Enquêtes
Aziz Bouhafsi, libéré malgré une fiche S pour islamisme : notre lettre à M. Darmanin
ENQUÊTE – Après avoir mené une enquête sur Aziz Bouhafsi, un ressortissant franco-algérien fiché S pour islamisme et récemment libéré de prison, nous avons découvert qu’il ne faisait plus l’objet d’une surveillance administrative. Nous avons écrit à Gérald Darmanin pour lui demander des explications.
Monsieur le ministre,
Jules Laurans, journaliste du pôle enquête de Frontières, a réalisé une enquête sur Aziz Bouhafsi, ressortissant franco-algérien fiché S pour islamisme qui a récemment été libéré de prison. En effet, celui-ci purgeait une peine de six années pour « participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme » à la suite de son incarcération en 2018.
Monsieur Bouhafsi a été libéré il y a peu de temps, avec une obligation de se présenter une fois par jour au commissariat du XXe arrondissement dans le cadre d’une « mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance » (MICAS).
Pourtant, notre enquête a révélé que M. Bouhafsi faisait état d’une allégeance persistante à l’islamisme radical lors de sa détention, et il est probable que cette radicalisation ne se soit pas atténuée depuis sa libération. Nous avons en effet eu accès à un document confidentiel qui retrace les déclarations tenues par M. Bouhafsi lors de sa détention peu de temps avant sa libération.
Voici quelques extraits de ce document :
- À un surveillant pénitentiaire, il affirme : « Vous savez moi demain je fais un attentat sur Paris, je vous regarde et je vous parle, je m’habille bien, petite ceinture explosifs tout ça, je vous dis « bonjour madame ça va ? » et je fais tout péter. » ;
- Lors d’une conversation avec sa psychologue en prison, il prédit : « Je vois un avenir sombre pour la France, le feu va s’abattre sur vous » ;
- À sa psychologue, il confie : « Moi qui ai croisé des caïds et des caïds en détention, je peux vous dire que les gens sont en train de se former et Nice, Charlie Hebdo n’est rien face à ce qui va arriver » ;
- Il signe « le djihadiste » à une lettre adressée à sa psychologue ;
- À sa fille il demande dans une lettre qu’elle se prostitue auprès d’un trafiquant pour acquérir un fusil d’assaut de type Kalachnikov, de consommer de la cocaïne pour se motiver, et de tuer le dealer à sa libération.
Pour rappel, avant sa détention, M. Bouhafsi exerçait une profonde fascination envers le djihadisme, comme le relève son entourage, soumettant sa femme et ses filles au visionnage d’exécution et d’immolations perpétuées par Daesh. M. Bouhafsi avait également aidé financièrement et matériellement son frère Nasser à se rendre sur la zone syro-irakienne au sein d’un groupe djihadiste lié à Jabhat al-Nostra.
Notre enquête a de plus déterminé que la surveillance dont bénéficiait M. Bouhafsi n’était pas adaptée à son état de dangerosité, fait corroboré par les agissements et les déclarations récentes de l’intéressé. À ce jour en effet, à l’exclusion de son obligation de se présenter une fois par jour au commissariat du XXe arrondissement, M. Bouhafsi est libre de ses mouvements le reste du temps. Or, la durée d’une MICAS ne pouvant excéder douze mois (loi du 30 juillet 2021), la remise en liberté d’un individu avec un tel profil pose à l’évidence d’impérieuses problématiques d’ordre public, dans « un contexte de menace terroriste qui se renouvelle et s’accentue », selon les déclarations du procureur antiterroriste dans une interview donnée au Figaro le 8 mars dernier.
Par ailleurs, nous avons eu récemment un exemple d’un individu radicalisé étant passé à l’acte après sa détention pour islamisme radical. Ce fut le cas notamment du ressortissant franco-iranien Armand Rajabpour-Miyandoab, qui a tué à Paris un touriste germano-philippin à coups de couteau et a blessé deux autres personnes à l’aide d’un marteau le 2 décembre dernier.
L’article relatif à cette enquête paraîtra dans le prochain numéro de notre magazine le 10 avril prochain. Afin de compléter notre investigation, nous souhaiterions vous demander un complément d’informations relatif au traitement de M. Bouhafsi par vos services sur ces 5 points suivants :
- Quelles mesures sont prévues par vos services à l’issue de l’expiration de la MICAS assignée à Bouhafsi ? Quelles garanties avez-vous que l’intéressé ne dissimule pas sa radicalisation à l’instar du cas Armand Rajabpour-Miyandoab ?
- Dans une note adressée aux préfets, vous avez demandé la mise en place d’une vigilance renforcée autour des écoles et lieu de culte juifs en la résidence d’Aziz Bouhafsi, située XXXXXXXXXX non loin d’une synagogue, est-elle compatible avec la sécurité de ce lieu de culte ?
- Aziz Bouhafsi a-t-il encore des contacts avec son frère Nasser Bouhafsi, en détention pour être allé faire le djihad en Syrie ? Si oui, comment vous assurez-vous que Nasser n’influence pas son frère pour commettre un attentat ?
- Pourquoi la déchéance de nationalité n’a pas été prévue à l’encontre de M. Bouahfsi, ressortissant français et algérien, alors que Unzile Nur Sert, ressortissante franco-turque ayant été condamnée en 2017 à une peine de cinq ans d’emprisonnement pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, a écopé d’une telle déchéance en mai 2023 ?
- Enfin, à la lumière des propos tenus par l’intéressé lors de sa détention que nous avons rapporté dans la présente lettre, qui laissent apparaître avec certitude une radicalisation toujours présente, n’était-il pas envisageable de prolonger sa détention ?
Nous nous tenons à la disposition de vos services pour échanger à propos de notre demande. Je vous prie d’agréer, Monsieur le ministre, l’expression de ma haute considération.
Erik Tegnér, directeur de la rédaction de Livre Noir
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