International
L’hôpital de Gaza : une faillite médiatique.
Dans la nuit du mardi 17 au mercredi 18 octobre, l’explosion d’un hôpital gazaoui, rapidement imputé aux Israéliens, mais démentie le lendemain, révèle les failles profondes de notre système médiatico-politique.
Revenons sur la séquence des évènements d’il y a quelques jours. Mardi soir, à partir de 18h59 (heure locale), des images se mettent à circuler sur les réseaux sociaux, montrant ce qui semble être l’explosion importante de l’hôpital Ahli Arab de Gaza. Les victimes, selon les premières estimations, relayées exclusivement par le Hamas, paraissent se chiffrer à plusieurs centaines. Les chiffres de deux cents, cinq cents ou même huit cents morts, incluant de nombreux enfants, circulent rapidement, tandis que les premières images d’un potentiel carnage sont massivement diffusées.
Aussitôt la machine s’emballe, et en l’absence de communiqué israélien, la thèse de la responsabilité de l’État hébreu se propage sans rencontrer de résistance, entraînant dans son sillage d’importantes manifestations dans le monde arabe. Si la colère légitime des populations musulmanes, catalysée par le sentiment d’une agression injuste, est parfaitement compréhensible, tel n’est pas nécessairement le cas des principaux médias occidentaux, qui ont rivalisé de veulerie et de complaisance à l’égard de la thèse du mouvement palestinien.
Une faillite méthodologique
Ce qu’il convient bien d’appeler une faillite méthodologique ne peut toutefois se comprendre sans saisir la volonté d’instantanéité et la course au sensationnalisme qui ont marqué cette soirée. En effet : l’explosion, filmée par les caméras d’ Al-Jazeera, se produit quelques secondes après un tir d’une salve de roquettes par le Jihad Islamique Palestinien, un mouvement islamiste affilié au Hamas. Cependant, ce lancement n’était pas visible depuis les caméras de la chaîne qatarie, au contraire d’un projectile semblant tomber sur le site. Cette vidéo restera, jusque tard dans la nuit, la seule de l’événement. Le bruit, mais aussi la vitesse apparente de l’objet, font tout de suite penser à une bombe guidée israélienne, enflammant les réseaux sociaux et les foules dans de nombreux pays.
Dans la foulée, et sans la moindre enquête ni la moindre preuve, les ONG locales, comme Médecins sans Frontières évoquent tout de go un “bombardement israélien“. Du fait de leur crédibilité habituelle et de leur aura morale, peu nombreux sont ceux osant remettre en cause le narratif dans les premières heures, et l’information est aussitôt reprise sans vérification, crédibilisant de fait la thèse palestinienne. Largement concurrencés par le développement des réseaux sociaux au cours des dernières années, et de peur de rater l’événement, de se laisser distancer dans la course à l’audience, la plupart des médias se devaient de réagir, quitte à mettre de côté toute méthodologie de vérification. C’est ainsi que la plupart reprennent en chœur l’information, toujours non-vérifiée, et la présentent comme une certitude.
L’effet d’entraînement se confirme dans les heures qui suivent, de sorte que la plupart des médias, incluant des grands noms de la presse, n’hésitent pas à afficher les titres des plus racoleurs pour attirer le chaland. On publie alors sur un potentiel massacre, on évoque des centaines d’enfants morts, assassinés par la puissance occupante, et la machine s’emballe elle-même, chaque nouvelle information réaffirmant et crédibilisant la pertinence de la précédente par effet de simple exposition, alors même que peu de nouvelles vidéos ou d’informations en provenance des lieux circulent. En quelques heures, la messe est dite : Israël a délibérément massacré des centaines de civils innocents.
Or, dès le lendemain, les informations ne sont plus aussi évidentes. Les relevés des lieux témoignent d’une petite explosion sur un parking proche de l’hôpital, incohérente avec la thèse de la bombe israélienne. Tsahal, qui s’est finalement décidée à réagir, publie également un démenti, preuves à l’appui. De surcroît, les dizaines de cadavres de la veille disparaissent subitement, tandis que les différents gouvernements appellent à la prudence et évoquent quelques dizaines de morts. Soudain, les titres et les unes changent, et l’événement disparaît dans le brouillard médiatique. Pour prendre la mesure de ce qu’il s’est produit, il suffit d’en constater l’étrangeté : la quasi-totalité des médias, avides d’instantanéité, sont démentis et corrigés par des informations gouvernementales plus sourcées le lendemain.
Une faillite déontologique
Ce n’est pourtant pas la première fois qu’une telle information fausse est grossièrement relayée par la presse mainstream, pourtant autoproclamée garante des bonnes mœurs journalistiques et de la déontologie la plus parfaite. De l’explosion du Maine en 1898 aux couveuses koweïtiennes en passant par les dizaines de milliers de morts fantômes du Kosovo, pour ne citer que les plus connues, la presse s’est souvent illustrée par une mauvaise capacité à filtrer les informations. Il n’est pas ici le lieu de recenser toutes les erreurs médiatiques des dernières années, tout juste doit-on se contenter de remarquer que bien souvent, ces erreurs se firent au profit d’une vision singulière des conflits. Rarement en effet ces imprécisions, pour ne pas dire ces fautes, sont commises au détriment du camp favorisé. De fait, l’on pourrait soupçonner une intrigante déformation des perceptions des conflits de la part de nombreux journalistes.
La rapidité avec laquelle les médias se sont jetés sur la thèse de la culpabilité israélienne ne peut qu’interroger. Certes, l’État hébreu mène régulièrement des frappes aériennes depuis deux semaines sur la région. Certes, des multiples civils ont déjà été assassinés au cours de ces frappes. Ce serait toutefois faire rapidement l’impasse sur les multiples tirs de roquettes du Hamas et de ses alliés depuis des implantations civiles et sur des implantations civiles, parfois sur leur propre territoire, double violation du droit international pourtant souvent tue au détriment d’une supposée inadéquation entre les pertes des deux adversaires.
Non seulement y avait-il donc présomption de responsabilité israélienne, mais encore y avait-il visiblement présomption de volonté de destruction délibérée d’un hôpital, comme s’il existait chez les journalistes une pulsion cathartique, un lâche soulagement au constat d’une équivalence entre les deux belligérants. Renvoyer dos à dos les deux adversaires, telle était probablement la pensée inconsciente de beaucoup, qui disposaient enfin d’un contrepoids aux attaques barbares du 7 octobre. Israël, régulièrement associé à des concepts d’apartheid et de colonisation, ne pouvait décemment rester pur plus longtemps, et l’occasion était trop belle d’en profiter.
Il ne fallait donc pas attendre : Israël, ou du moins sa réputation, suffisait comme gage de vérité des informations rapportées à son encontre. Sans vérification, sans attendre, sans même prendre le temps à la nécessaire prise en compte des remarques de la communauté OSINT (analyse des données libres, souvent réalisée par des passionnés, NDLR) appelant à la prudence, il fallait suivre le mouvement. Visiblement, la volonté de “matchifier” les horreurs du monde, en égrenant les nombres de morts comme les points d’une compétition de football, le sentiment d’un petit David palestinien contre un grand Goliath Israélien, se suffisaient à eux-mêmes en guise de preuves.
Bien que la plupart des médias aient désormais corrigé leurs articles, et pour certain aient même publié des rétractations, on ne peut que s’inquiéter des conséquences de l’affaire, tant les retombées sont déjà présentes. Volonté de ne pas être pris de vitesse ou condamnation morale inassumée, cette double faillite, tant méthodologique que déontologique, signe bien là une authentique erreur médiatique, dont le contrecoup dans les semaines et les mois à venir ne manquera pas de revenir hanter ceux qui y ont contribué. En ces temps inflammables, où les propos peuvent tuer, d’aucuns seraient d’avis que les sentiments personnels des journalistes, leurs besoins moraux ou leur avidité ne passent pas avant leur devoir d’information.
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