Immigration
Conseil constitutionnel : quelle espérance de vie pour la loi immigration ?
Saisi de la question par Emmanuel Macron, le Conseil constitutionnel rendra le 25 janvier son avis sur la constitutionnalité de la loi immigration. Quels arguments avance la gauche pour vider la loi de sa substance ?
À peine quelques jours après l’adoption par l’Assemblée Nationale de la loi immigration visant à « contrôler l’immigration, améliorer l’intégration », quatre saisines tombent. Le Président de la République, la Présidente de l’Assemblée Nationale, 60 députés et 60 sénateurs saisissent le Conseil constitutionnel dans l’espoir, pour la NUPES notamment, de vider la loi de sa substance, pour les autres. Par quels moyens espèrent-ils obtenir gain de cause et ont-ils une chance d’y parvenir ?
Le cavalier législatif, un fantasme de la gauche ?
Le 3 janvier 2024, après un examen minutieux de la loi immigration, France Info s’interroge. Des articles de cette loi pourraient-ils être considérés comme des cavaliers législatifs et, de fait, retoqués ? Un cavalier législatif, c’est le fait d’introduire dans un texte de loi, un amendement qui n’a aucun lien avec l’objet de la loi. Celui-ci est consacré par l’article 45 de la Constitution : « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis. »
Dans leur saisine du Conseil constitutionnel, les députés de la NUPES demandent aux juges de censurer 34 articles sur le fondement de l’article 45 de la Constitution, au prétexte qu’ils seraient des cavaliers législatifs. Ils estiment, par exemple, que l’article 2 bis A relatif à la déchéance de nationalité d’un individu binational, « s’il est condamné à titre définitif pour un acte qualifié d’homicide volontaire commis sur toute personne dépositaire de l’autorité publique », n’a aucun lien avec l’objet de la loi. Pour France Info, c’est Emmanuel Macron qui détermine l’objet du texte. Le média se fonde donc sur ses mots pour juger du lien de l’article 2 bis A de la loi. Ainsi, ils estiment que cette mesure pourrait être censurée.
Si l’on s’en tient aux intitulés officiels de la loi, l’article se situe dans le chapitre « Assurer une meilleure intégration des étrangers par le travail et la langue ». Le lien entre la déchéance de nationalité d’un coupable de meurtre sur un policier est ténu, certes, mais pas dénué de sens. En effet, la bonne intégration, passe aussi par la sévérité envers ceux qui la refusent. Si tuer un policier n’est pas un signe fort, qu’est-ce qui le sera ? Car le droit laisse aux juges une grande liberté d’interprétation, il est probable que la NUPES obtienne gain de cause à ce sujet. Cela dépendra de l’interprétation que font les juges de l’article 45.
Jusqu’où peuvent aller les principes fondamentaux ?
Dans sa saisine, la NUPES s’attaque à l’article qui conditionne le regroupement familial à la maîtrise d’un français « permettant au moins de communiquer de façon élémentaire ». Les députés estiment que celui-ci méconnait le principe de droit à une vie familiale normale et invoque la décision du 13 août 1993 du Conseil constitutionnel pour appuyer son argutie. Dans cette décision, le Conseil indique que « si le législateur peut prendre à l’égard des étrangers des dispositions spécifiques, il lui appartient de respecter les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République ; que s’ils doivent être conciliés avec la sauvegarde de l’ordre public qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle, figurent parmi ces droits et libertés, la liberté individuelle et la sûreté, notamment la liberté d’aller et venir, la liberté du mariage, le droit de mener une vie familiale normale ». L’article 2 de la Constitution de 58 dispose que « la langue de la République est le français. » Ainsi, l’on pourrait s’attendre à ce que le Conseil s’accorde sur le fait qu’une connaissance, même élémentaire du français, soit d’ordre public. D’autant que depuis 2013, près d’un million de personnes ont obtenu un premier titre de séjour pour motif familial.
Quid du délit de séjour irrégulier selon le Conseil Constitutionnel?
On se souvient de l’affaire Cédric Hérou. L’agriculteur a été condamné à 3 000 euros d’amende avec sursis pour avoir apporté son aide à des migrants dans le passage de la frontière Franco-italienne. Mais celui-ci ne s’était pas contenté de permettre un passage, il avait aussi apporté son aide au séjour et à la circulation des migrants au sein du territoire. Cette affaire est montée jusqu’au Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité par la Cour de cassation. C’est alors dans sa décision du 6 juillet 2018 qu’apparaît la fraternité comme principe à valeur constitutionnelle. Pour sortir ce nouveau principe, les sages se fondent sur la devise de la République, « Liberté, Égalité, Fraternité », consacrée à l’article 2 de la Constitution. Cette notion apparait également dans son préambule et dans son article 72-3 qui fait référence à l’« idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité ». À partir de là, le juge constitutionnel estime qu’il « découle de ce principe la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national », et d’ajouter qu’ « en réprimant toute aide apportée à la circulation de l’étranger en situation irrégulière, […] le législateur n’a pas assuré une conciliation équilibrée entre le principe de fraternité et l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public. »
Le Conseil constitutionnel pourrait-il alors faire valoir ce même principe pour censurer le délit de séjour irrégulier ? Dans sa décision de 2018, le Conseil constitutionnel rappelle « qu’aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national et qu’en outre, l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière participe de la sauvegarde de l’ordre public ». L’équilibre entre la fraternité et l’ordre public ne semble pas menacé par l’article établissant un délit de séjour irrégulier, qui présente ainsi peu de probabilité d’être retoqué.
Mise à jour : LR a déposé un mémoire pour défendre son texte devant le Conseil constitutionnel
LR a présenté directement ses observations par écrit au Conseil constitutionnel en « raison de l’absence de volonté du président de la République et du gouvernement de défendre » ce texte. Le parti estime que la loi ne contient aucun « cavalier législatif ». Ils assurent que « beaucoup des dispositions critiquées de la loi immigration ont déjà été validées par le Conseil constitutionnel par le passé et ont déjà été en vigueur dans notre droit ». Les Républicains citent par exemple « le rétablissement du délit de séjour irrégulier », dont ils estiment qu’il a déjà été déclaré conforme à la Constitution en 2011. Dans une décision du 9 juin 2011, le Conseil reconnaît qu’« aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national ; que les conditions de leur entrée et de leur séjour peuvent être restreintes par des mesures de police administrative conférant à l’autorité publique des pouvoirs étendus et reposant sur des règles spécifiques ; que l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière participe de la sauvegarde de l’ordre public qui est une exigence de valeur constitutionnelle » Selon eux, il en va de même avec « le durcissement des conditions du regroupement familial avec une durée minimale pour en bénéficier » qu’ils estiment validés par une décision de 1993 du Conseil constitutionnel. Dans ses observations, LR s’efforce également de démontrer que les dispositions de la loi immigration « respectent le droit de l’Union européenne et s’en inspirent ».
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