Divers
François Lecointre : «Le récit que j’ai voulu faire de cet entre-guerres est un témoignage de soldat»
François Lecointre détaille dans son livre «Entre Guerres» le témoignage d’une confrontation à la réalité de la violence.
« Le combat ne m’a pas forgé le cœur et l’âme, il m’a simplement rendu lucide. J’en sais désormais suffisamment pour ne pas me croire préservé, par ma simple qualité d’homme, du surgissement de l’animal qui gît en moi. »
C’est avec un vif sentiment d’avoir été surpris que l’on achève ce mince ouvrage de François Lecointre, ancien Chef d’Etat-Major des Armées (2017-2021). Au-delà de l’évocation, ni linéaire ni anecdotique, d’une carrière militaire dense et édifiante, le général s’attelle sur une petite centaine de pages à un exercice bien plus périlleux et intéressant : celui de faire toucher le sens, en quelques chapitres seulement, de l’expérience militaire, du commandement solitaire des hommes, de l’épreuve réelle du combat et de la remise en question des illusoires “temps de paix” que les précédentes décennies ont tant appelé de leurs vœux.
Au travers de son récit, François Lecointre sensibilise
Au fil de la lecture d’Entre guerres, il devient évident que l’ancien CEMA a moins écrit cet ouvrage pour un public de lecteurs avertis sur la vie de nos armées que pour sensibiliser une plus large partie des Français à la réalité de l’engagement au service de la France, avec le constat que ces vies, très en décalage avec la vie moderne, sont désormais largement incomprises par nos concitoyens quand elles ne sont pas tout bonnement dépréciées et sciemment ignorées. En effet, depuis la fin du service militaire obligatoire, que représente le métier des armes pour un Français, si ce n’est le surgissement soudain, spectaculaire mais aussi évanescent, à intervalles réguliers de la mort d’un soldat en opération extérieure, d’une cérémonie aux Invalides et de quelques commentaires dans les médias, vite tombés dans l’oubli ? Au temps du désengagement des forces françaises du Sahel, que pourrait penser un citoyen lambda de l’expérience de milliers d’hommes pendant cette décennie au Mali, Niger, Tchad ou Burkina Faso, si ce n’est qu’elle fut un gâchis matériel et humanitaire ?
Ce récit, à la fois lucide et sensible, permet au lecteur de comprendre le sens du sacrifice, de la solitude qui frappe parfois l’officier peinant à comprendre le propre sens de sa mission, et enfin de la réussite par la seule voie du collectif qui prime sur toute notion de confort individuel.
Une incongruité dans une société individualiste où l’intérêt pour la vie des militaires s’arrête bien souvent à une dédaigneuse mise à distance : «oh moi tu sais je suis pacifiste !». Des bancs de Saint-Cyr aux plus hautes marches de la hiérarchie militaire, en passant par le Rwanda, la Somalie, la Bosnie ou l’Irak, ce fils destiné dès l’enfance à rejoindre une longue lignée de soldats nous livre ainsi un portrait clairvoyant et sans romantisme d’une génération d’officiers confrontée à la violence concrète de conflits d’un nouveau type, à une période où la société française aurait voulu reléguer la guerre au rang des archaïsmes en voie de disparition («[…] on attendait du droit que, sans la force, il triomphe de la violence.»). Les artisans de ces guerres en toute logique deviennent dans l’esprit collectif et peu averti des pions inutiles soupçonnés d’entretenir une appétence anachronique pour la barbarie du combat. Or le constat de François Lecointre est sans appel : la guerre, on ne peut ni la souhaiter ni l’enterrer.
Entre Guerres, le combat d’une vie
Entre guerres est un appel à la société française à regarder en face ses réalités intangibles que sont la permanence de la barbarie, l’acceptation d’une certaine violence nécessaire pour en chasser une autre, et la profonde humanité qui se joue pour le meilleur comme pour le pire dans l’expérience du combat et d’une vie à côtoyer la mort, la sienne d’abord mais aussi celle de ses hommes que l’on ne peut pas toujours sauver, parfois des années après, quand la lutte contre le choc post-traumatique est perdue et que certains renoncent à la vie : «Et puis il s’était donné la mort, ayant peut-être, un jour, observé sur son panache un pli qu’il était seul à voir. Ou plus certainement parce qu’on ne peut pas vivre ainsi, même quand on est un saint. Ce sinistre jour d’avril, dans l’antique abbatiale, devant sa veuve si courageuse et si digne, et qui s’efforçait, pour son fils et sa fille si jeunes, de contenir son chagrin, mon lieutenant, le brave parmi les braves, s’est soudain mis à sangloter comme un enfant. Et nous tous avec lui, nous avons pleuré notre frère perdu […]. Ô mes Forbans, mes frères, aidez-moi à ne jamais vous laisser déserter mon esprit !» (p.114)..
On retiendra de ce livre la belle déclaration d’amitié fraternelle que l’ancien Chef d’Etat-Major des armées exprime pour tous les hommes et les femmes de cette grande famille militaire, du plus simple soldat aux officiers généraux, en passant par les familles, et un avertissement à la société française sur l’importance de ne pas rejeter «le surgissement animal» qui gît en chacun de nous et le devoir pour chaque nation de se préparer au prochain combat.
Le témoignage de François Lecointre
«Le récit que j’ai voulu faire de cet entre-guerres est un témoignage de soldat. Le témoignage d’une confrontation à la réalité de la violence que, pendant ces quarante années, nous avons vécue dans l’indifférence et l’ignorance délibérée de la plupart de nos concitoyens […] Convaincus en toute bonne foi d’accéder enfin à un stade de civilisation ultime où l’homme devenu bon et débarrassé de ses instincts belliqueux serait désormais tout entier voué au bonheur tranquille de la jouissance matérielle, la plupart des Européens ne considéraient plus la guerre que comme une forme particulièrement abjecte de barbarie. Et ceux dont la vocation était de la faire comme la part la moins évoluée du genre humain» (p.11). Inutile de chercher ici l’opinion François Lecointre sur les sujets géopolitiques qui nous inquiètent, sur les stratégies à adopter ou les “scénarios noirs” de l’armée française. Ce court récit est plutôt un témoignage général, subjectif et sensible, de l’expérience du combat et du commandement qui peut nous évoquer, n’ayons pas peur de l’écrire, les récits réalistes et humanistes de Maurice Genevoix.
Éditions Gallimard
Parution : 11-04-2024
128 pages
Aucun commentaire
Loading