Société
Arnaque en Mayenne : une famille squatte une ferme, exploite le cheptel et encaisse les revenus

C’était censé être une belle histoire de passage de flambeau. Une ferme transmise après quarante années de dur labeur. Un couple de retraités qui tourne la page sereinement. Mais à Montigné-le-Brillant, en Mayenne, ce récit champêtre a pris des allures de squat rural. Selon nos confrères du Figaro, Patrice et Josiane Garanger, 65 et 63 ans, ont cédé leur exploitation en mai 2023. En face, la famille Dubois – parents et fille – esquisse de belles promesses : une installation rapide, un avenir serein. Seulement voilà, un détail manque à l’appel : l’argent.
500 000 euros. C’est la somme que ce couple d’agriculteurs à la retraite aurait dû percevoir pour sa ferme de 65 hectares et son troupeau de 100 bovins, dont 50 vaches laitières. Une somme qui ne leur a jamais été versée. Aujourd’hui, ils ne sont plus chez eux, dépossédés de leur bien, regardant de loin ces squatteurs d’un genre inédit, tirer profit de leur labeur.
Une vente légale, mais un paiement jamais effectué
Tout avait pourtant l’air réglé comme du papier à musique. Après plusieurs désistements de candidats, ils trouvent enfin des repreneurs en juillet 2022 : la famille Dubois, originaire du Maine-et-Loire. Promesse de vente signée en avril 2023 sous l’égide de la Safer (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural), acte de cession en mai, installation de la famille Dubois dans la foulée. Ludivine, 19 ans, devait reprendre l’élevage. Son père, Frédéric, en reconversion, créait une société agricole pour encadrer l’activité.
Les Garanger, confiants, remettent les clés le 5 mai, en attendant le règlement du cheptel et du matériel. Le paiement ? Prévu pour septembre, assurent les Dubois. Mais les mois passent, les virements promis restent lettres mortes. Pire encore, les vendeurs découvrent avec stupeur que la famille Dubois est coutumière du fait. En 2020, à Longué (Maine-et-Loire), puis à Avrillé-les-Ponceaux (Indre-et-Loire) en 2021, les Dubois ont déjà tenté le même stratagème. Une fois l’entourloupe mise au jour, ils disparaissent.
« Ils étaient sympathiques, venaient du département voisin de Maine-et-Loire et disaient être pressés de s’installer, ce qui, après coup, aurait dû nous mettre la puce à l’oreille. On leur a fait confiance, tout comme au professionnalisme de la Safer, qui vérifie en principe la solvabilité bancaire des repreneurs. », témoigne Patrice Garanger.
Patrice Garanger s’en veut. « Depuis, les Dubois ont changé de visage, nous avons été exclus de la ferme alors qu’on leur avait facilité l’installation. », confie-t-il, amer.
”
Malgré les preuves accablantes, la famille Dubois persiste, allant jusqu’à assigner les Garanger en justice pour « vices cachés », réclamant une baisse du prix de vente.
« Ils ne nous ont jamais payés. Ils ont présenté de faux documents et de fausses promesses de règlement, y compris devant le notaire et devant la justice. Pire, ils nous ont assigné en justice pour vices cachés le 15 mars 2024 au tribunal judiciaire de Laval en demandant une baisse du prix de vente. »
Trop confiants, trop habitués à la parole donnée dans un monde agricole où l’on traite souvent d’homme à homme. Le couple espérait une retraite paisible après des décennies de travail acharné. À la place, il se retrouve embourbé dans une procédure judiciaire sans fin. Et pendant ce temps, la ferme tourne, le lait coule… et les Dubois encaissent.
Une exploitation qui continue de générer des revenus… pour les squatteurs
Les vaches n’ont pas cessé de donner leur lait, et les Dubois n’ont pas cessé de le vendre. À l’entreprise Bel, à Évron, qui collecte leur production. Le chiffre est vertigineux : 200 000 euros de revenus annuels. Un argent qui aurait dû permettre aux Garanger de souffler, mais qui alimente la cavale financière de ceux qui les ont dépouillés.
Et ce n’est pas tout. Ils achètent du matériel, paient vétérinaire et artisans, commandent de la nourriture pour le bétail… sans jamais régler leurs factures. Dernière folie en date : un tracteur flambant neuf, 150 000 euros, réglé avec du vent.
« Les époux Dubois nous ont menés en bateau comme les autres fournisseurs, avec des chèques sans provisions, des preuves de virement erronées, de faux mails et des lettres de banque indiquant que nous allions être payés», fulmine Olivier Crenn, vétérinaire local, dont l’ardoise impayée atteint plusieurs milliers d’euros.
”
Une procédure judiciaire qui traîne en longueur
Face à cet imbroglio, la justice avance à pas comptés. Une première audience pour expulser les Dubois de la maison d’habitation est prévue le 2 avril au tribunal de Laval. Quant à l’exploitation agricole, son sort sera décidé par la cour d’appel d’Angers après le 30 avril.
Pendant ce temps, la colère gronde. Une centaine de personnes, agriculteurs et soutiens, se sont rassemblées le 13 mars pour réclamer justice. « S’il le faut, nous reviendrons, mais cette fois-ci dans la ferme. Cette situation est inacceptable », prévient Mickaël Guilloux, secrétaire général de la FDSEA de Mayenne.
De son côté, la Safer réfute toute responsabilité dans cette affaire. Selon Rémy Silve, directeur de la Safer des Pays de la Loire, l’organisme n’a jamais validé définitivement la vente, estimant que la famille Dubois n’avait pas apporté les garanties financières nécessaires.
Me Romain Bouliou, avocat des Garanger, dénonce une première en France : « C’est la première fois que je vois une telle affaire où des personnes sans droits ni titres exploitent une ferme qu’ils n’ont pas payée tout en touchant les revenus. »
Une menace de fuite et des craintes pour la suite
L’étau judiciaire se resserre autour des Dubois, ils pourraient être tentés de disparaître une nouvelle fois. « C’est ce que nous craignons et voulons surtout éviter », avoue Gérard Travers, maire de Montigné-le-Brillant.
En attendant, Patrice et Josiane Garanger doivent continuer à travailler pour compenser leur perte. Lui a trouvé un emploi dans un élevage de chevaux, tandis qu’elle est devenue vendeuse dans un magasin. Leur retraite, qu’ils espéraient paisible, s’est transformée en une interminable bataille judiciaire. Pendant ce temps, les vaches continuent de donner leur lait. Mais les revenus, eux, ne tombent pas dans les bonnes poches.
À lire aussi : Traite d’êtres humains dans l’agriculture : un réseau familial devant la justice en Gironde

Aucun commentaire
Vous devez être connecté pour commenter.
Chargement