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Pierre Lellouche « Le régime algérien s’est longtemps appuyé sur un fonds de commerce bien identifié : la haine de la France ! »
[ENTRETIEN] Pierre Lellouche a accordé un entretien à Frontières. L’ancien ministre a évoqué les leviers potentiels de la France afin de faire face aux tensions croissantes avec l’Algérie. Il analyse également les pistes diplomatiques de Donald Trump, dans le but de mettre un terme à la guerre en Ukraine.
Cet entretien a été réalisé dans le cadre de notre matinale
Partagez-vous l’opinion du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, selon laquelle l’Algérie chercherait à humilier la France ?
Le ministre de l’Intérieur a raison lorsqu’il affirme que l’Algérie est en train de franchir un cap. Ce constat est indéniable et directement lié à la question du Sahara occidental ainsi qu’à la décision du président de la République de privilégier le Maroc au détriment de l’Algérie. Cette évolution s’inscrit dans une relation déjà dégradée avec l’Algérie. En effet, le régime algérien s’est longtemps appuyé sur un fonds de commerce bien identifié : la haine de la France.
Pour ce régime, tous les problèmes que rencontre l’Algérie seraient imputables à la France. Une fois ce mécanisme compris, il devient clair qu’une véritable amélioration des relations est difficilement envisageable. Pourtant, il a fallu du temps à la France pour saisir cette réalité.
Dans cette logique, le régime algérien adopte une stratégie particulière : il envoie une partie de sa jeunesse, qu’il est incapable d’employer, en France. Ainsi, la France se retrouve à gérer plusieurs millions de ressortissants algériens ou franco-algériens, tandis que les dirigeants algériens continuent de profiter de la manne pétrolière et gazière. Cette situation perdure depuis l’indépendance, sans véritable évolution.
L’Algérie est dirigée par un régime kleptocrate, qui n’hésite pas à réprimer violemment toute contestation. On se souvient des 200 000 morts de la guerre civile ou encore de l’échec du mouvement Hirak. Ce pays reste figé dans une impasse politique et sociale, alimentant sa survie par l’entretien d’une hostilité envers la France.
Cependant, un tournant a été amorcé récemment. La reconnaissance par la France de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental a provoqué une montée en intensité des tensions. Ce changement se traduit également par une pression croissante au sein de la communauté algérienne en France, qu’elle soit composée de Français d’origine algérienne, de binationaux ou d’Algériens résidant sur le territoire.
Pensez-vous qu’en matière de diplomatie, la France devrait opter pour une rupture nette avec l’Algérie, ou bien continuer à chercher des solutions pour améliorer les relations ? Quelles seraient les options possibles pour engager des négociations avec ce régime ?
Si la position de l’Algérie ne connaît aucune évolution, il serait nécessaire de prendre des mesures fermes et de cesser de maintenir une façade diplomatique inutile. Tenter d’acheter l’amitié du régime algérien, dans l’espoir qu’un système démocratique émerge et permette un jour des relations apaisées, s’avère vain. Il est illusoire d’attendre un tel changement, d’autant que plus de 60 ans se sont écoulés depuis l’indépendance. Les générations actuelles en Algérie n’ont jamais vécu la guerre d’indépendance, tout comme celles en France. Il est donc impératif de tourner la page.
Si ce tournant reste impossible, alors des mesures concrètes doivent être adoptées. Il est insoutenable de continuer à accueillir des dizaines de milliers d’immigrés tout en constatant un niveau de violence qui, malheureusement, est souvent associé à cette communauté. Cette réalité ne peut plus être ignorée.
Cependant, ces décisions ne peuvent être prises par le Premier ministre, le ministre de l’Intérieur ou encore celui de la Justice seule. Une impulsion forte doit venir du président de la République, soutenue par un véritable consensus politique. Or, ce consensus fait aujourd’hui défaut, ce qui laisse à l’Algérie une marge de manœuvre pour exploiter ces divisions au sein de la classe politique française.
Boualem Sansal reste sous le joug du régime algérien. Selon vous, quelles seraient les conditions pour que le pouvoir algérien accepte de le libérer, compte tenu de l’orgueil qu’il manifeste vis-à-vis de la France ?
L’attitude du régime algérien vis-à-vis de Boualem Sansal ne relève pas simplement d’un excès d’orgueil envers la France, mais bien d’une volonté de punition. Boualem Sansal est ciblé en raison de son opposition au régime algérien et de son soutien aux valeurs démocratiques que nous défendons en France. Cette posture du régime est claire : il s’agit de le sanctionner pour ses idées et ses prises de position.
Il est regrettable que la réaction officielle française ait été si modérée face à cette situation, sous prétexte de vouloir agir discrètement. Or, ce que fait l’Algérie n’a rien de discret : il s’agit clairement d’un acte de chantage politique, comparable aux méthodes employées par l’Iran. À titre d’exemple, un ressortissant français est actuellement emprisonné à Téhéran uniquement dans le cadre d’un chantage diplomatique. La situation de Boualem Sansal s’inscrit dans une logique similaire.
En tant que signataire des appels en faveur de sa libération, je considère qu’il est essentiel de dénoncer publiquement cet acte de répression. Boualem Sansal est un otage politique, et il ne faut pas chercher à dissimuler cette réalité, mais au contraire la mettre en lumière et riposter avec fermeté.
Je suis profondément inquiet pour lui, car il semble difficile d’envisager que l’Algérie accepte de faire un geste dans ce contexte. Le régime persiste à voir la France comme responsable de tous ses maux, ce qui complique toute avancée. Cela renforce la nécessité d’adopter une position ferme et de cesser les demi-mesures.
Enfin, cette situation pose une question de fond : la reconnaissance par la France de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Était-ce une décision judicieuse ? Boualem Sansal est puni pour avoir soutenu cette position et avoir osé en parler publiquement. Cette question, bien que sensible, mérite d’être examinée avec clarté et courage.
Pensez-vous que Donald Trump représente une opportunité crédible et pertinente pour mettre fin à la guerre en Ukraine dès le début de son mandat ?
Oui, je pense que cette situation peut véritablement être un game changer, comme on dit en anglais. Elle pourrait effectivement modifier profondément les dynamiques en cours. Pourtant, la guerre en Ukraine engendre, comme je le décris dans mon livre, des conséquences extrêmement négatives pour tout le monde, et particulièrement pour l’Europe. Les répercussions sont déjà complexes et le seront davantage.
C’est pourquoi, dès le début – avant même l’éclatement de ce conflit – j’avais appelé à explorer l’option diplomatique. Non pas par un pacifisme naïf, mais parce que cette montée des tensions, qui dure depuis 30 ans, méritait une approche réfléchie. Depuis l’indépendance de l’Ukraine, les Russes n’ont jamais véritablement accepté la séparation de ce pays, qu’ils considèrent comme intrinsèquement lié à leur identité nationale. Ce contexte historique, je l’explique en détail dans mon ouvrage.
Nous devons cependant reconnaître que l’Occident porte une part de responsabilité dans cette crise. Nous avons refusé d’entendre les préoccupations exprimées par la Russie et adopté une posture ambiguë. En effet, nous n’avons ni préparé une réelle défense de l’Ukraine, en consacrant les efforts militaires nécessaires, ni adopté une position diplomatique claire. Parallèlement, nous avons renforcé notre dépendance au gaz russe, à l’image de l’Allemagne, tout en prétendant défendre l’Ukraine. En réalité, nous n’avons rien défendu.
Lorsque la Russie, en réaction à l’expansion de l’OTAN vers l’Est, a estimé qu’il était nécessaire de stopper cette dynamique en annexant l’Ukraine, nous nous sommes retrouvés pris au dépourvu. À ce moment-là, nous n’avions ni une véritable option diplomatique, ni les moyens d’agir militairement. Cette absence de stratégie cohérente a contribué à la situation actuelle, avec des conséquences graves pour l’Europe et au-delà.
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