International
Hôpital à Gaza : une déflagration géopolitique
La tension est montée d’un cran, hier soir, du fait de l’explosion meurtrière d’un hôpital dans la Bande de Gaza. Récit d’une soirée sous haute tension.
Mardi 17 octobre au soir, dès la nuit tombée, une explosion retentit dans la ville de Gaza, enregistrée par plusieurs passants. Bien vite, les images et les communiqués se succèdent : l’hôpital Ahli Arab a été touché, et les victimes seraient nombreuses. Quelques minutes après l’événement, le ministère de la Santé du territoire palestinien, contrôlé par le Hamas, annonce plus de deux cents victimes, bien que des rapports concordants de sources locales amènent bien vite ce chiffre à plus de cinq cents morts. Les images se suivent et se ressemblent sur les réseaux sociaux, avec leurs cortèges de cadavres et de destructions, tandis que le Hamas est prompt à communiquer sur ce qu’il estime être une frappe aérienne de l’armée israélienne, dénonçant « 200 à 300 martyrs » dans un communiqué.
Cette thèse, ayant la faveur de l’antériorité, se répand dès lors comme une traînée de poudre sur Internet. Les vidéos, il est vrai, ne laissent que peu de place au doute : on y constate clairement la chute d’un projectile subsonique au cœur d’une zone densément peuplée, entraînant une très importante explosion sur le bâtiment de l’hôpital, et laissant penser à un tir délibéré d’une bombe à guidage GPS, ou JDAM. Comme de coutume, de multiples expertises autoproclamées sur les réseaux sociaux n’hésitent pas à attribuer la responsabilité de l’explosion à l’un des deux camps sur la base de preuves plus que contestables.
Les heures qui suivent voient donc une condamnation unanime de l’attaque par de multiples responsables locaux : le président de l’autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, annonce immédiatement trois jours de deuil national, tandis que ses homologues étrangers lui emboîtent le pas. Le Président Iranien, prolixe, informe d’une riposte contre l’entité sioniste. Le Hezbollah libanais, allié du Hamas et de l’Iran, appelle à observer une « journée de colère » aujourd’hui, et promet lui aussi des représailles. Le Qatar, enfin, dénonce un « massacre ». Même parmi les gouvernements plus mesurés de la région, la réponse est à la hauteur des enjeux : Abdel Fattah al-Sissi, président égyptien, condamne fermement ce qu’il estime être un « bombardement israélien » ayant entraîné « la mort de centaines de victimes innocentes », qualifiant l’acte de « bombardement délibéré » et de « violation manifeste du droit international », tandis que l’Arabie saoudite dénonce une « violation de toutes les lois et normes internationales ».
La crainte d’une conflagration générale
Puis c’est l’embrasement : dans la soirée, des manifestations spontanées éclatent à Ramallah et Hébron (Cisjordanie), à Amman (Jordanie), à Tunis (Tunisie), en Syrie, à Ankara et à Istanbul (Turquie), entraînant des affrontements avec les forces de polices locales et débouchant sur des attaques de consulats israéliens. Dans la soirée, le gouvernement israélien enjoint tous ces citoyens à quitter la Turquie au plus vite, du fait d’une dégradation rapide du climat sécuritaire. Jusqu’en Europe, des élans spontanés de ferveur anti-israélienne sont constatés, comme le prouve le communiqué de Mathilde Panot reprenant sans le questionner la thèse du Hamas.
Suivant leurs opinions publiques, les responsables du Proche-Orient ne tardent pas à prendre des mesures de rétorsion. Le sommet quadripartite, qui devait réunir aujourd’hui à Amman, capitale jordanienne, le président américain Joe Biden et les dirigeants jordaniens, Égyptiens et de l’Autorité palestinienne est annulé quelques minutes plus tard sur décision des dirigeants arabes. Repoussée aux calendes grecques, cette conférence dont le but était d’empêcher la propagation régionale du conflit se tiendra désormais, de l’avis du chef de la diplomatie jordanienne, « lorsque la décision d’arrêter la guerre et de mettre fin à ces massacres sera prise », autrement dit en un langage moins diplomatique, jamais.
Une origine controversée
L’armée israélienne réagit rapidement dans la soirée pour démentir les accusations portées à son égard. Si le silence avait prévalu un premier temps, le porte-parole de Tsahal, Daniel Hagari, déclare au début de la nuit ne pas disposer de suffisamment de détails sur l’origine de l’explosion, mettant en doute les chiffres de victimes annoncés par le Hamas et avançant qu’il est « difficile de croire qu’une attaque qui a eu lieu il y a peu de temps ait un tel bilan humain ».
Au cours de la nuit toutefois, l’armée israélienne apporte de nouveaux éléments d’information indiquant une supposée origine palestinienne de l’explosion, du fait notamment d’un lancement de roquette défectueux, et niant avoir mené des opérations de bombardements dans la région la veille. Ayant visiblement tiré les conséquences de sa mauvaise image auprès de nombreux publics, Tsahal n’a pas hésité à publier sur X (ex-Twitter) des images de vidéosurveillance censées démontrer la chute d’un projectile tiré par le Jihad Islamique Palestinien hier soir, version aussitôt démentie par les intéressés.
Enfin, il y a quelques heures, l’armée israélienne s’est décidée à publier une communication supposément interceptée par ses services de renseignements, entre deux responsables du Hamas reconnaissant une erreur de la part de leur allié du Jihad Islamique Palestinien. De surcroît, les premières images qui nous parviennent des lieux, si elles sont évidemment insoutenables, laissent apercevoir des dégâts matériels relativement mineurs sur les bâtiments, plutôt inconséquents avec l’emploi de bombes guidées israéliennes, et davantage cohérents avec l’hypothèse de la chute d’une roquette défectueuse. À l’heure actuelle toutefois, aucune enquête n’a pu être menée pour déterminer la responsabilité des évènements.
Une condamnation unanime
Au petit matin, alors que les deux versions s’affrontent véhément, les déclarations internationales se font plus prudentes, mettant l’emphase sur le bilan humain plutôt que sur l’auteur de l’attaque. Le chef de l’ONU Antonio Guterres, qui doit se rendre demain en Égypte frontalière de la bande de Gaza pour évoquer l’aide humanitaire dont l’acheminement a déjà causé tant de blocages, s’est ainsi dit « horrifié », tandis que le chef de la diplomatie européenne a ajouté que « des civils innocents payent le prix le plus élevé ». Emmanuel Macron a également fait part de sa plus vive condamnation, arguant que « rien ne peut justifier de prendre des civils pour cibles ». Enfin, Joe Biden, arrivé en Israël ce matin pour désamorcer la crise ouverte depuis une semaine et demie et rassurer son allié, a fait savoir par le biais d’un communiqué sa profonde indignation et sa tristesse.
Quoi qu’il advienne désormais, et quelle que soit la réalité des faits, il apparaît toutefois comme assuré que la culpabilité israélienne ne fait pas de doute pour une grande partie de l’opinion. Comme l’a déclaré Gérard Araud, ancien ambassadeur français en Israël, cette guerre est avant tout un conflit de perceptions, de sorte qu’il sera bien difficile de rétablir un jour la vérité.
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