Eric Naulleau : « Le féminisme se donne en spectacle »
S’il portait un message clair : mettre fin au statu quo sur les violences sexuelles, le féminisme version #MeToo s’est rapidement vendu à la scène mélo-médiatique. quitte à sacrifier de véritables souffrances au grand spectacle.
Au travers de #MeToo ou de #Balancetonporc, le féminisme nouveau entendait troubler le spectacle, dévoiler l’envers du décor, exposer un système de prédation et d’abus sexuels. The show must not go on, telle était sa devise originelle. Quelques années plus tard, le féminisme nouveau a non seulement intégré le spectacle global, une liste noire d’acteurs et de réalisateurs accusés (sans le moindre élément à l’appui) de comportements délictueux fut divulguée à la veille du dernier Festival de Cannes, mais il en a adopté les procédés les plus contestables.
Féminisme : du Consentement au grand spectacle
Prenons le cas du Consentement de Vanessa Springora, récit où l’auteur évoquait sa relation commencée dès l’âge de 14 ans avec l’écrivain Gabriel Matzneff. L’âge de majorité sexuelle étant fixé à 15 ans, l’emprise ne faisant ici aucun doute, on pouvait s’attendre à ce que l’adaptation du livre pour le cinéma se contente de mettre en images la liaison scandaleuse et ses effets psychologiques ravageurs sur la victime tels que relatés par celle-ci.
C’était mal connaître l’époque. Quoiqu’un avertissement prévienne d’emblée que la réalisatrice Vanessa Filho n’a poursuivi d’autre but que de « porter la voix de l’autrice », l’ambition du long-métrage va bien au-delà de ce cahier des charges minimal. Il s’agit d’expurger le texte autobiographique de tout ce qui pourrait être jugé ambigu ou même subtil, quitte à lui faire dire le contraire de ce qu’il exprime, afin d’obtenir une œuvre édifiante dans le goût des dames patronesses de tous sexes qui arbitrent désormais les élégances.
Ogre solitaire ou Gotha libertaire ?
Pour commencer, la mère de Vanessa (remarquablement interprétée par Laetitia Casta) apparaît sous un jour plus favorable que dans le livre, où sa complaisance évoque celle d’une mère maquerelle. On le sait, les hommes sont tous des salauds et les femmes toutes des victimes, inutile de troubler le spectateur par cinquante nuances de culpabilité. Le noir et le blanc suffiront. Un voile pudique est ensuite jeté sur la pédophilie d’atmosphère des années 70 et 80.
Pourquoi ne pas rappeler avec Vanessa Springora dès le deuxième chapitre, que Le Monde publia en 1977 « une lettre ouverte en faveur de la dépénalisation des relations sexuelles entre mineurs et adultes » signée entre autres par Barthes, Deleuze, Simone de Beauvoir, Sartre, André Glucksmann et Aragon ? Ou « qu’une autre pétition paraît cette fois dans Libération en 1979, en soutien à un certain Gérard R., accusée de vivre avec des fillettes de six à douze ans, signée elle aussi par d’importantes personnalités du monde littéraire » ? Parce que cela aurait compromis la réception du film auprès du camp progressiste ? Pour accréditer la fable d’un ogre solitaire sans rapport avec l’idéologie libertaire portée par la gauche française ?
Mieux encore, le film tord franchement le bras du livre en affirmant, à rebours de ce qui y est écrit, que Vanessa rompit avec Matzneff en découvrant dans le Journal de celui-ci le détail d’ébats pédophiles avec des gamins philippins. La goutte d’encre qui fit déborder le vase tomba en réalité d’un passage de ses Carnets où il était question d’une autre jeune conquête. La jalousie et non la réprobation d’actes criminels. Et Springora de laisser tomber cette phrase stupéfiante : « La situation aurait été bien différente si, au même âge, j’étais tombée follement amoureuse d’un homme de cinquante ans qui, en dépit de toute morale, avait succombé à ma jeunesse, après avoir eu des relations avec nombre de femmes de son âge auparavant, et qui, sous l’effet d’un coup de foudre irrésistible, aurait cédé, une fois, mais la seule, à cet amour pour une adolescente. » Inutile de dire que le film évite de s’aventurer sur ce terrain glissant.
The show must go on
Et Judith Godrèche vint. Qui ne laissa à personne d’autre le soin de mettre en scène son nouveau personnage, celui d’une très jeune femme autrefois abusée par le réalisateur Benoît Jacquot. Loin de nous l’idée de mettre en doute ses souffrances, il reviendra à la justice de les caractériser, mais la théâtralisation de ces dernières mêle parfois quelque ridicule au tragique de l’affaire.
En 2010, sur le plateau de l’émission Thé ou café, l’actrice, pimpante, élégante, célébrait sa relation passée avec le réalisateur, qui « réinventait la vie », exerçait sur elle « une emprise extrêmement inspirante ». En 2024, durant son audition devant une commission sénatoriale, la même crut bon de se composer une apparence proche de Thérèse, jouée par Anémone, dans Le Père Noël est une ordure. Pourquoi défendre une juste cause en recourant à semblables artifices ? Sinon pour confirmer que le féminisme est devenu une extension du domaine du spectacle. The show must go on, après tout.
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