Union-Européenne
Mercosur : comment Bruxelles pourrait contourner la voix de la France
Un peu moins d’un an après la grande colère agricole qui a secoué tout le pays, les tracteurs ressortent, tandis que la Commission européenne affiche sa détermination à conclure l’accord Mercosur. La France peut-elle encore protéger ses agriculteurs ? Ou la bataille est-elle déjà perdue ? Bruxelles, en tout cas, semble prête à user d’une technique bien rôdée pour contourner l’opposition française.
Finalisé en 2019 après deux décennies de négociations, l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur, qui regroupe le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay et la Bolivie, reste en suspens. À ce jour, aucune des parties n’a encore ratifié ce traité controversé.
Le Mercosur, un accord vieux de 20 ans, toujours aussi explosif
Le Mercosur vise à faciliter les échanges commerciaux en supprimant progressivement 90 % des droits de douane sur une période de 10 ans. Ce traité prévoit des réductions drastiques sur des produits agricoles stratégiques comme la viande de bœuf, le sucre, la volaille et l’éthanol. Avec un marché potentiel de 780 millions de consommateurs et des échanges commerciaux estimés entre 40 et 45 milliards d’euros, cet accord, présenté comme le plus grand de libre-échange au monde, promet de bouleverser les échanges commerciaux entre l’Union européenne et l’Amérique latine.
C’est pour cette raison que la France s’oppose fermement à cet accord. Les conditions de production des produits sud-américains posent un véritable problème. En Amérique latine, les normes sanitaires et environnementales sont beaucoup moins strictes qu’en Europe. L’utilisation de produits phytosanitaires interdits dans l’Union européenne et d’antibiotiques utilisés pour le bétail, bannis en Europe depuis plus de 20 ans, alimente les inquiétudes des agriculteurs français.
Le modèle sud-américain n’impose pas les mêmes contraintes environnementales que celles exigées des producteurs européens, ce qui génère une distorsion de concurrence dénoncée par Paris. Mais la France reste isolée, avec seulement quatre autres États membres – la Pologne, l’Irlande, l’Autriche et les Pays-Bas – qui partagent son opposition. À l’inverse, l’Allemagne, dont l’industrie automobile espère tirer des bénéfices de l’accord, soutient fermement le projet. Une situation qui a valu au Mercosur le surnom évocateur d’« accord viande contre bagnole ».
Une tactique bien rodée pour contourner Paris
Face aux blocages, Bruxelles semble prête à employer une technique imparable : scinder l’accord. Ce traité ne se limite pas à l’agriculture ; il est transversal et inclut, par exemple, une importante section dédiée aux investissements.
En divisant le traité en deux, la Commission européenne se réserve le droit de signer seule la partie commerciale, la plus décisive, sans consulter les parlements nationaux. Cette tactique, utilisée pour le CETA avec le Canada en 2016, a déjà porté ses fruits.
Un tel découpage a plusieurs implications. D’abord, la France perd son droit de veto. Ensuite, le vote passe de l’unanimité à une majorité qualifiée – (pour adopter l’accord, il faudrait donc le soutien de 15 États membres représentant au moins 65 % de la population). Enfin, le Parlement français n’aura pas à ratifier l’accord. De quoi accélérer une ratification qui piétine depuis quatre ans.
Par ailleurs, le Premier ministre Michel Barnier, n’est pas dupe de la situation : « Je ne vais pas raconter d’histoires à ceux qui nous écoutent, la politique commerciale est une politique européenne », a-t-il reconnu après son entrevue avec la présidente de la Commission le 13 novembre.
Mercosur : “Nous disons non à ce traité”, affirme le Premier ministre @MichelBarnier, invité de #MaFrance. “La France s’opposera, dans toutes les instances où elle siège, à tout accord prématuré qui ne serait pas conforme à l’intérêt des filières agricoles européennes” pic.twitter.com/uCMbt1kXYM
— France Bleu (@francebleu) November 15, 2024
Ursula von der Leyen pèse de tout son poids pour que le Mercosur soit adopté
En déplacement à Buenos Aires ce dimanche 17 novembre, Emmanuel Macron a martelé une nouvelle fois que la France « ne signerait pas en l’état le traité ».
Je veux rassurer tous nos agriculteurs :
Nous ne renoncerons pas à notre souveraineté alimentaire. La France ne soutiendra pas l’accord UE-Mercosur dans sa version actuelle. pic.twitter.com/8qyqJQeaCo
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) November 17, 2024
Mais au-delà des déclarations, les faits sont têtus. Bruxelles avance et ne cache pas sa détermination. Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, pèse de tout son poids pour qu’il soit adopté.
Pour tenter de calmer la grogne des agriculteurs, l’Union européenne prévoit une enveloppe de 150 millions d’euros en compensation, destinée notamment aux producteurs de viande bovine et de lait. Une véritable insulte pour ceux qui aspirent simplement à vivre dignement de leur travail. Une goutte d’eau, aussi, pour ceux qui voient déjà leurs exploitations bientôt broyées par une concurrence écrasante et déloyale.
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