Politique
Sébastien Chenu : dans les rouages du Rassemblement National
Vice-président de l’Assemblée nationale et du Rassemblement National, le député Sébastien Chenu revient pour Livre Noir sur les réalisations de son parti après un an de groupe d’opposition. Entretien.
Cela fait désormais plus d’un an que vous êtes le premier parti de l’opposition. Quel bilan en tirez-vous sur les plans législatif et politique ?
Lorsque nous sommes arrivés à l’Assemblée, nous avions plusieurs objectifs. Tout d’abord, incarner l’opposition, c’est-à-dire de faire barrage à la politique de Macron sans casser les institutions. Nous avons choisi de façon parfaitement républicaine de respecter lesdites institutions, donc contrairement à LFI, de ne pas insulter les gens, de respecter nos adversaires. Ceci dit, dès que nous l’avons pu, nous avons utilisé tous les moyens à notre disposition afin de nous opposer à la politique de la majorité. Motions référendaires, amendements, motions de censure… Sans devenir les caricatures de nous-mêmes, sans bloquer les débats, contrairement à la gauche. Nous sommes une opposition responsable.
Deuxième chose, nous voulions faire entrer des sujets dans la maison. Notre présence à permis de faire bouger les lignes sur plusieurs points. Sur l’immigration notamment, la majorité elle-même n’arrive pas à se saisir de ce débat, d’où les reports de leur projet de loi. La présence des 88 députés du RN y est pour quelque chose. La déconjugalisation de l’allocation adulte handicapé qui a été rejetée par la majorité de l’ancien quinquennat a été acceptée car les députés de notre bord ont su mettre la pression. Cette pression a été payante. Nous avons obtenu des succès comme la proposition de loi sur les violences faites aux femmes qui a été votée à l’unanimité. Dans les objectifs qu’on avait, il fallait montrer que l’on était capable d’assumer les responsabilités qui nous incombent. Les caricatures volées sur nous : élus incapables par exemple.
Plusieurs analystes s’attendaient à ce que les élus du RN commettent des erreurs, des gaffes… Outre une ou deux polémiques, comment êtes-vous parvenus à les éviter ?
Nos élus ont su montrer leur capacité à être député. Ils ont tous été présents sur le terrain -je m’intéresse à tous leurs déplacements- ce sont devenus des députés enracinés dans les vies locales. Autrement, le sérieux est le mot d’ordre concernant la prise en main de leur mandat respectif. Nos députés assument des fonctions à l’Assemblée nationale, en tant que présidents de sections, de groupes et d’initiatives…
Même sur les sujets où nous ne sommes pas vraiment attendus, nos députés sont investis et savent se spécialiser. Laure Lavalette, Jean-Philippe Tanguy se sont fait connaître car ils ont assumé leurs responsabilités et les Français l’ont vu. Nos députés ne sont pas des techno-déracinés, ils portent des convictions et sont sur le terrain. 90% de nos députés, même s’ils ne sont pas tous connus, ont été militants, candidats, ont assumé des responsabilités, ont déjà fait leurs armes, sont préparés et connaissent le terrain. Les membres du RN ont un bagage certain que n’ont pas ceux de la majorité.
Quelle est la plus grande fierté de cette année ?
Plusieurs choses. Le fait d’avoir incarné l’opposition crédible est un travail collectif réalisé sous la baguette de Marine le Pen. En devenant présidente de groupe, en intervenant sur tous les sujets au début du jeu parlementaire, elle a démontré sa compétence et aussi que sa capacité à faire porter sa voix. Marine le Pen n’a jamais été éteinte dans le jeu parlementaire, elle n’est pas prisonnière de ce dernier. Grâce à cela, elle a pris une dimension supérieure. On sait s’intéresser, proposer et travailler sur tous les sujets.
… et donc de ne pas avoir d’obsessions ?
Bien sûr, l’Union européenne, l’immigration et la sécurité ne sont pas des obsessions. Nous sommes capables de parler de violences conjugales, de défendre les traditions, du pouvoir d’achat. Nous avons prouvé qu’on était capable de s’intéresser à tout sans casser les institutions sans ne jamais ressembler au système.
Vous parlez des éventuelles outrances et des attaques aux institutions. Est-ce que le comportement de LFI ne vous a pas aidé dans le fond ?
Deux comportements nous ont aidés. Premièrement, les outrances de la gauche, dans la forme et dans le fond. Dans la forme, c’est épouvantable, ils ne respectent rien, cassent les institutions, leurs agissements, mais tout est calculé, ils sont dans la théorie de la conflictualité. En miroir, la nullité des LR nous a aidés. Leur manque total de courage -ils sont toujours à la botte de la macronie- et leur absence de vote sur les motions de censure… Tout cela en dit long sur ce mouvement qui ne pense plus rien, mais n’a pas le courage politique pour aller au bout d’une logique ou d’une autre. Ils ne sont ni dans la majorité ni dans l’opposition, ils ne sont nulle part.
Alors que vous êtes vous-même issu de cette droite, on vous connaît aujourd’hui comme l’élément « institutionnel » du RN. Votre expérience à l’UMP vous a-t-elle apporté cette capacité à dialoguer ?
Je connais bien l’UMP, j’y ai travaillé en tant que collaborateur parlementaire. Il faut comprendre qu’en démocratie, il y a des temps et des endroits pour la confrontation, dont les campagnes électorales, l’hémicycle et les plateaux TV en font partie. Au-delà de ça, il y a la courtoisie.
En tant que vice-président de l’Assemblée nationale, je dirige des groupes d’études, la capacité à parler à tout le monde est nécessaire pour le maintien de nos institutions. Je ne suis pas militant. Quand je préside, je fais en sorte que tout le monde puisse bien s’exprimer, surtout les oppositions car, étant dans cette dernière, je sais ce que c’est.
On sait que vous pouvez ouvrir des portes avec la majorité, comme avec les LR. Pensez-vous qu’il est possible et souhaitable de travailler aussi avec la gauche ? De dialoguer avec la NUPES ?
Notre projet politique s’adresse à tout le monde. Si 42% des Français ont voté pour Marine le Pen, c’est que par définition, ces Français ont voté pour d’autres partis avant. Les gens ne sont pas devenus de droite, ils sont attachés à des systèmes de valeurs : le mérite, l’effort et le travail, dans leur pays, puis, ils ont constaté que ces valeurs étaient mieux défendues au RN. Nos électeurs viennent de tous les horizons et tant mieux, cela doit continuer à s’élargir. Dans le cadre d’une union nationale, nous sommes prêts à collaborer avec des députés d’autres bancs, avec les LR, communistes, socialistes et quelques LFI une fois leur jeu de rôle terminé.
Ils savent que la nécessaire régulation de la mondialisation ne peut être portée que par le RN. Elle ne sera jamais portée par une majorité macroniste ou libérale. Le pouvoir d’achat est mieux défendu par nous que par d’autres. Je pense que des élus d’autres partis peuvent faire un bout de chemin avec nous s’ils font preuve de liberté personnelle et intérieure s’ils s’affranchissent des diktats des partis politiques.
Avec 88 députés, on a l’impression que vous êtes suspendus au rêve d’une dissolution et qu’il est aujourd’hui difficile de mener des actions vraiment concrètes sur les plans politique et législatif. Avez-vous vraiment espoir d’une dissolution un jour ?
C’est clair que nous ne sommes pas encore assez nombreux. On veut du résultat : « on n’a pas le goût de l’effort inutile » comme le dit Marine le Pen. Y aura-t-il une dissolution ? Je n’en sais rien, ce que je crois c’est qu’à un moment les événements peuvent imposer au président de la République de devoir bouger, peut-être dissoudre quand la situation n’est plus maîtrisée ou maîtrisable. Il faut trouver des voies pour sortir de certaines situations bloquées et la dissolution en fait partie. Elle s’imposera peut-être à lui s’il y a une motion de censure, si son gouvernement est renversé.
Il faut être prêt. Nous, nous sommes prêts. A chaque fois que nous le censurons c’est pour renverser ce gouvernement et pour retourner aux élections. On considère que pour sortir de cette majorité relative qui rend la vie compliquée, le président doit dissoudre pour retrouver une majorité mais, à mon avis, cette majorité peut être RN et associés. Je pense que des gens peuvent nous rejoindre et travailler avec nous. Je pense qu’un groupe de républicains et patriotes pouvant travailler avec le RN est possible, sur le modèle de LIOT, Horizons et Modem. Un groupe qui accepte le RN comme partenaire mais qui conservera sa liberté.
Il y a la question de la dissolution de l’Assemblée nationale, mais aussi une rumeur selon laquelle votre poste ainsi que celui du président de la commission des finances pourraient être remis en jeu par le gouvernement. Comment l’appréhendez-vous ?
Je ne pense pas que cela soit une rumeur, je pense que c’est quelque chose qui est en très en cours. Le souhait de LR et de la Macronie c’est de pouvoir, pour LR, retrouver des places qu’ils n’ont jamais digéré de perdre alors qu’ils ne sont plus aussi nombreux qu’avant. Les LR ne peuvent pas vivre sans gadgets. Ils n’ont jamais supporté le fait qu’ils n’étaient plus en haut de la pile, ils n’arrivent pas à s’en remettre. De l’autre côté, la macronie a commis une faute en mettant dans la lumière des vice-présidents LFI et RN qui, visiblement, sont devenus plutôt des atouts pour ces partis que des handicaps. Il voudrait bouleverser sans choisir.
Je rappelle que les postes de vice-présidents doivent aller à des opposants. En choisissant leurs opposants, et les LR pensent qu’ils sont les opposants choisis, les deux groupes se retrouvent pour gérer l’Assemblée nationale sans empêcheurs.
Je pense que ça en dit long sur le rapport qu’a la macronie sur la démocratie. Ils n’arrivent pas à vivre en dehors d’un périmètre dans lequel tout le monde n’est pas au garde-à-vous. Ça en dit aussi long sur LR, car ils accepteront d’être un supplétif encore plus assumé pour quelques gamelles de la macronie. Au RN, nous en prendrons acte. Au-delà du fait que ça soit désagréable pour nous, cela nous permettra de démontrer que ce système est plus enclin à définir et à se partager des places plutôt qu’à s’occuper du principal : des Français.
Le RN est-il encore antisystème ?
Le RN est un parti qui ne ressemblera jamais au système. Au moins pour deux raisons : nous sommes libres, aucun grand groupe privé ou de presse ne nous soutient, et nous ne devons pas renvoyer d’ascenseurs.
Le jour où l’on arrive aux responsabilités, nous devront seulement des comptes aux Français qui nous ont fait confiance. On ne doit rien au système. On le voit bien lors de ma réponse à votre dernière question sur ce système. Quand les uns sont au pouvoir, les autres sont dans des placards dorés. On ne leur ressemblera jamais. On ne se bat pas pour les ressembler, on se bat pour les remplacer. C’est une sorte de Grand Remplacement démocratique (Sourire).
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RN : La Respectabilité En Marche
[…] Pourtant, de nombreux obstacles se dressent entre cette rentrée 2023 et le premier tour de 2027. D’abord, il faut des gages de sérieux sur le fond. Une récente polémique autour du GIEC incluant le député Thomas Ménagé a permis de décerner un brevet de climatoscepticisme au parti, alors que la crainte avouée d’une bonne partie du champ politique est une « extrême-droite verte ». D’un autre côté, si les grands patrons acceptent désormais de rencontrer le RN, ils sont loin d’être convaincus par un programme anti-libéral assumé. Pour les rassurer, un trimestre « libertés économiques » de style poujadiste se prépare ciblant les petits entrepreneurs et groupes français. Pas question cependant de reculer d’un pied sur la question sociale à leurs dires. Ailleurs, sur les sujets de la santé ou des transports, il faut aussi progresser. En 2017, Marine Le Pen parlait de souveraineté et d’immigration. En 2022, le pouvoir d’achat est devenu la nouvelle marque de fabrique du parti, au point de dépasser les autres thématiques. Il reste maintenant quatre ans pour apprendre à parler de tout.À Beaucaire, le week-end du 14 septembre 2023, tout le gratin du parti sera rassemblé à l’occasion des universités d’été. L’occasion de préparer un trimestre chargé, qui commencera par la niche parlementaire du 12 octobre 2023 durant laquelle le RN aura une journée afin de proposer des textes de loi. Ensuite, un enjeu de taille se prépare : le fameux « projet de loi immigration », repoussé depuis un an par le gouvernement. Si le sujet de prédilection du parti RN peut apparaître comme étant une aubaine, il peut tout à fait se révéler être aussi un piège, car le risque de passer pour une opposition butée ou contrôlée n’est pas négligeable.Le groupe parlementaire se tient pour l’instant si bien, hormis la polémique « de Fournas », que les autres partis désespèrent. Illusion cependant, que de croire qu’il est simple de continuer sur cette voie pendant encore quatre ans sans jamais trébucher. La route est longue et les adversaires nombreux pour un Rassemblement National encore en construction. En attendant, le mot « crédibilité » est martelé par les cadres, et 1 000 jeunes ambitieux sont sélectionnés avant d’être formés au Campus Héméra, école de cadres du sondeur Jérôme Sainte-Marie. Ensemble, ils formeront une véritable armée de futurs élus locaux, députés et hauts-fonctionnaire… en cas de victoire.A lire aussi : « Le RN est un parti qui ne ressemblera jamais au système » […]
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