Société
[Tribune] Stanislas Rigault pour Frontières : « Souvent, je repense à Crépol… »
Un an après le drame de Crépol, Stanislas Rigault livre une tribune saisissante qui nous plonge au cœur de ce village devenu, malgré lui, le symbole d’une France en quête de sens et de résistance face aux bouleversements. Il raconte, avec une sincérité brute, son passage dans ce lieu marqué par la tragédie. À travers ses mots, Crépol cesse d’être un simple village anonyme et devient le reflet d’une nation confrontée à la douleur, mais aussi à la détermination et à l’attachement à ses racines.
« Souvent, je repense à Crépol… »
Souvent, je repense au petit village de Crépol avec une étrange nostalgie. Avant le 18 novembre 2023, je n’en avais pourtant jamais entendu parler. Angevin de naissance, il y avait même a priori peu de chance que j’y mette un jour les pieds.
L’Histoire, qui avait jusque-là si généreusement ignoré Crépol, en a pourtant décidé autrement. Alors, j’y suis allé. C’était il y a quelques mois, à l’occasion d’une campagne qui a beaucoup fait parler. Je suis allé à Crépol, et j’ai vu un petit village sans histoire.
À Crépol, il y a une église, au centre du village évidemment, les ruines d’un vieux château et un autre en meilleur état. Il y a un club de rugby, aussi, mais il n’est même pas à Crépol, c’est trop petit, il faut aller jusqu’à Romans. Le reste ? 500 habitants et des champs, partout, à perte de vue. D’ailleurs, même la Maire est agricultrice.
Parfois, je repense à Crépol et je suis nostalgique. Nostalgique de l’époque où je ne connaissais pas Crépol. Nostalgique d’une époque où il n’y avait aucune raison, pour qui n’est pas du coin, de connaître Crépol. Une époque où Crépol n’était qu’un petit village, non pas l’incarnation d’une nouvelle étape franchie par la submersion migratoire et une insécurité hors de contrôle.
D’abord, il y a eu les premières vagues : l’installation massive dans « les quartiers », le remplacement, la fuite des derniers Français de souche face à la pression démographique. Ensuite, il y a eu la perte de contrôle aux périphéries, puis dans le centre des grandes villes : Paris, puis Lyon, Nantes, Rennes et désormais Bordeaux. Il y a eu encore les émeutes, et le douloureux réveil de ceux qui, jusque-là, imaginaient que Besançon ou Montargis seraient épargnées.
C’est désormais le tour de Crépol, et des petites communes rurales sans histoire. C’est le tour de Thomas et de Nicolas, fauchés au hasard d’un coup de sang à la sortie d’un bal ou d’une boîte de nuit.
Les meurtriers et leurs complices, tous d’origine étrangère, avaient-ils, oui ou non, le projet de « tuer des blancs » ? Savaient-ils, au moment de sortir leur couteau, qu’ils commentaient un francocide ? Peu importe : c’est ce qu’ils ont fait et, déjà, leur geste les dépasse, s’inscrit dans une époque, procède d’une logique, d’un mouvement historique très précis.
Souvent, je pense à tout cela et je suis nostalgique. Nostalgique d’une époque durant laquelle on ne se posait pas ces questions terribles. Je ne l’ai pas connu, cette époque. Moi aussi, je viens d’un pays qui n’existe plus.
C’est peut-être ainsi que se conclurait mon propos, si je n’étais pas allé à Crépol. Mais j’y suis allé, et j’ai vu autre chose qu’un petit village banal. J’y ai passé la soirée avec des jeunes gars du village, pendant une fête populaire comme celui auquel s’était rendu Thomas.
Nous avons parlé du rugby, de nos soirées et du tournoi de pétanque. Ils m’ont parlé de leurs copains, de leurs boulots, des champs qui noient leur horizon, du bus pour aller au lycée, du métier de leurs parents. Ils m’ont parlé de Thomas aussi, de leur fureur de vivre, de leur attachement décuplé par le drame à leur village, à leur terre.
À Crépol, j’ai vu « la France, la vraie », aussi fatiguée par l’usage que peut être l’expression. J’y allais le cœur lourd et le pas hésitant. J’en suis reparti le sourire aux lèvres.
Aujourd’hui, je me souviens encore de la dignité, de la joie, du sens aiguisé de l’honneur de cette jeunesse hors du commun, pourtant déjà si lourdement frappée par le destin. Souvent, je repense à Crépol, à ce pays qui existe encore et qui n’a pas fini d’exister. Et ce souvenir me rappelle au combat.
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