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[Portrait] Hassan Nasrallah, requiem pour un terroriste
Abattu par une frappe aérienne israélienne vendredi 27 septembre, Hassan Nasrallah aura dirigé le mouvement islamiste chiite Hezbollah pendant trente ans d’une main de fer. Retour sur trois décennies de terreur imposée par le « Sayeed ».
Ni fleurs ni couronnes. La mort d’Hassan Nasrallah, confirmée par le Hezbollah le lendemain de la frappe aérienne de Tsahal qui lui couta la vie le 27 septembre dans la banlieue sud de Beyrouth, si elle a désorienté un peu plus l’arc chiite, ne sera guère pleurée en Occident. Sauf peut-être chez nos confrères du Monde, auteurs d’une nécrologie hallucinante de complaisance envers un authentique terroriste.
L’ascension d’Hassan Nasrallah
Hassan Nasrallah est né le 31 août 1960 à Beyrouth dans une famille chiite. Aîné d’une fratrie de neuf enfants, le Sayeed, nom que lui donneront ses futurs partisans, serait un descendant du prophète Mohammed. Très pieux, Hassan Nasrallah rejoint au début de la guerre civile, vers 1975, à seulement 16 ans, le mouvement chiite Amal et part au sanctuaire irakien de Nadjaf y faire des études de religion. Il y reste jusqu’en 1978, et est repéré et pris sous son aile par Abbas Moussaoui, un compatriote, et surtout par Mohammed Bakr al-Sadr, un haut dignitaire chiite irakien, proche de Rouhollah Khomeini, le futur Guide de la révolution iranien. À partir de ce moment-là, Nasrallah entre dans l’orbite de l’Iran khomeiniste. Il ne la quittera plus jamais.
Il rentre au Liban en 1978, en pleine guerre civile.
Le Parti de Dieu, faux-nez de l’Iran islamiste au Liban
En 1982, Tsahal envahit le Liban. Le mouvement Amal se scinde alors en deux sur la conduite à tenir. Les « durs », islamistes convaincus, se rangent derrière Abbas Moussaoui et fondent alors, dans la plaine de la Bekaa, qui deviendra leur sanctuaire, le « Parti de Dieu ». En arabe : Hezbollah.
Quoique composé de chiites libanais, il ne faut pas s’y tromper : le Hezbollah est littéralement une émanation directe du Corps des Gardiens de la Révolution Islamique iraniens (CGRI), les féroces Pasdarans. Ce sont eux qui structurent, forment militairement et idéologiquement, et surtout financent le mouvement libanais, qui va jusqu’à reprendre sur son emblème jaune et vert les symboles des prétoriens islamistes iraniens. « Avec les Pasdarans et Ali Khamenei [Ndlr : Ali Khamenei est le successeur de Khomenei comme Guide Suprême de la Révolution depuis 1989], le Hezbollah partage tout », nous explique le grand reporter d’origine iranienne Emmanuel Razavi, auteur de La face cachée des mollahs : le livre noir de la République islamique d’Iran (Cerf, 2024). « Nasrallah est notamment lié à la force Al-Qods, l’unité d’élite des Pasdarans chargée des opérations extérieures », indique Razavi.
Dès son commencement, le Hezbollah se lance dans des attentats terroristes. Le plus marquant intervient à peine un an après la fondation du mouvement. Le 23 octobre 1983, deux attentats-suicides simultanés frappent les soldats occidentaux de la Force multinationale de sécurité à Beyrouth. Un premier attentat-suicide à l’aéroport tue 241 Marines américains. Le second tue 58 parachutistes français au sein du poste de commandement Drakkar. La France est désormais officiellement dans le viseur du Parti de Dieu.
S’ensuivront plusieurs attentats terroristes sur le sol français, le plus meurtrier et aussi le dernier a lieu en septembre 1986, rue de Rennes, à Paris, et fit sept morts et une cinquantaine de blessés. Dans le courant des années 1980, le Hezbollah se fait également une spécialité dans un autre genre d’activité : les assassinats, comme celui du diplomate français, le colonel Gouttière, attaché militaire à Beyrouth en 1986. Et surtout, le Parti de Dieu enlève de nombreux occidentaux, dont des Français, entre autres le sociologue Michel Seurat, qui meurt en détention, ou des journalistes, comme Roger Auque, Jean-Paul Kauffmann, Jean-Louis Normandin, Philippe Rochot, Georges Hansen…
Bête noire d’Israël
Au sortir de la guerre civile, au début des années 1990, Hassan Nasrallah, qui a fait ses armes au sein du mouvement et auprès des Iraniens, dont il est un protégé, est devenu président du conseil exécutif du parti. Lorsque son mentor, Abbas Moussaoui, est exécuté par les Israéliens en 1992, il devient, à à peine 31 ans, secrétaire général du Hezbollah. Avec les accords de Taëf qui avaient mis fin à la guerre civile, le Hezbollah avait obtenu, par les bonnes grâce des Syriens d’Hafez al-Assad, le droit de garder leurs armes. Débarrassé de l’ennemi intérieur, Hassan Nasrallah entend bien désormais se consacrer pleinement à sa mission : détruire « l’entité sioniste ».
Il entreprend de venger immédiatement la mort de Moussaoui en faisant sauter l’ambassade israélienne à Buenos Aires, en Argentine. Vingt-neuf morts. Il récidive deux ans plus tard, contre une institution communautaire juive, toujours dans la capitale argentine, tuant 85 personnes. Le mouvement s’internationalise. Pour s’enrichir, le milliard de dollars iraniens par an ne suffit pas. Le Parti de Dieu se lance dans le trafic d’armes et, encore plus lucratif, dans le trafic de drogue, via des connexions avec les cartels mexicains, vénézuéliens et colombiens, nous explique Emmanuel Razavi. Entre temps, dès 1992, le mouvement a débuté son institutionnalisation en participant aux élections. Résultat des courses, en 2004, lorsque la résolution 1559 est voté au Conseil de sécurité de l’ONU exigeant le départ des troupes syriennes occupant militairement le Liban depuis la fin de la guerre civile et le désarmement des milices, dont le Hezbollah, celui-ci est en mesure de faire bloquer son application. Malgré le départ des troupes syriennes en 2005 et les soupçons d’implication du mouvement dans l’assassinat du Premier ministre sunnite Rafic Hariri, Hassan Nasrallah s’offre le « luxe » d’une guerre directe à l’été 2006 avec Israël, qui solde par une défaite pour Tsahal. L’« Axe de la résistance » en sort renforcé. Cependant, la dépendance au parrain iranien est de plus en plus forte. Lorsque la guerre en Syrie éclate, en mai 2011, à la suite des Printemps arabes, les miliciens du Parti de Dieu vont combattre par centaines en Syrie aux côtés de l’Armée arabe syrienne de Bashar al-Assad, fils et héritier d’Hafez. Ils s’illustrent par une cruelle répression des populations sunnites soulevées contre le Raïs.
Cette guerre permet aussi à l’Iran d’opérer la jonction de l’« arc chiite » de Beyrouth à Téhéran en passant par Damas et Bagdad, ou les milices chiites irakiennes, formées sur le modèle du Hezbollah libanais, combattent Daesh, mais aussi, quand l’occasion se présente, le « Grand Satan » américain, présent militairement en Irak, à défaut du « petit », Israël.
La fois de trop ?
Lorsque survient la tragédie du 7 octobre 2023, Hassan Nasrallah a-t-il compris que « l’axe de la résistance » était allé cette fois trop loin pour Israël ? Difficile de le savoir, mais le discours du Sayeed, quelques jours plus tard, s’illustre par sa prudence : Nasrallah se laisse aller à ses envolées lyriques habituelles sur la fraternité d’armes entre les ennemis de « l’entité sioniste », pour mieux masquer qu’en réalité, il attend, le doigt sur la couture du pantalon, les ordres de l’Iran.
Pourtant, la réaction israélienne va cette fois dépasser ce qu’a pu connaitre le Parti de Dieu dans le passé. Le « dronage » de Fouad Shokr, coresponsable de l’attentat du Drakkar en 1983, en juillet dernier par le Mossad, quelques jours après avoir successivement exécuté Ismaïl Haniyeh, chef politique du Hamas, et Mohammed Deif, chef de sa branche militaire, démontre que cette fois, Benjamin Netanyahu et les faucons israéliens entendent bien éradiquer une bonne fois pour toute le problème islamiste.
Deux mois plus tard, survient l’opération « Pagers », petit chef-d’œuvre des services de renseignement israéliens qui sera sûrement enseigné comme un modèle du genre dans tous les services spéciaux du monde, du fait de la finesse d’alliage entre moyens technologiques et infiltration ou recrutement de sources humaines au plus haut niveau du Hezbollah. Jusqu’à ce soir du 27 septembre, ou l’inamovible chef du Hezbollah, reconnaissable entre mille à son turban noir de descendant du Prophète et sa barbe de simili Père Noël (en beaucoup moins sympathique), fini écrasé par des bombes israéliennes dans le sous-sol d’un bunker de Beyrouth-Sud.
Et maintenant ?
Maintenant, avance avec prudence Emmanuel Razavi, le Hezbollah est décapité, et l’Iran fortement affaibli. Au moment où nous concluons cet anti-portrait d’un homme que peu regretteront, Tsahal a commencé ses opérations terrestres au Liban-Sud.
Éternel recommencement.
L’Iran bougera-t-il ? Se dirige-t-on vers un embrasement généralisé du Proche-Orient ? Nul ne saurait le prédire. Ce qui est certain, c’est que le monde en général, et la région en particulier, se porteront mieux sans Hassan Nasrallah. Ni fleurs ni couronnes, vous dit-on.
Définitivement.
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