Immigration
Allocations familiales : la CJUE juge que les étrangers n’ont pas à prouver l’entrée régulière de leurs enfants en France pour en bénéficier
Le jeudi 19 décembre, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt important sur le versement des allocations familiales pour les étrangers. Si les Français n’ont pas à justifier que leurs enfants sont entrés légalement sur le territoire pour bénéficier des prestations sociales, il en va de même pour les étrangers qui résident légalement en France. Mais, sous couvert d’égalité, une conséquence surprenante se cache derrière cette décision ubuesque : un étranger arrivé illégalement avec sa famille peut, une fois régularisé, demander des allocations familiales pour ses enfants qui ne sont pas nés en France.
L’affaire jugée ce jeudi à Luxembourg remonte à 2008. Un ressortissant arménien arrive alors en France, en situation irrégulière avec sa femme et leurs deux enfants, nés en Arménie. En 2011, le couple a eu un troisième enfant, né en France. En 2014, le père, désormais titulaire d’une carte de séjour temporaire l’autorisant à travailler, a demandé à la CAF des Hauts-de-Seine de lui verser des allocations familiales pour ses trois enfants.
Cependant, la CAF a rejeté la demande pour ses deux premiers enfants nés à l’étranger, en raison de l’absence de documents prouvant leur entrée régulière en France.
Versement des allocations familiales, confusion jusque devant la Cour de cassation
Contestant ce refus, le ressortissant arménien a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nanterre, qui lui a donné raison. Cependant, en appel, la CAF a obtenu gain de cause. En 2022, nouveau rebondissement : la Cour de cassation a annulé l’arrêt et s’est rangée du côté du requérant arménien, en estimant que la directive européenne sur le permis unique, qui garantit l’égalité de traitement entre les travailleurs étrangers résidant légalement en France et les citoyens de l’Union, n’avait pas été correctement appliquée.
Toutefois, la Cour de cassation s’est sentie tout de même obligée d’éclaircir sa position. Elle a posé ce qu’on appelle une question préjudicielle à la CJUE, afin de savoir si elle interprète correctement le droit européen dans cette affaire. La France peut-elle exiger de prouver l’entrée régulière des enfants d’un travailleur étranger en France pour lui accorder des prestations sociales ?
Les étrangers doivent être traités sur un pied d’égalité avec les Français
Dans sa décision, la CJUE a tranché : « La Cour répond qu’il est contraire au droit de l’Union de subordonner le droit aux prestations familiales des ressortissants de pays tiers résidant régulièrement en France à une condition supplémentaire, consistant à devoir justifier de l’entrée régulière sur le territoire français des enfants au titre desquels les prestations familiales sont demandées. Imposer une telle condition réserve aux ressortissants de pays tiers un traitement moins favorable que celui des citoyens de l’État membre d’accueil ».
En d’autres termes, la Cour de Luxembourg a estimé qu’il est illégal de demander aux travailleurs étrangers résidant régulièrement en France de prouver que leurs enfants sont entrés régulièrement sur le territoire pour bénéficier des allocations familiales.
En effet, la juridiction européenne considère que cela crée une discrimination, car les citoyens français n’ont pas à fournir cette preuve pour leurs enfants. À ce titre, la Cour a rappelé que, selon le droit de l’Union, les travailleurs étrangers en situation régulière doivent être traités sur un pied d’égalité avec les citoyens nationaux. Les États membres ne peuvent imposer de restrictions supplémentaires aux allocataires de la CAF qui ne sont pas français, sauf exceptions très précises prévues par le droit européen.
Des allocations familiales pour les familles étrangères irrégulières
Cette décision ne concerne pas le scénario où des étrangers arrivent pour des raisons économiques, s’installent pour travailler et disposent d’un permis en règle. Pour ces derniers, la politique du regroupement familial reconnaît depuis bien longtemps que, s’ils viennent avec toute leur famille, ils ont droit aux prestations d’allocations familiales.
Pour autant, la Cour ne peut feindre d’ignorer une autre réalité : celle de ceux qui entrent illégalement sur le territoire. Tant qu’ils restent en situation irrégulière, ils n’ont pas accès à certaines prestations sociales. Cependant, une fois régularisés, certains droits leur deviennent accessibles.
Donc, avec son raisonnement, un ressortissant d’un pays extérieur à l’Union européenne, arrivé de manière illégale en France avec sa famille, sans emprunter le canal du regroupement familial, peut, une fois régularisé, demander le versement des allocations familiales pour ses enfants nés à l’étranger. Ici, sous couvert d’égalité de traitement, l’entrée illégale sur le territoire est indirectement encouragée.
Un arrêt qui fixe un précédent
Cet arrêt aura des répercussions importantes pour les ressortissants de pays extérieurs à l’UE arrivés illégalement sur notre sol, mais qui, avec un peu de patience et de persévérance, parviennent à se faire régulariser grâce à un permis de travail ou d’autres moyens.
En fin de compte, la décision ne se contente pas de résoudre un litige précis. Elle crée un nouvel appel d’air pour les prestations sociales garanties par la France, avec pour conséquence de minimiser l’importance des procédures d’entrée régulières sur le territoire. Après tout, pourquoi emprunter le chemin de la légalité quand les mêmes avantages vous sont offerts en bout de course ? Une décision qui ne manquera pas de faire des heureux.
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