Politique
Affaire Doualemn : Bruno Retailleau piégé par son propre vote ?
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Comment expliquer l’annulation de l’OQTF de Doualemn ? Cet influenceur algérien de 59 ans, entré irrégulièrement en France par deux fois, condamné à six reprises, installé à Montpellier, et qui a appelé sur TikTok à infliger « une correction sévère » à un opposant du régime de Tebboune.
Le 6 février, le tribunal administratif de Melun a annulé l’OQTF prononcée par le préfet de l’Hérault et a ordonné que lui soit délivrée une autorisation provisoire de séjour sans délai. Non seulement l’expulsion est suspendue, mais en plus, l’État devra verser à l’influenceur la somme de 1 200 euros. Le désaveu est total pour Bruno Retailleau, qui avait pourtant tout mis en œuvre pour expulser l’individu manu militari.
Mais coup de théâtre sur les ondes de France Inter le 12 février dernier. Un auditeur un peu particulier est intervenu à l’antenne : Christophe, qui se présente comme un magistrat au tribunal administratif de Melun, celui-même qui a annulé l’OQTF de Doualemn. Pour lui, le coupable est tout trouvé. Il s’agit de l’ancien sénateur de Vendée, qui n’est autre que l’actuel ministre de l’Intérieur.
Une stricte application de la loi ?
En effet, la disposition qui a permis de lever les sanctions prises contre l’influenceur algérien, l’article L. 432-12 du CESEDA, a été ajoutée par la dernière loi immigration. Plus précisément, elle provient d’un amendement des sénateurs Muriel Jourda (LR) et Philippe Bonnecarrère (centriste) qui précise que « le titulaire d’une carte de résident ne peut jamais faire l’objet d’une OQTF lorsque sa carte de résident lui est retirée ou son renouvellement refusé pour des motifs d’ordre public. ».
S’il ne fait aucun doute que Bruno Retailleau a bien voté la proposition alors qu’il siégeait encore sur les bancs du Sénat, il faut aussi rappeler que le Conseil d’État avait averti que sans cet ajout, une partie du texte risquait fort d’être jugée inconstitutionnelle.
La procédure d’expulsion est plus favorable
Initialement, le projet de loi présenté par Gérald Darmanin à la fin de l’année 2023 visait à étendre le régime des Obligations de Quitter le Territoire Français (OQTF). Un de ses objectifs était de permettre aux autorités de retirer plus facilement un titre de séjour et d’enclencher une reconduite à la frontière – permise par la délivrance d’une OQTF - lorsqu’un étranger représentait une menace grave pour l’ordre public.
Avec ce projet, plutôt que d’engager une expulsion – qui nécessite l’avis de la commission d’expulsion (COMEX) et qui offre des recours au cours de la procédure – les autorités auraient pu simplement retirer la carte de résident et prononcer une OQTF sans délai.
C’était sans compter sur l’avis du Conseil d’État, rendu avant même que la loi ne soit débattue au Parlement. En effet, il arrive que la plus haute juridiction administrative soit consultée en amont pour débusquer d’éventuels risques d’inconstitutionnalité. Et elle n’a pas manqué d’en débusquer un dans ce nouveau mécanisme.
Sous pression de la censure
D’un côté, il a mis en garde : le Conseil constitutionnel a déjà tranché la question en 1997. Un étranger avec une carte de résident ne peut être expulsé que sous des conditions très strictes. On doit prendre en compte depuis combien de temps il vit en France, ses liens familiaux et sociaux, et surtout, une simple menace à l’ordre public ne suffit pas pour le renvoyer. Or, en permettant une OQTF après le retrait de sa carte de résident, la loi ouvrait la porte à un contournement de ces protections.
D’un autre côté, la juridiction administrative rappelle aussi qu’avec ce nouveau régime, un étranger en règle, qui aurait perdu son titre de séjour pour menace à l’ordre public, aurait pu être expulsé sans ménagement via une OQTF. Mais un étranger en situation irrégulière, représentant exactement la même menace, aurait eu droit à plus de considération grâce à une procédure d’expulsion.
Pour éviter le paradoxe – et surtout la censure – la plus haute juridiction administrative recommande de changer le projet de loi immigration. Un étranger avec une carte de résident ne peut pas être soumis à une OQTF après le retrait de son titre pour menace grave à l’ordre public. La seule procédure d’éloignement possible, c’est l’expulsion.
Une recommandation que le sénateur vendéen a suivie, sachant que, de toute façon, si elle n’avait pas été adoptée, le Conseil constitutionnel l’aurait probablement censurée. D’ailleurs, quelques mois plus tard, le conseil des « Sages » invalidera pas moins de 32 articles pour des motifs de procédure et 3 autres sur le fond, en tout ou en partie, dans ce texte.
Cette décision de principe s’applique-t-elle au cas de Doualemn ?
Si l’on suit le déroulement de la procédure, on constate que le 7 janvier, Bruno Retailleau signe un arrêté d’expulsion à l’encontre de l’influenceur algérien, tout en lui retirant son titre de séjour. À ce stade, il n’est pas question d’une OQTF.
Mais le 29 janvier, le juge des référés du tribunal administratif de Paris suspend l’expulsion vers l’Algérie de Boualem Naman, alias Doualemn. La raison ? La procédure d’urgence utilisée par le ministre de l’Intérieur n’était pas justifiée. Il n’a certes plus le droit au séjour, mais le juge considère qu’il aurait dû suivre la procédure classique et consulter la commission d’expulsion COMEX avant de prendre toute mesure.
C’est à la suite de cette suspension - et une fois l’expulsion bloquée le temps de consulter la fameuse COMEX - que le préfet de l’Hérault décide de placer l’influenceur sous OQTF. Et ce, pour une bonne et simple raison : placer l’Algérien en centre de rétention administrative (CRA). Sans elle, l’influenceur multirécidiviste aurait pu continuer à se déplacer librement sur le territoire. Une situation que nul Français n’aurait comprise.
L’obsession pour la commission COMEX
Pourtant, le 6 février, le tribunal administratif de Melun en décide autrement. Le juge de Seine-et-Marne persiste : la loi interdit de prendre une OQTF après avoir retiré une carte de résident pour menace grave à l’ordre public. La justice enjoint à nouveau le préfet de suivre la procédure classique d’expulsion et de consulter la commission d’expulsion COMEX.
Finalement, ce qui semble terroriser l’appareil judiciaire, ce n’est pas qu’un étranger dangereux reste sur le territoire, mais qu’un ministre de l’Intérieur ose l’expulser sans respecter toutes ses garanties procédurales.
Mieux vaut encore laisser un multirécidiviste en liberté, que de donner l’impression qu’un ministre pourrait « faire du Donald Trump », c’est-à-dire agir fermement contre l’immigration sans demander la permission à chaque étape. Dommage que le sénateur Retailleau n’ait pas vu venir ce piège tendu au ministre Retailleau.
3 commentaires
vert10
Il est temps d'introduire de l'IA dans le système judiciaire. Les magistrats et ceux qui inventent le droit , sont des littéraires de formation. Gens ayant peu de logique, il est temps de mettre des personnes ayant une formation scientifique et logique . Un raisonnement structuré. Ce qui fait défaut aux littéraires qui disent tout et leur contraire
Signaler un abusIrrefragable
Hier soir,alors que j'écoutais le club du figaro politique de cette semaine. J'ai été abasourdi d'entendre que (je paraphrase): "C'est la fonction qui fait l'homme et pas ses engagements politiques ou ses convictions idéologiques préalables" ou encore qu'un "président du conseil constitutionnel de gauche ne prend pas forcément des mesures de gauche. Mais aussi que les profils comme Laurent Fabius ou Richard Ferrand connaissent et respectent la légitimité des parlementaires,savent faire un texte de loi,et qu'en substance ces socialistes immigrationnistes patentés sont soucieux de la volonté populaire",etc. Le Figaro ce sont les LR du journalisme: le costume et l'apparence de la droite,mais le discours de la gauche "caviar".
Signaler un abusSapereAude
@vert10 je me suis fait exactement la même reflexion il y a quelques jours : pourrait on utiliser l’outils IA pour reviser l’ensemble du droit, de la constitution jusqu’aux règlements. Dit autrement : si l’on devait créer un nouveau pays, pourrait on élaborer son état de droit exclusivement et entierement avec l’IA ? Sinon, je tends de plus en plus à penser que celui qui a été inventer par les pères fondateurs semble être l’un des plus robuste à ce jour.
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