Société
Jean-Baptiste Leon : « La France est devenue la patrie des mille et une allocs »
Jean-Baptiste Leon, directeur des publications chez Contribuables Associés, a répondu à nos questions sur la situation économique française, sur la dette ainsi qu’au sujet des politiques fiscales à adopter d’urgence. Entretien.
Peut-on préserver le principe d’État-providence tout en voulant adopter une politique fiscale plus souple ?
La France est devenue le nombril de la miséricorde universelle, la patrie des mille et une allocs. L’État materne les Français et les autres… Résultat, l’État-Providence nous coûte « un pognon de dingue » pour reprendre l’expression du Président Macron à propos des minima sociaux. L’État-Nounou vit clairement au-dessus de nos moyens. Oui, c’est bien cet État-Providence, qui prétend s’occuper de tout (et souvent mal) et de tout le monde qui vaut à la France le record des dépenses publiques (34,7 % du PIB en 1960 contre 58,3 % en 2022), des prélèvements obligatoires (30,3 % du PIB en 1960 contre 45,4 % en 2022) et des réglementations arbitraires. Les Français sont agonis d’impôts pour financer des services publics qui ne sont plus au niveau. Pour sauver ce qui peut encore l’être, il faut revoir le périmètre d’action de la sphère publique, l’État doit se concentrer sur l’essentiel (à savoir les missions régaliennes) et faire le tri dans les dépenses sociales.
Pourquoi la fraude sociale est-elle passée sous silence ? Alors que, rappelons-le, une fraude sociale est une fraude fiscale.
La cécité de l’État en matière de fraudes sociales est d’autant plus dommageable que le montant de la fraude grossit chaque année. Un récent rapport parlementaire a évalué le montant potentiel des fraudes sociales non détectées entre 14 et 45 milliards d’euros par an. Le nombre de cartes Vitale en surnombre, essentiellement localisées à l’étranger, approche les 5,3 millions, selon la Cour des comptes. Alors que de trop nombreuses personnes sont contraintes de renoncer à des soins faute de moyens suffisants, la fraude mine le pacte social, en même temps qu’elle met en péril nos finances publiques.
Cela dit, le gouvernement vient de faire un (petit) pas dans la bonne direction. Bercy a dévoilé au mois de mai dernier un plan de lutte contre la fraude sociale. Une première depuis des décennies. Le gouvernement a également durci les conditions de résidence en France conditionnant la perception des allocations sociales. C’est une bonne chose. Mais il faut aller plus loin encore. Contribuables Associés demande notamment que les personnes condamnées pour fraude sociale soient définitivement exclues du bénéfice de toutes aides et prestations sociales.
La France est championne d’Europe des prélèvements obligatoires et pourtant, les services publics sont de plus en plus absents et de qualité souvent médiocre ou en passe de le devenir. Comment expliquer cette situation unique ?
Effectivement, la France craque de partout. Comme l’illustre le sondage Ifop/ Contribuables Associés, une part croissante de nos compatriotes n’en peut plus de cette prédation fiscale couplée à une incurie publique généralisée. Les Français sont bien trop taxés et bien mal servis. Cet état de fait tient pour beaucoup à la bureaucratisation de notre pays, à la surabondance de personnel administratif dans l’Éducation nationale, les services de santé, les transports, etc. L’OCDE a examiné le coût de production des services publics en Europe. Résultat : la suradministration à la Française nous a coûté, en moyenne et en 2021, 70 milliards d’euros de plus qu’à nos voisins européens. Dans les faits, cela veut dire beaucoup de cols blancs dans les bureaux, mais beaucoup moins de personnels sur le terrain. Conséquence, les services publics se délitent pour l’usager. En France, 35,22 % des emplois hospitaliers ne sont pas médicaux ; en Allemagne, c’est 24 %. Les Allemands sont-ils moins bien soignés que nous ? Sûrement pas.
Lors des émeutes, Agnès Verdier-Molinié a remis au goût du jour le principe de “casseur-payeur”, ce dernier a-t-il une chance d’être appliqué ? ?
Les violences urbaines ont révélé une forme d’impunité pécuniaire des émeutiers (même si 95 % des personnes arrêtées ont été condamnées) responsables de la destruction des biens privés et publics du pays. Pour ce que l’on en connaît, les moyens financiers mobilisés dans ces quartiers sont gigantesques : l’État consacre à la politique de la ville environ 10 milliards d’euros chaque année (9,6 milliards en 2019), selon la Cour des comptes. Auxquels se rajoutent les dizaines de milliards investis au titre de la rénovation urbaine depuis 20 ans. Celle-ci aura engagé 90 milliards d’euros d’investissements publics et privés d’ici à 2030.
Faire payer les émeutiers (ou leurs parents quand ils sont mineurs) pour les biens qu’ils ont dégradés semble être une mesure de bon sens. Mais rien ne sera fait en ce sens par manque de courage politique. L’exécutif et leurs relais locaux vont plutôt chercher, comme toujours, à acheter la paix sociale à coups de milliards (qu’ils n’ont pas) et lancer un énième plan banlieue. Une nouvelle fois, le gouvernement ne parviendra à rien d’autre qu’à appauvrir les contribuables et à entretenir des cités interdites.
La France se doit-elle d’appliquer de vraies politiques libérales afin de rapatrier ces industriels partis à l’étranger ?
Depuis les années 1970, le secteur industriel n’a cessé de décliner en France. Dans les années 1960, il représentait un tiers des richesses produites. Aujourd’hui, ce n’est même pas un cinquième et le nombre de cadres du secteur a dépassé celui des ouvriers. L’Allemagne a fait le choix inverse et a réussi à conserver son industrie (27 % du PIB). Comment a-t-elle fait ? Il suffit de regarder la marge brute d’autofinancement, c’est-à-dire le résultat net de l’entreprise après impôts. En Allemagne, elle s’élève à 21 % ; en France 17,6 %.
Quelle usine irait s’installer en Lorraine, alors que quelques dizaines de kilomètres plus loin, elle peut gagner plus ? L’Allemagne, contrairement à la France, n’a pas matraqué fiscalement ses entreprises avec des impôts sur les sociétés tellement élevés qu’ils ont conduit à la fermeture de milliers d’usines qui recouvraient notre territoire. Le gouvernement pourra lancer tous les plans de communication qu’il souhaite, s’il n’y a pas une baisse substantielle des impôts et taxes pour inciter à investir chez nous, la France industrielle demeurera un doux rêve.
Est-ce qu’Emmanuel Macron est vraiment différent sur le fond de son prédécesseur François Hollande sur la question de la dette ? N’exerce-t-il pas une politique sociale-démocrate Keynésienne du financement de notre économie par la dette sans contrepartie ?
La réponse est simple, il n’est pas différent : il est pire. Le taux de prélèvements obligatoires actuel atteint un niveau jamais vu sous François Hollande. Celui-ci ne passe pas pourtant pour être un grand ami des contribuables… Emmanuel Macron a continué le désastre économique mis en place par ses prédécesseurs ; une politique du chèque et de la dépense faciles. Et la crise du Covid-19 ne justifie pas tout.
Malheureusement, les problèmes n’ont pas commencé avec Emmanuel Macron… Depuis 1975, pas un seul budget n’a été voté en équilibre par le Parlement français. Depuis, près de 50 ans, la France accumule, année après année, les déficits. Aujourd’hui, la dette publique officielle (sans compter la dette « hors bilan » qui tient compte notamment des paiements futurs des retraites des agents publics) dépasse les 3 000 milliards d’euros. Ce qui représente une dette publique à rembourser de 44 000 euros par habitant. Aujourd’hui, tout nouveau-né démarre donc dans la vie avec 44 000 euros d’endettement public ! Au début du 1ᵉʳ quinquennat d’Emmanuel Macron, en 2017, la dette s’élevait à 32 000 euros par habitant. Sur les 600 milliards de dette accumulés en cinq ans, seule la moitié est imputable à la crise Covid. Malgré des impôts et des taxes maintenus à des taux exorbitants, l’État dépense plus qu’il ne prélève sur les contribuables, renvoyant sur le dos des générations futures le règlement des dépenses du moment.
Sur la question de la dette, sachant que la France est endettée à hauteur de 112.5 % de son PIB, quels seront les impacts à moyen et long terme pour les contribuables ?
Nous avons coutume de dire à Contribuables Associés que la dette d’aujourd’hui, ce sont les impôts de demain. La dette publique est une menace pour le portefeuille des Français, mais aussi pour notre souveraineté. La moitié des détenteurs de la dette publique sont extérieurs à la France. Laisser développer la dette française fait courir le risque de devenir de plus en plus dépendants de nos créditeurs et de la Banque centrale européenne. L’accroissement de la dette française est largement dû à la volonté de faire cavalier seul : alors que la plupart des pays de la zone euro ont tranché dans leurs dépenses publiques, la France a laissé les compteurs tourner malgré les salves d’avertissements lancées par la Cour des comptes et des associations comme Contribuables Associés.
À court terme, la situation n’est pas près de s’améliorer : les saccages qui ont accompagné les émeutes de juin 2023 vont coûter des milliards d’euros à la collectivité. Et il est à craindre que l’État ne se tourne à nouveau vers les marchés financiers et ne s’endette afin de rebâtir ce que les insurgés ont détruit.
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1 commentaire
Sophie Lavorel
La patrie des 1000 et 1 allocs et aussi la patrie des 1000 et 1 régimes spéciaux pour tel territoire ou telle fonction.
Qui paye tous ces cadeaux illégitimes ? Le clampin honnête continental qui a ” la chance” de payer des impôts.
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