Politique
Projet de loi immigration : le fiasco Darmanin
L’adoption de la motion de rejet du projet de loi immigration, au-delà de ses conséquences législatives, révèle surtout un échec cuisant de Gérald Darmanin et une victoire de la droite.
La chute est rude. Au terme d’un cheminement de deux ans mis à mal par l’absence de majorité absolue, le projet de loi immigration de Gérald Darmanin est retoqué. On aurait presque un peu d’empathie pour le ministre de l’Intérieur à voir sa mine déconfite : ce qui aurait pu s’annoncer comme sa première grande victoire à Beauvau tombe à l’eau, à cinq voix près (270 contre 265).
Du « en même temps » au « rien du tout »
Le premier échec du texte se trouve bien entendu du côté de son contenu. Bien trop dur pour la gauche malgré le lobbying de Sacha Houlié, député Renaissance pro-immigration, il est aussi bien trop mou pour la droite, malgré les magouilles sous le manteau de Gérald Darmanin.
La gauche en effet, refuse presque par principe la moindre régulation de l’immigration. Considérant que la régulation du phénomène est responsable des morts dans la Méditerranée, on trouve assez peu de variations entre LFI, le PCF, EELV et le PS. Qualifié de « stigmatisant » envers les « immigré.e.s », « affaiblissant le droit des étranger.e.s », faisant le « jeu du RN », voire carrément « raciste », la mesure économique consistant à régulariser les travailleurs clandestins dans les métiers en tension n’a pas fait mouche. D’ailleurs, Gérald Darmanin ne s’est même pas donné la peine de convaincre la gauche de l’hémicycle : il sait y être haï, et comptait sur d’autres voix. Quand on lit le communiqué des Verts sur le sujet, promouvant : « un accueil inconditionnel » des immigrés, on le comprend mieux.
Pourtant, la droite ne s’est pas laissée prendre au jeu gouvernemental cette fois. De fait, la seule mesure pro-immigration du texte, la régularisation des clandestins pour les métiers en tension, était une ligne rouge pour le RN, jaune pour Les Républicains. Les autres articles, certes, allaient globalement dans le bon sens, très lentement, mais sûrement. Bloqué en interne par l’aile gauche de la macronie, Gérald Darmanin n’a certainement pas pu proposer un texte en accord avec toutes ses convictions, sans doute encore du côté de ses anciens amis.
La personnalité de Darmanin en question
« Amis », le mot est peut-être un peu fort. Si le maire de Tourcoing conserve toujours de bonnes relations avec certains LR, la majorité d’entre eux est désormais acquise à l’opposition face à lui. Eric Ciotti, président du parti, a dénoncé un texte « incohérent » tout en gardant la porte ouverte : « Nous n’accepterons que le texte du Sénat » a-t-il martelé à l’Assemblée.
Main de velours dans un gant de fer, Darmanin frappe régulièrement du poing sur la table, pique, s’en prend à ses adversaires droitiers en public. Côté Ciotti par exemple, il s’affiche avec son plus grand ennemi : Christian Estrosi (passé à Horizons) à Nice quelques jours avant le PJL. Le président de l’ex-UMP n’hésite pas en retour à s’indigner, notamment en demandant à Elisabeth Borne de retirer Darmanin du projet de loi immigration. Avec Olivier Marleix, patron du groupe LR à l’Assemblée, on a dépassé la simple fâcherie. Les deux personnages s’échangent des noms d’oiseaux, s’accusant de présenter un projet de loi pour « changer des virgules » ou pour devenir « la béquille du RN ». En privé, il n’hésite pourtant pas à caresser les députés dans le sens du poil, voire à les corrompre ! Une maladresse a en effet laissé échappé que Darmanin achèterait des voix aux Républicains par des faveurs gouvernementales, une plainte a d’ailleurs été déposée en ce sens.
Le RN, lui, est excédé par « l’arrogance » du ministre de l’Intérieur. Ouvertement méprisant selon eux, une bonne part est bien heureuse de lui avoir cloué le bec, au-delà même des raisons politiques. S’ils avaient pour principe dès l’origine de voter les « mesures qui vont dans le bon sens », l’article 3 sur les clandestins et le comportement du locataire de la place Beauvau ainsi que quelques calculs tactiques les ont décidés : il fallait voter la motion de censure.
Des gagnants et des perdants
La séquence n’aura pas seulement été une défaite et une démission pour Darmanin. Quand on étudie les potentiels développements de ce projet de loi – qui n’en restera pas là, on s’aperçoit que la gauche pourrait bien elle aussi faire les frais de sa propre motion de rejet. De fait, alors que le texte s’apprête probablement à repartir en Commission Mixte Paritaire, ce sera sa version amendée par le Sénat qui sera étudiée. Conséquence : un texte plus dur qui comprend notamment la suppression de l’Aide Médicale d’Etat pour les étrangers, une limitation du regroupement familial, la fin de l’automaticité du droit du sol ou bien le remplacement du très-problématique article 3. Un texte bien plus droitier donc, qui désavantagera bien entendu l’ex-NUPES dans le cas où il reviendrait à l’Assemblée.
Si la gauche était perdante dans tous les cas, c’est l’aile socialisante de la macronie qui a essuyé le plus lourd revers. Alors que les moins à droite du centre s’étaient débrouillés, par l’intermédiaire de Sacha Houlié, pour rendre le texte bien plus souple, la déroute est totale. Au fond, Darmanin n’est pas le seul perdant dans l’affaire. Bien sûr, quelque ambitieux présidentiable comme Gabriel Attal pourrait bien être satisfait de la situation en tirant une balle dans le pied de son rival.
Les deux grands gagnants sont en revanche Les Républicains et le Rassemblement National. Pour les premiers, c’est carton plein : ils ont affirmé leur opposition, obtenu leur revanche sur le « traître » Darmanin, mis en avant leur texte du Sénat et torpillé Edouard Philippe que Gérald Darmanin soutient pour 2027 et ultime rival de Laurent Wauquiez. Bref, une réussite totale, on imagine sans peine des larmes de bonheur perler aux coins des yeux d’Olivier Marleix.
Au RN, c’est également la joie : « Le plus beau jour de mon mandat » s’exclame un député. D’une part un texte pro-immigration retoqué, d’autre part aussi, la revanche envers Gérald Darmanin, presque unanimement qualifié de méprisant en commission comme en coulisses. Le vote de la motion de rejet n’aura pas été qu’une défaite pour Beauvau : reste toutefois à savoir où ira la loi, car l’abandonner, c’est abandonner 2027.
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