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Cour de cassation au Maroc : l’annulation de la première condamnation pour viol conjugal suscite l’indignation
L’annulation de la première condamnation pour viol conjugal au Maroc par la Cour de cassation, relance un débat brûlant sur le vide juridique entourant les violences sexuelles au sein du mariage.
Le 10 octobre 2024, la Cour de cassation du Maroc a annulé la première condamnation pour viol conjugal de l’histoire du pays, renvoyant l’affaire devant la cour d’appel de Tanger pour réexamen. Cette décision marque un tournant controversé dans la lutte contre les violences conjugales au Maroc, où le viol conjugal reste un sujet tabou et mal défini par la loi. Cette condamnation, saluée à l’époque comme un pas en avant pour les droits des femmes, vient d’être remise en question.
Les faits et la décision de la Cour
En 2019, la cour d’appel de Tanger avait jugé un mari coupable de viol et d’agression sexuelle violente sur son épouse, se basant sur les articles 485 et 486 du Code pénal marocain, relatifs aux atteintes à l’intégrité physique et aux agressions sexuelles. Il s’agissait alors de la première reconnaissance juridique du viol conjugal dans un pays où la loi ne mentionne pas explicitement ce crime. L’épouse avait fourni des preuves médicales de blessures graves, corroborant ses accusations.
Toutefois, la Cour de cassation, plus haute juridiction du pays, a cassé cette condamnation pour des raisons procédurales, sans remettre en cause les accusations de la victime. La défense a fait valoir des vices de procédure, arguant que le droit de l’accusé à un procès équitable n’avait pas été entièrement respecté. Cette décision a ravivé les tensions autour d’un sujet déjà sensible, alors que des associations féministes crient à un recul judiciaire.
Vide juridique et viol conjugal : une protection légale encore insuffisante
Le principal obstacle à la reconnaissance du viol conjugal au Maroc réside dans l’absence de cadre légal clair. La loi 103-13 sur les violences faites aux femmes, adoptée en 2018, bien qu’elle renforce les sanctions contre les agressions, reste muette sur la question spécifique du viol conjugal.
Fouzia Yassine, Membre du bureau exécutif de l’Association démocratique des femmes du Maroc, souligne en effet que : « Cette reconnaissance fait partie de nos revendications. Or depuis longtemps, le code pénal [marocain] ne condamne pas et ne criminalise pas le viol conjugal ».
Les juges de la cour d’appel de Tanger avaient donc dû s’appuyer sur des articles relatifs aux violences volontaires et à l’attentat à la pudeur. Elle ajoute également que « Cette décision de la Cour de cassation est un peu choquante. C’est décevant ! ».
Cette ambiguïté juridique complique la condamnation des maris pour viol, car le mariage est encore perçu, par certains tribunaux, comme un espace où le consentement est présumé. Plusieurs associations, comme Tahadi pour l’égalité et la Citoyenneté, fondée en 2003, dénoncent ce vide légal qui favorise selon elles, l’impunité pour les auteurs de violences conjugales. « En faisant nos investigations, on découvre que beaucoup de femmes mariées subissent différentes formes de violences conjugales matérielles et psychiques et qui sont en fait la traduction de violence sexuelle au sein du couple », alerte la directrice de Tahadi.
Car certains maris n’hésitent pas à couper les ressources financières pour punir leurs épouses, lorsque celles-ci refusent ou expriment un manque d’enthousiasme face à des pratiques sexuelles qu’elles jugent inacceptables. « Ils cessent complètement de jouer leur rôle de pourvoyeur, privant ainsi le foyer et les enfants de soutien financier. C’est une forme de violence matérielle qui vient s’ajouter à celle, plus insidieuse, du chantage sexuel, une violence d’une extrême cruauté », déplore-t-elle.
Réactions divergentes : quelles implications pour l’avenir ?
Du côté des défenseurs des droits des femmes, cette annulation est perçue comme un recul majeur. C’est un coup dur pour les victimes, qui, privées de recours clairs, se voient à nouveau contraintes au silence, ou pire, à la soumission.
Pour d’autres, cette décision de la Cour de cassation doit être vue sous l’angle de la rigueur juridique, visant à assurer un traitement équitable pour tous, y compris les accusés, en évitant les erreurs de procédure.
L’annulation de cette condamnation pose donc la question de la réforme du système juridique marocain et relance le débat sur la reconnaissance pleine et entière des violences sexuelles au sein du mariage.
Au-delà du Maroc, cette situation soulève une question globale : comment les systèmes juridiques à travers le monde peuvent-ils mieux répondre aux violences sexuelles dans l’espace conjugal, un phénomène trop souvent ignoré ou minimisé ?
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