc Fesnaud n’a rien fait : aujourd’hui, plusieurs autoroutes sont bloquées en France.
D’éternelles revendications
Le plus dramatiques quant aux revendications posées par les agriculteurs et la FNSEA, c’est qu’on a l’impression de les avoir toujours entendues. Depuis des années, tous les quelques mois, au rythme des saisons et des crises agricoles, les demandes émanant du monde paysan sont finalement toujours les mêmes : crise sociale gravissime, Union européenne prédatrice, normes édictées par les comptables, libre-échange mortifère… Les problèmes et les solutions sont connus depuis longtemps.
Alors, on s’étonne que le gouvernement prenne tant de temps à formuler une proposition. Marc Fesneau est inaudible, Gabriel Attal n’y connaît pas grand-chose… Les idées sont à portée de main : frapper les puissants groupes comme Lactalis, rompre des traités comme le CETA, comme celui de libre-échange signé avec la Nouvelle-Zélande il y a quelques semaines, alléger les normes – pas toutes, bien entendu, il faut préserver la qualité et l’écologie de notre agriculture, spécificités françaises – ou alors mettre en œuvre des mesures incitant au localisme et à la qualité de notre nourriture. Les mesures sont pour la plupart populaires, économiquement bénéfiques et sauvegarderaient l’agriculture française. Alors, qu’attendent-ils ?
Les paysans au bord du gouffre
Tous les deux jours, un agriculteur se suicide. Comme si ça ne suffisait pas, ce mardi 23 janvier, Alexandra, une éleveuse protestataire a été fauchée par une voiture conduite par trois Arméniens. Il ne manquait plus que cela. Aux larmes de colère succéderont bientôt celles de la tristesse, du désespoir. Être agriculteur aujourd’hui, ça ne fait plus rêver. En fait, loin de l’image d’Épinal du paysan d’autrefois, dur au mal, fier de sa terre, de ses bêtes et de son labeur a succédé celle de cet homme au fin fond de sa grise campagne, cerné par ses machines, ses factures, sa maison délabrée et sa solitude.
D’aucuns, à droite notamment, fantasment la vie campagnarde de ce fier Gaulois. « Qu’il doit être agréable, s’exclament-ils, de vivre au milieu de sa terre, de ses bêtes, loin du tumulte de la ville et de toute immigration ». Le colonialisme parisien a encore de beaux restes.
Comment imaginer, dans un gouvernement si parisien (Dati, Attal, Fesneau, Le Maire et j’en passe) trouver la solution à l’un des plus graves problèmes posés par la société actuelle ? Le Premier ministre est passé de Vanves à l’école Alsacienne, puis à Grenelle, puis à Matignon. Allez, rassurons-nous : peut-être détient-il sa petite maison en Normandie, sur la côte.
Un peu de France qui meurt
La crise des agriculteurs ne concerne pas seulement ces moins de 500 000 propriétaires devenus prolopriétaires. L’agriculture, c’est d’abord ce que nous mangeons : l’agriculture conditionne la santé publique. Ensuite, c’est la souveraineté qui est concernée : sans blé français, l’Europe est, une fois de plus, à la merci des géants russe et américain. Puis, la planète : secteur émetteur, l’agriculture devra effectivement un jour se remettre en question, ne serait-ce que pour survivre aux incendies et à l’appauvrissement des sols. Et puis, il y a la question de la surface : sans agriculture, plus de bétonisation.
Il faut enfin espérer que les agriculteurs redeviennent un jour les paysans qu’ils étaient avant la société de consommation, de masse. La terre, même travaillée, labourée et ensemencée depuis des siècles, est un de nos paysages. Remettre les haies, produire bio, mieux exploiter les sols sans les appauvrir, oui, évidemment ! Mais pas d’agriculture sans agriculteurs : la terre, les saisons et la météo sont autant d’attributs que l’Homme ne peut encore contrôler, même dans le haut-siège de l’Union européenne à Bruxelles. Il y a encore une nature, tout n’est pas encore comptable ou artificiel, et nul autre que le paysan ne la connaît mieux : il la pratique chaque jour du matin au soir. Alors, que ceux qui en ont le pouvoir agissent, pour que notre terre cesse enfin de se couvrir de leurs morts.
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