Société
Macron et la culture française, une histoire de désamour
Comment comprendre l’hypocrisie d’un Président de la République qui peut louer à l’occasion la grandeur de la culture française, tout en affirmant sans complexe, la majeure partie du temps, que l’identité culturelle française est plurielle et d’origine étrangère, et que le multiculturalisme est la seule réalité qui compte ? Effet de communication d’un partisan convaincu d’un melting-pot à la française, ou brefs éclairs de lucidité ?
« Nous sommes un peuple de bâtisseurs » affirmait le 5 juin 2023 Emmanuel Macron sur Twitter après sa visite au Mont-Saint Michel. Un peuple de bâtisseurs, c’est ce qui nous pousse précisément à reconstruire Notre-Dame de Paris alors que les flammes la dévoraient sous les yeux du monde entier. C’est aussi ce peuple de bâtisseurs que viennent admirer les sept millions de visiteurs annuels du château de Versailles, ceux du musée du Louvre, des forts Vauban des quatre coins du pré-carré français, ceux de nos cathédrales ou de nos églises. Le monde entier semble reconnaître ce génie du peuple français pour façonner son pays. Seul semble le découvrir le chargé de communication du président quand il publie cette reconnaissance de l’héritage culturel français.
« La France n’a jamais été et ne sera jamais une nation multiculturelle !»
Dès les débuts de sa campagne en 2017, Emmanuel Macron avait entrepris de façon remarquée la critique de l’identité française et de sa culture. À cet égard, le discours de Lyon a été emblématique : « Notre culture, ça ne peut plus être une assignation à résidence. Il n’y aurait pas la culture des uns et la culture des autres, il n’y aurait pas cette formidable richesse française, qui est là, dont on devrait nier une partie, il n’y a d’ailleurs pas une culture française, il y a une culture en France, elle est diverse, elle est multiple. Et je ne veux pas sortir du champ de cette culture, certains auteurs ou certains musiciens ou certains artistes, sous prétexte qu’ils viendraient d’ailleurs ». Ce dérapage en avait surpris plus d’un. Enfin surpris, pas vraiment. Il avait permis à toute l’opposition de droite de se révolter face à un projet politique déjà bien compris comme une négation de l’existence même d’une culture française.
On trouve une tentative d’explication de ces débuts tonitruants quelques jours plus tard dans les propos d’Emmanuel Macron en déplacement à Londres, le 21 février 2017. Raillant les bruits déclenchés par sa précédente phrase choc de communication, il déclare : « Que ceux qui disent cela aillent me dire si Picasso, Chagall et quelques autres sont dans la culture française, dans leur définition. Parce que moi l’art français, je ne l’ai jamais vu. Il y a des cultures, et il y a bien une culture qui est en France. […] Et qu’est-ce qui a fait la littérature française, la peinture française, la musique française, la danse française ? La capacité à faire émerger des génies de notre pays mais, à chaque fois, d’agréger des talents de l’étranger. J’aime plus que tout notre langue, notre culture, ce qui fait ce trésor, mais en même temps, elle a toujours été ouverte. Elle s’est toujours construite dans la capacité à en agréger d’autres, à faire venir les talents d’ailleurs ».
Pourtant, là où l’hypocrisie apparaît, c’est quand on place ce déni de la culture française en parallèle avec l’entretien qu’avait accordé le candidat à la présidentielle au journal Causeur quelques jours auparavant. Comment comprendre « il n’y a pas de culture française » quand la même intelligence affirmait aussi : « la France n’a jamais été et ne sera jamais une nation multiculturelle. S’il y a un risque qu’elle devienne multiculturelle, je le combattrai ». Quel homme fautil écouter ? Celui qui parle à la droite une quinzaine de jours avant le premier tour, ou bien celui qui, une fois élu, enchaîne les contradictions ?
La culture française, c’est aussi sa langue, cinquième langue la plus parlée dans le monde, accessoirement la troisième dans le secteur des affaires, et aussi la deuxième la plus apprise, après l’anglais. Si notre culture n’existe pas, pourquoi alors propulser sous le mandat d’Emmanuel Macron la création de 800 centres d’apprentissage du français dans plus de 130 pays dans le monde entier ? Si la culture française n’existe pas, pourquoi ne pas plutôt enseigner la langue multiculturelle, la diversité et la mixité culturelle ? Pourquoi Macron cherche-t-il, lors de son voyage en Chine en janvier 2018, à promouvoir la culture française, par le biais notamment d’une coopération culturelle et artistique importante ? « La Chine doit être une terre de francophonie. »
A quoi bon signer plus de 2 000 contrats d’édition entre la France et la Chine ? N’est-ce pas là la preuve une fois de plus, s’il en fallait encore, d’une nouvelle hypocrisie, d’une différence notoire entre les paroles et les actes ? La diplomatie force un retour contraint vers une réalité immuable.
Deuxième mandat d’Emmanuel Macron
30 novembre 2022, voilà que le réel vient rattraper de nouveau le président de la République : la baguette française, son savoir-faire, son héritage, font leur entrée au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. « Cette décision est une reconnaissance de la culture de la baguette qu’il nous revient de préserver, de protéger, pour assurer la transmission de ce patrimoine » affirmait la ministre Olivia Grégoire qui n’avait peut-être pas lu les consignes de communication. Comment peut-on encore affirmer qu’il n’y a pas de culture française quand le monde entier nous envie nos boulangers pâtissiers, quand les expatriés confient ne pas retrouver un pain équivalent à celui que fabriquent les boulangeries de l’Hexagone.
Macron apprécie-t-il en secret la culture française ? On ne saura pas. Quand il s’agit de faire de la littérature, le président est au rendez-vous. « Je crois à la culture française. Il y a un fleuve, qui est notre culture, et énormément d’affluents. »
Mais Macron a le goût des aphorismes, à commencer par celui qu’il veut lui-même incarner, ça c’est une certitude. « Écoutez ce que je dis, ne regardez pas ce que je fais. » Force est de constater que la question de la culture française demeure encore aujourd’hui chez le président l’essence même d’une communication ambiguë.
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