Société
Driss Ghali : « L’interdiction de l’abaya est une mesure d’hygiène identitaire »
Driss Ghali est essayiste et membre du comité stratégique de Livre Noir, il a notamment publié le livre numérique « De la diversité au séparatisme. Le choc des civilisations ici et maintenant. » Il revient en entretien sur l’interdiction de l’abaya à l’école.
Face à l’augmentation des atteintes à la laïcité à l’école, Gabriel Attal a décidé d’interdire le port de l’abaya dans les établissements scolaires. Que pensez-vous de cette décision ?
Cette interdiction de l’abaya est assurément une chose bonne et nécessaire. Je ne vois pas, à titre personnel, un quelconque opportunisme électoral dans cette démarche ou une diversion qui permettrait de ne pas aborder des sujets plus importants comme on a pu l’entendre. Lorsqu’il y a un incendie quelque part, il faut l’éteindre, inutile de demander aux pompiers si c’est le bon timing ou non.
Si Gabriel Attal a eu raison de faire cela, il y a néanmoins un bémol : le sujet semble réduit à une question administrative alors qu’il s’agit d’un problème civilisationnel et politique. Il aurait fallu que le ministre prononce un discours et explique ce que signifie cette interdiction en montrant ce qu’elle a de réellement positif. Car interdire l’abaya, c’est en fait autoriser l’égalité entre les femmes et les hommes, c’est autoriser la fraternité et la République. Cette mesure permet à celles et ceux qui veulent et peuvent s’assimiler de le faire. En prononçant cette interdiction, on affirme la France et la France n’est pas un pays où les filles portent l’abaya. Ce discours a malheureusement manqué.
Quelle pourrait être la conséquence de cette absence d’explication ?
Je crains que l’on reste sur une mesure très technique et non assumée. Gabriel Attal ne doit pas convaincre ses adversaires, mais il doit être en mesure de leur opposer un argument et non pas une simple mesure répressive. Le vide qu’a laissé Attal et le gouvernement en général permet aux thèses de la persécution d’avancer. Or, la France ne persécute pas l’islam. Le ministre aurait dû expliquer que la France est probablement le seul pays où les musulmanes ont accès à une éducation gratuite aussi riche et avancée. À ma connaissance, il n’existe aucun pays musulman où les femmes ont accès à une telle offre éducative, du primaire au baccalauréat, gratuitement. La France suit son propre chemin et ce n’est pas celui de l’islam. Il s’agirait de dire ce qu’est la France, mais ce discours viendra peut-être plus tard.
Emmanuel Macron a justifié l’interdiction au cours d’une interview avec le journaliste Hugo Décrypte en évoquant une « minorité de gens qui, détournant la religion, viennent défier la République et la laïcité », le président a aussi évoqué l’assassinat de Samuel Paty. Cette justification était-elle la bonne ?
Cette déclaration est empreinte de bon sens, mais on ne peut pas dire qu’Emmanuel Macron ait beaucoup agi sur le sujet. Le président n’a pas aidé le personnel de l’éducation nationale à tenir le coup face à l’offensive islamique. Nous sommes en 2023 et une offensive est en cours, il faut fournir des armes et des munitions à la République, je n’en vois pas. Le service public n’aborde pas le sujet.
Il s’agit d’une attaque contre la République certes, mais c’est avant tout une attaque contre l’identité française que certains veulent rendre islamique ou africaine. Mais monsieur Macron ne peut le dire parce qu’il n’aime pas la France et qu’il ne la perçoit pas. Le président ne fait pas la différence entre la France et la Belgique ou la Suisse Romande. La France, c’est une patrie, une identité, une langue, un mode de vie. Nous sommes en train de discuter de l’abaya, pas de la mini-jupe. Les femmes en France sont visibles et admises dans l’espace public. Macron veut défendre la République, mais une République peut changer ses règles, la France, c’est autre chose. C’est cela qui manque dans le discours. L’abaya est un défi lancé à la femme française, à vos sœurs, vos femmes, à vos mères et à vous-mêmes.
Quelles raisons poussent les jeunes à porter l’abaya ?
Il y a de multiples facteurs qui se conjuguent. Certaines porteuses d’abaya sont sous l’emprise des frères musulmans ou d’autres groupes radicaux qui mènent une offensive en testant la République française. Cela fonctionne comme un test immunitaire. Mais ce n’est pas la seule raison.
Certains jeunes, quant à eux, sont dans la pure et simple provocation parce qu’ils sont motivés par une haine de la France. Ils ont essayé le rap anti-France, l’américanisation et désormais, ne sachant plus que faire, ils utilisent l’abaya. Provoquer la France est une sorte de sport et on ne peut attendre du respect envers la République si elle ne réagit pas.
Mais il y a une troisième raison, qu’il serait très intéressant d’analyser de près, c’est la quête identitaire qui existe chez certains jeunes. Ces derniers vivent à cheval entre deux cultures. S’ils refusent de s’assimiler à la France, ils ne sont pas pour autant véritablement maghrébins, car ils sont nés et ont grandi en France comme leurs parents et leurs grand-parents. Ils se réfugient dans l’abaya, qui est une sorte de safe place, un moyen de se trouver une identité. Cette mise en scène de la victimisation est aussi une forme d’identité. Ces jeunes femmes se disent : « je me mets dans une bulle de sécurité où je m’invente une histoire de victime de la République. » Il existe ainsi une diversité de situations qui n’est malheureusement pas analysée par les médias.
Comment faire pour « reconquérir » ces jeunes qui souffrent d’une tension identitaire ?
Il faut expliquer aux gens ce qu’est le projet français, en face, vous avez des islamistes qui surfent sur un malaise identitaire. Vous avez des millions de jeunes issus de l’immigration, ils sont français, mais quoi qu’ils fassent, ils sont traversés par des tensions identitaires. Les islamistes en profitent. Il faut assumer l’identité française. Il faut rayonner, être vu
Certaines figures de gauche ont dénoncé la décision, à l’instar de Manuel Bompard, coordinateur de la France Insoumise qui a parlé de « police du vêtement » et qui a jugé la mesure contraire au féminisme. Que pensez-vous de cet argument ?
Il me semble que depuis la pandémie de la covid, Gabriel Attal n’a pas de leçons à recevoir au sujet de la « police du vêtement ». Toute la gauche bien-pensante s’est s’est comportée comme une véritable police du vêtement au cours de l’épidémie. Nous avons rendu acceptable le fait que la République ait son mot à dire sur les vêtements des gens. L’interdiction de l’abaya, c’est une mesure d’hygiène identitaire. La santé d’une société ne se résume pas à l’immunité des corps contre un virus. C’est aussi l’union autour de codes qui ne choquent pas et qui ne remettent pas en cause ce qui va de soi pour le collectif.
Il y aura toujours des gens brillants qui instilleront le doute, qui nous expliqueront que l’abaya est un symbole féministe dans une société où les femmes sont sexualisées. Certaines femmes sont indépendantes financièrement et socialement, mais elles portent le voile comme une compensation. Ce signe leur permet de se poser une limite à elles-mêmes, car elles refusent de devenir occidentales. Mais certaines mesures, comme celles qui concernent le voile ou l’abaya, ne doivent pas être discutées. Toutes les normes sont fragiles, voir arbitraires, et c’est pour cette raison que les religions, elles, ne débattent pas des normes.
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