Société
[Édito] Consommer français : oui, mais comment ?
« Si je vous demande si vous savez où sont produits vos chaussures, votre pantalon, votre ceinture, votre chemise, sauriez-vous me répondre ? » Il y a un peu plus d’un an, à l’occasion du Salon du Made in France, je rencontrais Charles Huet, patron de l’entreprise La Carte Française, qui vend des cartes-cadeau sur des produits 100 % Made in France. Sa question m’avait interpellé : soutenant évidemment la production française, je ne savais même pas d’où venaient mes vêtements. Trois quarts des Français disent avoir une bonne opinion des produits fabriqués en France et être prêts à payer plus chers pour consommer français, notre dépendance aux produits importés n’est pas que la résultante des traités de libre-échange ou de l’Union européenne, mais aussi de nos mauvaises habitudes de consommation.
Soutenir l’agriculture
La grande distribution, apparue durant les Trente Glorieuses, ne fut rien d’autre qu’une révolution complète des habitudes de consommation alimentaire. Finies les épiceries, les boucheries et les marchés : tout en un grand centre, des rayons optimisés, des produits venant des quatre coins du monde ; en un mot, tout change.
En France chaque année, un milliard de kiwis sont consommés, soit 3 kg/an par ménage. En France, chaque année, 150 000 tonnes d’avocats sont consommés, soit 2,3 kg/an par habitant. Les chiffres sont impressionnants, et soulèvent d’importantes questions, notamment sur le sujet de l’importation. De fait, sauf dans des quantités résiduelles, la France ne produit pas de ces deux produits : pour le kiwi, il vient au mieux d’Italie, au pire de Chine ou de Nouvelle-Zélande. Pour l’avocat, il vient au mieux d’Espagne, au pire d’Israël ou du Mexique, premier producteur mondial.
Si le kiwi n’est a priori pas responsable de désastres environnementaux, ce n’est pas le cas de l’avocat qui est un énorme consommateur d’eau : jusqu’à 1 200 litres pour en faire pousser un seul kilo. Le pire est évidemment de le faire pousser dans des régions sèches, comme l’Espagne ou Israël, où les conditions naturelles ne sont pas réunies pour le produire naturellement.
La consommation de ces deux produits exotiques est tout sauf anodine. On pourrait en fait citer les exemples à l’envi : ananas, litchi, mangue, goyave… Tous n’ont pas forcément un impact dévastateur sur l’environnement, mais sont autant d’habitudes de consommations favorisant l’importation, et donc pesant sur la balance commerciale agricole. Au total, 70 % des fruits et 30 % des légumes sont importés, ce qui n’est pas près de diminuer, notamment par la faute de nos habitudes de consommation ! Ainsi, près des deux tiers des légumes surgelés achetés en France sont importés : autant de difficultés supplémentaires pour l’agriculture française, qui voit la demande de produits frais baisser.
Malheureusement, la situation ne se limite pas aux fruits et légumes. Si la France est le leader européen de l’élevage bovin et au 3ᵉ rang de l’UE pour la volaille et les porcs, elle importe néanmoins plus de 30 % de sa viande. Pourquoi ? D’abord parce que le cheptel ne cesse de réduire à cause du déclin de l’agriculture française. Or, c’est à nos voisins européens que ce déclin profite : les Pays-Bas, l’Irlande et l’Allemagne sont ainsi les trois premiers pays d’importation de viande en France.
Pourquoi consommer français ?
Évidemment, dans le domaine agricole, la consommation de viande française est gage de soutien à l’agriculture nationale. Pourtant, souvent, nos achats favorisent bien plus souvent l’agro-industrie que le petit paysan du coin auquel nous souhaitons apporter notre soutien.
Or, c’est l’agro-industrie, soutenue par la FNSEA d’Arnaud Rousseau, qui bénéficie des traités de libre-échange et de la PAC : les petits producteurs, misant fréquemment sur la qualité de leurs produits, ne peuvent se permettre de réaliser les économies d’échelle des grands groupes. Problème : ces grands groupes se différencient de moins en moins des productions américaines, tant par les conditions de vie des animaux que par la qualité de la viande vendue. Ainsi, la « qualité française » se perd au profit de la standardisation et de la dissolution dans le marché mondial.
Consommer français, oui, mais comment ? Généralement, les coopératives – si elles comportent leur lot de défauts – permettent de mieux rémunérer les petits exploitants, tout comme les marchés locaux. La viande en boucherie est, elle, synonyme de meilleure qualité. Pourtant, la contrainte est souvent le prix : 5 €/kg en moyenne de différence entre la boucherie et la grande surface. Si tout le monde ne peut pas sauter le pas, la question mérite néanmoins d’être posée au regard de la différence de qualité et de traçabilité du produit.
Autre levier de consommation, la réduction de la consommation de produits hors saison au profit des produits locaux. En février, ce sont la betterave, la carotte, le chou, l’endive ou le topinambour entre autres. Consommer de la tomate en hiver, c’est soit la payer 5€/kg si elle est française (elle sera produite en serre, et donc très énergivore), soit 1€/kg pour des tomates marocaines.
Au-delà du soutien à la filière agricole française, consommer local présente un avantage écologique tout sauf négligeable : de fait, alors que la France détient encore pour l’instant l’un des mix énergétiques les plus écologiques au monde, l’électricité utilisée est huit fois moins polluante qu’en Allemagne, six fois moins qu’en Espagne.
Consommer autrement
Le raisonnement ne s’arrête d’ailleurs pas à l’agriculture : de manière générale, l’industrie a besoin d’une énergie abondante pour fonctionner. Si le marché européen de l’électricité réduit chaque année notre avantage électrique en indexant le très faible coût de notre électricité sur celui du gaz, l’industrie française a toujours pour avantage d’être particulièrement écologique. Si à nouveau, consommer français représente souvent un coût, l’impact carbone sera pratiquement toujours inférieur à celui de la plupart des pays développés, du fait de l’exception électrique française.
Sans politique de relocalisation et de soutien aux filières agricole et industrielle françaises, un effort collectif est néanmoins possible. La première étape, c’est de s’intéresser à d’où viennent nos produits. La seconde, s’intéresser à leur qualité. La troisième, évaluer en mettant un euro ou deux de plus par panier, sorte de bonne action hebdomadaire. L’effort est encore mince, mais c’est un bon début. Consommez mieux, consommez français !
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