Politique
[Décryptage] Le RN a-t-il changé sur l’immigration ?
Durant deux séquences législatives liées à l’immigration, le RN a été critiqué pour de supposés changements de ligne sur l’immigration. La situation est en fait plus complexe que cela.
Ces derniers jours, la position du RN sur l’immigration a été le sujet de bien des commentaires de la part du camp national et d’ailleurs. Alors que l’examen du projet de loi immigration de Gérald Darmanin et Olivier Dussopt est en cours, de nombreux observateurs et acteurs de la vie politique, Reconquête en tête, ont fustigé un apparent changement de ligne de la part du Rassemblement National.
« Si 40 députés RN n’avaient pas manqué à l’appel, la victoire était possible face à l’alliance du centre et de l’extrême gauche » a ainsi lancé Philippe Vardon, binôme de Marion Maréchal. Matthieu Louves, communicant zemmourien, a lui aussi rajouté une pièce dans la machine, pointant lui aussi l’absence d’une part des députés RN lors du vote pour la dénonciation de l’accord franco-algérien de 1968 : « Quel aveu et quel renoncement… On peut légitimement se demander à quoi leur sert d’avoir des députés ». Quelques jours plus tôt, Éric Zemmour se payait Jordan Bardella sur fond d’amendement sur le projet de loi immigration : « Quand on parle comme le système, on finit par agir comme le système ». De manière plus générale, les attaques ont plu sur le parti, accusé d’avoir trahi ce qu’il défendait. « Le RN est engagé dans une entreprise de dédiabolisation, c’est-à-dire renoncer à ses convictions pour plaire aux médias » a par exemple accusé Éric Zemmour dans notre interview sur X.
« Le meurtre de #Thomas me hante. » @ZemmourEric est l’invité de ce premier format Livre Noir exclusivement dédié à @X
👉 Son offensive contre Jean-Luc Mélenchon, sa réponse à Jordan Bardella, son avis sur @elonmusk, son ressenti sur #Crepol et “la guerre de civilisations”. pic.twitter.com/tLvE8NAOHW
— Livre Noir (@Livrenoirmedia) December 8, 2023
La réponse du RN
La réponse du parti à la flamme ne s’est pas fait attendre. À Éric Zemmour, son ancien soutien devenu député RN Pierre Meurin a répliqué, toujours sur Twitter : « Quand on parle comme ceux qui ignorent, on finit par agir comme ceux qui échouent ». D’un autre côté, on a pu lire le député Grégoire de Fournas répondre à Mathieu Louves sur l’accord franco-algérien : « Un texte non contraignant qui n’avait AUCUNE chance de passer : les macronistes et la NUPES avaient largement la capacité de mobiliser leurs députés parisiens absents s’ils se voyaient minoritaires. Le RN est le groupe le plus assidu des 10 groupes de l’Assemblée nationale et j’en ai assez de certains de chez Reconquête qui nous tirent dessus avec cette mauvaise foi insupportable. »
Plus offensif, le responsable de la communication du RN Ugo Falcon a lui commenté : « Ils étaient où les députés Reconquête ? Ah oui c’est vrai. » Le ton n’est d’ailleurs pas descendu entre les deux communicants, s’accusant de ne pas connaître l’Assemblée ou de ne pas lutter contre l’immigration.
Le RN pro-clandestins ?
Alors, que retirer de cette passe d’armes ? D’abord, sur la loi sur les travailleurs clandestins, le langage technocratique employé l’a rendue quelque peu incompréhensible : qu’est-ce qu’un « donneur d’ordres » ou un « prestataire » quand on parle d’emploi de travailleurs clandestins ?
Pour mieux comprendre, nous avons consulté Edwige Diaz, rapporteur du RN sur le projet de loi immigration : « Le gouvernement ne fait pas son travail. Concrètement, quand un particulier ou une petite entreprise fait appel à un prestataire, une entreprise de personnel de ménage ou d’intérim en général, celui qui bénéficie du service doit répondre devant la loi si le travailleur n’est pas en règle. Or, les particuliers ou les petites entreprises sont déjà étouffés par les normes administratives, ce n’est pas leur rôle de faire ce contrôle ! Nous demandons simplement que l’entreprise qui propose le service se charge elle-même de la vérification. » En somme, il ne s’agit pas d’une mesure visant à régulariser les travailleurs clandestins, mais plutôt à décharger les clients du contrôle.
Un processus législatif complexe
Sur l’accord franco-algérien, si la réaction de Reconquête est compréhensible d’un point de vue extérieur, le fonctionnement réel de l’Assemblée fait que le texte symbolique n’avait en fait à peu aucune chance de passer. Si l’on s’en tient aux chiffres, 114 députés ont voté pour la dénonciation du traité de 1968 qui favorise l’immigration algérienne, contre 151 contre. Alors, en théorie, 37 voix manquaient pour y parvenir. Quand on regarde les chiffres de plus près, on observe que seulement 48 députés du Rassemblement National sur 88 l’ont voté : s’ils s’étaient tous déplacés, peut-être le texte serait-il alors passé ?
Malheureusement, la situation n’est pas si simple. Tout d’abord, deux commissions avaient lieu au moment du vote du texte, commissions auxquelles des députés du RN participaient. Ensuite, une autre subtilité liée au fonctionnement de l’Assemblée empêchait la victoire : les calculs liés au nombre de députés en session. De fait, à chaque vote de texte ayant une certaine importance, les groupes politiques de tous bords effectuent des estimations quant au nombre de députés adverses pouvant aller voter. Très concrètement, dans le cas où les 88 députés RN se seraient mobilisés pour ce texte symbolique, il aurait suffi que cinq députés de la majorité ou de la NUPES de plus dans l’Hémicycle pour contrer cette mobilisation.
« On ne calcule pas un vote selon le nombre de députés présents, mais selon les groupes. Or, cette fois, seuls les LR et le RN étaient favorable à ce texte. Si nous nous étions mobilisés, une centaine de députés macronistes aurait pu rappliquer : ce n’est pas compliqué pour eux, ils viennent tous de Paris. » Plus largement, la vice-présidente du RN condamne l’action de Reconquête et des Patriotes dans cette séquence : « Ils essaient d’exister de façon malhonnête, ça ne les élève pas. De même, cela montre leur méconnaissance du processus législatif : ils ne savent apparemment pas que la politique étrangère n’est pas la fonction de l’Assemblée nationale. Bref, c’est assez inquiétant pour des personnes qui se présentent à la présidence de la République. J’aurais quand même préféré qu’ils attaquent la NUPES ou la macronie qui se sont opposés au texte, ou même les douze LR manquants durant leur propre niche parlementaire ! »
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