Société
Pécresse et la laïcité sélective : des caricatures pour tous, sauf pour « le Prophète »
Valérie Pécresse a annoncé au micro de BFMTV, lancer un programme éducatif qui prétend sensibiliser les élèves à la liberté d’expression, par l’exposition de caricatures de diverses religions, à l’exception notable de celles représentant le prophète Mahomet.
En ce 13 novembre, la France se souvient des événements tragiques qui ont secoué Paris il y a neuf ans : les attentats du vendredi 13 novembre 2015. Cette attaque coordonnée, revendiquée par Daech, a marqué un tournant dans la conscience collective, un rappel brutal de la menace du fondamentalisme islamiste sur les valeurs républicaines. C’est en ce jour lourd de mémoire, que Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, a dévoilé un programme régional destiné à promouvoir la laïcité dans les lycées. L’objectif ? Sensibiliser les élèves à la liberté d’expression par l’exposition de caricatures de diverses religions, mais – et c’est là que le bât blesse – en excluant soigneusement celles représentant le prophète Mahomet. La manœuvre a de quoi surprendre. Pécresse semble opter pour un menu à la carte : un peu de critique ici, mais attention, pas trop là.
L’hypocrisie de Pécresse pointée du doigt
La toile n’a pas tardé à s’enflammer face à ce que beaucoup perçoivent comme une incohérence majeure. @jon_delorraine, résume l’indignation de nombreux internautes : « Valérie Pécresse veut un programme sur les caricatures pour les élèves, visant à se moquer des religions. Mais elle interdit celles de Mahomet. Jésus, oui. Mahomet, non. Toute l’hypocrisie de cette fausse droite. » Ce tweet cinglant reflète un sentiment largement partagé : à quoi bon défendre la laïcité si c’est pour l’adapter aux sensibilités de chacun ?
🔴ALERTE INFO
Valérie Pécresse veut un programme sur les caricatures pour les élèves, visant à se moquer des religions.
Mais elle interdit celles de Mahomet.
Jésus, oui. Mahomet, non.Toute l’hypocrisie de cette fausse droite. pic.twitter.com/YSSRoKxxK3
— Jon De Lorraine (@jon_delorraine) November 13, 2024
De son côté, le sénateur RN Aymeric Durox, a fustigé l’utilisation du terme « Prophète » pour désigner Mahomet, rappelant qu’en tant qu’élue de la République, Valérie Pécresse aurait dû adopter une terminologie plus neutre. Il a par ailleurs été le premier à soulever la controverse. Durox a ainsi déclenché un débat sur la cohérence même de l’initiative et la manière dont elle est perçue dans le cadre des valeurs républicaines, remettant en cause l’intégrité du programme proposé.
🔴 SOUMISSION
En ce 13 novembre de sinistre mémoire, @vpecresse affirme, en paraissant quelque peu gênée, que dans le cadre d’un nouveau programme régional censé défendre la laïcité, beaucoup de caricatures se moquant des religions seront montrées aux lycéens, mais pas celles «… pic.twitter.com/Gfwkkm98gT
— Aymeric Durox (@AymericDurox) November 13, 2024
« V. Pécresse choisit donc le #pasdevague. Mais en achetant honteusement la paix sociale, ce n’est pas la paix qu’elle favorise, mais la soumission qu’elle installe insidieusement. On n’abandonne pas du terrain aux islamistes, on les combat pied à pied. » Sur le plan symbolique, cette décision pose un problème fondamental : elle semble valider la thèse des terroristes et des extrémistes selon laquelle la représentation de Mahomet est intouchable.
Qu’en est-il du point de vue pecressiste ?
Les soutiens de Pécresse réfutent quant à eux les critiques des internautes et louent le caractère audacieux de l’initiative. Pour eux, malgré l’absence des caricatures de Mahomet, le programme intègre toutes les religions et demeure un acte de courage politique. Florence Mosalini Portelli, présidente du groupe Île-de-France Rassemblée, le résume dans un tweet : « @iledefrance lance un programme pédagogique sur l’humour, le droit de caricaturer et les valeurs de la République (…) qui d’autre que @vpecresse ose défendre ainsi la liberté d’expression ?? ». L’Île-de-France, est en effet la seule région à oser un tel projet, soutenu par Charlie Hebdo, pour promouvoir la laïcité et le droit de caricaturer.
La région @iledefrance lance un programme pédagogique sur l’humour, le droit de caricaturer et les valeurs de la République dans les lycées en partenariat avec @Charlie_Hebdo_ et @DessinezL ; qui d’autre que @vpecresse ose défendre ainsi la liberté d’expression?? @AymericDurox pic.twitter.com/R1dPFXaI8P
— Florence Mosalini Portelli (@FloPortelli) November 13, 2024
Pierre Liscia, Conseiller régional délégué à la laïcité, ne manque pas de souligner l’importance de cette initiative face aux critiques, y compris celles de l’extrême droite : « L’annonce par @vpecresse d’un projet pédagogique dans les lycées monté avec Charlie Hebdo donne des vapeurs à l’extrême-droite… 10 ans après les attentats, fier d’être la 1ère région à sensibiliser les jeunes à la liberté d’expression et au droit de caricaturer les religions ! ». Pour ses défenseurs, ce programme est un coup de maître, la première initiative régionale à inscrire la liberté d’expression et le droit de caricaturer au cœur de l’éducation des jeunes, un défi relevé avec fierté malgré les polémiques.
Une concession qui réveille le spectre du 13 novembre 2015
Un choix d’autant plus choquant en pleine commémoration des attentats du 13 novembre et alors que le procès des complices de l’assassinat de Samuel Paty s’est ouvert une semaine plus tôt. Sauvagement assassiné en 2020 pour avoir osé montrer des caricatures de Mahomet, il est devenu le symbole de la liberté d’expression bafouée. Sa mémoire, comme celle des victimes du Bataclan et des autres lieux attaqués, est intimement liée à la défense intransigeante de la liberté face au terrorisme et à l’extrémisme.
“I’d rather die on my feet than live on my knees.” –Stephane “Charb” Charbonnier (1967 – 2015), publisher, Charlie Hebdo.
Je suis Charlie. pic.twitter.com/s8DXzy9JgT
— Sarah Ashton-Cirillo (@SarahAshtonLV) January 7, 2023
Comment justifier alors, de contourner cet héritage ? Comme le disait Charb, dessinateur de Charlie Hebdo assassiné le 7 janvier 2015, « Si on dit aux religions : vous êtes intouchables, on est foutus ». On se demande si Pécresse l’a jamais su.
Celui qui disait aussi qu’il « faut continuer à se moquer de la religion musulmane jusqu’à ce que l’islam soit aussi banalisé que le catholicisme » doit se retourner dans sa tombe. Et comment expliquer aux enseignants qui luttent pour défendre la liberté d’expression que certaines formes de critique religieuse sont plus acceptables que d’autres ?
Les avertissements du passé : Kamel Daoud et la leçon algérienne
La position de Valérie Pécresse semble en contradiction avec les analyses d’intellectuels avertis sur la question de l’islamisme. Kamel Daoud, écrivain franco-algérien et dernier lauréat du prix Goncourt, rappelle dans une interview pour le Journal du Dimanche : « Tous les fascismes commencent par s’en prendre aux livres, aux écrivains, aux traducteurs. » En d’autres termes, toute compromission, même minime, peut être le début d’un recul plus large. Or, l’exclusion des caricatures de Mahomet est perçue comme une concession à ceux qui utilisent la violence pour imposer leurs croyances.
Bravo à Kamel Daoud, qui remporte le Goncourt avec Houris (éditions Gallimard), 9 ans après avoir remporté le Goncourt du premier roman avec son succès Meursault, contre-enquête. Portant par l’écriture la voix brisée d’une mère aussi muette que son pays face à la décennie noire… pic.twitter.com/Z33hcN9DJL
— Michel Barnier (@MichelBarnier) November 4, 2024
Son avertissement prend une résonance particulière alors que l’Europe fait face à une résurgence des discours extrémistes. Si l’on cède aujourd’hui sur les caricatures, demain, ce seront les livres, puis les professeurs. Cette pente glissante, l’Algérie des années 1990 l’a connue, et la France ferait bien de ne pas l’oublier.
Laïcité au rabais : un pari risqué
Le 13 novembre rappelle aux Français le prix de la liberté et le danger des concessions faites au nom de la paix sociale. Pécresse a peut-être pensé jouer la carte de la sagesse en écartant les caricatures de Mahomet, mais la démarche a tout d’une capitulation camouflée en mesure prudente. Cette exclusion envoie un signal ambigu aux citoyens et aux enseignants qui se battent pour défendre la laïcité au quotidien. Elle laisse entendre que certaines sensibilités religieuses méritent plus de ménagement que d’autres, et par là même, elle remet en question l’égalité des religions devant la critique. Si l’on devait résumer cet article en une phrase : certaines croyances sont intouchables, d’autres pas.
À lire aussi : Kamel Daoud : le sacre du Goncourt 2024 pour une plume disruptive
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