Politique
Dissolution : l’étrange pari de Macron
Personne ne l’attendait, il l’a pourtant réalisé : la dissolution, arme nucléaire de notre constitution, a été actée dimanche soir par le président de la République. Comment comprendre une telle décision ?
Depuis dimanche soir, on ne sait guère plus à quel saint se vouer : à la suite de sa lourde (quoiqu’attendue) défaite, Emmanuel Macron a surpris commentateurs et électeurs en annonçant par surprise la dissolution du Parlement français. Actée en direct sous les yeux des quelques Français circonspects qui avaient accepté de l’entendre s’écouter, celle-ci est la sixième qu’a connu notre pays depuis l’instauration de la Vᵉ République, et sa première depuis la mise en place du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral décidée en 2000.
Anatomie d’une folle soirée
À lire les médias, le récit d’un choix si étrange débute dimanche soir à l’Élysée : vers 19h, alors que les sondages circulent déjà, Emmanuel Macron aborde brièvement devant ses responsables godillots, tout en majesté jupitérienne, son intention de dissoudre l’Assemblée nationale, quelques minutes seulement avant de passer à l’acte et sans jamais s’enquérir de l’avis de ses affidés. Sans se soucier davantage de Yaël Braun-Pivet, la présidente de sa chambre d’enregistrement, qui a appris sa convocation à l’Élysée seulement quelques heures plus tôt, il entame un tour de table.
Souvent reléguée au second plan, elle ne se contente pour une fois pas de sa simple présence et souhaite — vainement – un tête-à-tête avec le chef de l’État, désapprouvant sa stratégie. Notre Constitution dispose en effet, en son article 12, la nécessité d’une « consultation » avec les plus importants personnages de l’État avant une telle décision. Ce ne sera pas le cas. Le futur ex-Premier ministre, dans un rare geste d’audace, n’hésite pas à mettre sa démission dans la balance pour sauver la mandature, mais le Prince a déjà acté son choix.
Vers 20h30, des premières informations filtrent sur une réunion entre Emmanuel Macron et Gérard Larcher, président du Sénat : un aveu pour celui qui sait voir les signes. La nouvelle est d’abord accueillie avec scepticisme et incrédulité sur les plateaux de télévision, tant la rumeur parait infondée, et surtout hors de propos. Soudain, c’est le choc : après quelques secondes seulement, l’habitué des grandes envolées lyriques annonce la couleur sans ménagement. Impassible. Cette soirée, placée sous le sceau de l’Europe, devant marquer l’échec habituel de la politique présidentielle, vient d’être piratée, nationalisée. Macron s’est une fois de plus placé au centre du jeu, tout « maître des horloges » qu’il souhaite demeurer jusqu’au bout, jusque dans l’échec.
Que diable allait-il faire dans cette galère ?
Cette décision apparait néanmoins d’autant plus étrange que rien, légalement du moins, n’obligeait le Président à engager ainsi sa responsabilité. Celui que le vote de la nation assemblée « obligeait » en juin 2022 n’a jamais été avare en mépris pour ce même peuple, et, sauf mis au pied du mur, n’a que rarement fait montre d’une quelconque volonté d’écoute. On sait de surcroît depuis la révolte des gilets jaunes que l’extrême-centre ne recule devant rien pour conserver le pouvoir, quitte à faire tirer sur le peuple. De même, de sondages désastreux en consultations ratées, d’élections perdues en plébiscites fourvoyés, rien n’avait jusqu’à présent entamé l’aplomb de ce bloc bourgeois. Pourquoi dès lors choisir un tel instant pour se « suicider en plein bonheur » ?
Une explication quelque peu psychologisante serait la suivante : persuadé de sa bonne étoile, misant tout sur une stratégie politique éculée et une énième rediffusion d’un « barrage républicain » aux allures de ruines de Malpasset, Macron est tout simplement certain de remporter la victoire. Convaincu de sa capacité à exploiter les divisions des oppositions pour reconstruire un grand centre modéré analogue à celui qui l’avait porté au pouvoir il y a sept ans, le président espérait probablement que la gauche ne parviendrait à s’unir et que la droite demeurerait fragmentée, lui laissant ainsi le champ libre pour s’imposer, ce dont a témoigné sa pitoyable tentative d’une OPA hostile sur tous les députés dudit « arc républicain ».
La manœuvre présidentielle reposait en effet sur l’hypothèse que la recomposition politique en cours le favoriserait, et que foutu pour foutu, encore était-il préférable de profiter d’une démolition contrôlée. Après tout, le Président avait tout à gagner et peu à perdre : chef crépusculaire d’une minorité majoritaire, entouré d’imbéciles tous plus incompétents, corrompus ou accusés les uns que les autres, son second mandat était hypothéqué depuis sa défaite aux législatives de 2022. Au mieux, il retrouverait les coudées franches, au pire la situation n’évoluerait qu’à la marge.
Une décision nécessaire ?
Le président avait-il pour autant le choix ? Il faut bien admettre que la situation est, à de nombreux égards, catastrophique. Un déficit public à près de 5 % sans amélioration en vue, une succession de crises (sociales, économiques, diplomatiques, etc.) tous les trois à six mois, un durcissement du contexte international, et la probabilité plus que lancinante d’une motion de censure réussie à la rentrée. Après le fiasco de la loi immigration et à la suite des tensions dans le monde agricole, la dernière cartouche du président avait été tirée en la personne du sémillant et éphémère plus jeune premier ministre de notre histoire. Victoire à la Pyrrhus pour l’exécutif, qui en était déjà réduit à mendier les voix pour le moindre de ses projets, sauf à se résoudre à l’emploi d’un nouveau 49.3 dévastateur.
Une autre théorie très en vogue verrait dans le chef de l’État un disciple de Machiavel, prêt à octroyer le pouvoir à l’extrême droite pendant deux ans pour la torpiller, et rester dans l’histoire comme celui qui a fait triompher la République sur ses ennemis. C’est possible, mais c’est aussi peu probable : acculé en tous sens, le président ne pouvait guère plus que se suicider préventivement. Qu’importent désormais ses tentatives de sauver le navire, tout le monde voit désormais que le Titanic coule. Le roi est nu.
Ce qui devait être une démonstration éclatante de maîtrise politique s’est muée en moins de 48 heures en une Bérézina. Reflet de Midas, le président transforme désormais tout ce qu’il touche en plomb. La dissolution, loin de consolider le pouvoir présidentiel, a révélé ses faiblesses et les failles d’une stratégie bien trop optimiste et mal calibrée. Tentant de sauver la face, Emmanuel Macron tente désormais le tout pour le tout en organisation la saturation totale de l’espace médiatique à son seul profit, dans le but de plus en plus vain d’empêcher la victoire du chaos qu’il a lui-même provoqué.
« Moi ou le déluge »
En effet, contre toute attente, la NUPES, coalition de toutes les gauches les plus radicales, qu’on disait morte et enterrée du fait de ses différends moyen-orientaux, a réussi à surmonter ses querelles picrocholines et à ressusciter. Dont acte. Parallèlement, l’union des droites, lointain fantasme des éditorialistes de plateaux, a montré des signes plus qu’encourageants avec le ralliement d’une partie de Reconquête! menée par une Marion Maréchal en plein putsch, compliquant davantage les calculs politiques du Président.
Le dernier clou du cercueil a été planté peu après midi, lorsque Eric Ciotti, patron des Républicains, a annoncé sans détour sa volonté d’une alliance commune avec le Rassemblement National, prenant de court tous les caciques de son parti et anéantissant en quelques minutes quarante ans de piège mitterrandien. Bien que la chose soit encore contestée, la situation devrait rapidement se régler avec l’éviction des derniers chiraquiens du parti et sa satellisation dans une union des droites que la jeunesse que de nombreux militants appellent de leurs vœux depuis des années.
🔵 Que pensent les électeurs de droite d’un accord avec le RN ?
En l’absence de véritable sondage récent, on doit se contenter de cette question posée sur le site du Figaro :
👉 59% des 19 000 répondants se disent favorables à un accord électoral RN-LR. pic.twitter.com/lEJWpIG1jG— Marc Vanguard (@marc_vanguard) June 11, 2024
Face à ces développements imprévus, le président a d’ailleurs reporté la conférence de presse qu’il avait initialement prévue pour ce soir, alimentant les spéculations et l’inquiétude au sein de la classe politique et de l’opinion publique. Selon des sources proches de l’Élysée rapportées par Europe 1 en début de journée, bien que démenties par la suite, le Président avait même laissé entendre qu’il pourrait démissionner en cas d’échec de sa stratégie, accentuant encore davantage la tension politique dans son camp.
La France entre désormais dans une période d’incertitude, où les prochaines étapes s’avèrent difficilement prévisibles. Le président, dont l’avenir politique est plus que jamais en jeu, devra trouver des moyens de rétablir sa crédibilité et de naviguer dans un paysage politique de plus en plus fragmenté et hostile. En cas de plus que probable nouvelle défaite, c’est bel et bien son mandat qui sera hypothéqué, mais dans tous les cas de figure, la France ne sera pas gouvernable autrement que par une majorité des droites. Une chose est sûre : le quinquennat Macron a pris fin hier.
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