Société
[Contrenquête] Non, la montée du RN n’est pas « la faute des médias »
Une opinion très largement répandue à gauche voudrait que les médias soient responsables de la montée du RN et des idées du camp national en France. Jamais étayée, cette excuse au reflux de la gauche est contredite par les enquêtes d’opinion.
Depuis l’émergence de la galaxie médiatique Bolloré, une idée a largement fait son chemin à gauche : si le RN et les idées nationales ne cessent de monter, ce serait la faute de CNews et de la diversification de l’offre médiatique à droite. Cette idée, jamais vraiment argumentée, semble pourtant largement contredite par les enquêtes d’opinion.
Le 10 avril 2022, jour du suffrage au premier tour de l’élection présidentielle, une grande enquête de l’Ifop avait interrogé près de 3 800 Français sur leur vote, mais aussi leur opinion sur la campagne du premier tour qui s’achevait alors. Les sondés y étaient à ce moment-là interrogés sur les moyens d’informations qu’ils jugeaient utiles durant cette campagne.
Alors, les électeurs du RN étaient-ils, comme le prétendent nos chers confrères de Blast, bien plus soumis à l’influence de la télévision et des « médias » – médias dans lesquels la gauche n’est jamais comptée malgré l’abondance de l’offre politique ?
Comparons les moyens d’information jugés « utiles » pour deux candidats : Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Logiquement, les électeurs du RN – à écouter la gauche – devraient être bien plus largement soumis à l’influence des émissions politiques et des chaînes de télévision étant donné que « les médias poussent à voter pour l’extrême droite ».
LFI et RN : une méthode d’information similaire
Intéressons-nous tout d’abord à la télévision. Selon la plupart des personnalités de gauche, ce serait elle, la principale responsable de la « montée de l’extrême droite ». Ainsi, on voterait pour le RN parce qu’on a regardé CNews, voire BFMTV – chaîne éminemment centriste pourtant accusée de faire le lit du camp national en le « normalisant ». Pour retrouver cet argumentaire, il suffit d’ailleurs de regarder l’émission Rhinocéros du média d’extrême gauche Blast qui consiste généralement à une longue offensive d’une vingtaine de minutes contre les médias qui seraient parmi les seuls responsables des scores du RN.
Or, cette affirmation ne résiste pas à l’épreuve des chiffres. Selon le sondage de l’Ifop donc, les comportements des électeurs de LFI et du RN à la présidentielle de 2022 en matière d’information sont très proches. Ainsi, sont jugés « utiles » :
- Les journaux télévisés, à 52 % pour LFI et 54 % pour le RN ;
- Les émissions politiques à la télévision, à 58 % pour les deux ;
- Les débats télévisés entre les candidats, à 54 % pour LFI et 59 % pour le RN.
Autrement dit, regarder la télévision n’est visiblement pas un marqueur différenciant, sauf à la marge, entre les deux opposants. Mais allons plus loin, puisque plus largement, ce sont également le service public – qui basculerait à droite – et « les » médias en général qui seraient en cause.
Ainsi, sont jugés « utiles » :
- La radio, à 40 % pour LFI et 33 % pour le RN ;
- La presse quotidienne nationale, à 39 % pour LFI et 33 % pour le RN ;
- Les sites internet d’information, à 43 % pour LFI et 32 % pour le RN ;
- La presse quotidienne régionale, à 31 % pour LFI et 30 % pour le RN.
Plus concrètement, la presse en général est loin d’être boycottée par LFI. Sur les réseaux sociaux, eux aussi accusés, on remarque qu’ils sont pour le coup entre 1 et 7 % jugés plus utiles par la gauche, qui les utilise largement pour s’informer.
Cependant, les habitudes électorales de la gauche ne sont pas une preuve en soi que les médias ne poussent pas à voter pour le camp national, bien qu’ils en soient un indice.
Une presse de gauche
Un institut libéral-conservateur, de droite donc, avait réalisé une estimation sur les idées politiques des intervenants sur les chaînes de télévision ou radios du service public. Il s’agit de l’Institut Thomas More, qui avait rendu en mai 2024 une grande enquête intitulée : « L’audiovisuel public français est-il pluraliste ? » Si leur travail sera nié par la gauche, l’honnêteté intellectuelle exigerait qu’elle accorde a minima son adhésion quant aux tendances lourdes qui y sont révélées.
On y apprend notamment que, sur l’audiovisuel public en général, si 50 % des personnalités sont qualifiées d’« inclassables », la moitié des 50 % restants sont classables à gauche. Pour le reste, 21 % sont identifiées à la « majorité » – le centre donc – et seulement 4 % à la droite.
Alors, la gauche, fidèle à ses principes, arguera que Macron est de droite, qu’il s’agit d’un grand réactionnaire fascisant. Cela placerait le centre dans le camp de la droite, soit la moitié du spectre.
Or, à en suivre les résultats des dernières élections nationales – les européennes –, la gauche dans sa totalité ne pèserait que 33 % des suffrages ! De même, le centre, qui avait réuni 20 % des voix, réunit en fait 42 % du paysage audiovisuel public. La droite, des Républicains au RN, a quant à elle rassemblé 46 % des voix, mais uniquement 8 % des personnalités classables. L’ordre de grandeur donne le vertige.
Sans surprise, France Culture serait la radio la moins représentative avec seulement 1 % de personnalités de droite (gauche, 28 %). Malheureusement, niveau télévision, la situation n’est guère meilleure : France 2 ne rassemblerait que 3 % de personnalités de droite. Enfin, faut-il le rappeler ? la directrice de France Inter Adèle Van Reeth avait revendiqué l’orientation « progressiste » de sa radio ; Delphine Ernotte, patronne de France Télévisions ayant quant à elle déclaré ne pas souhaiter représenter la société française telle qu’elle est, mais « telle qu’on voudrait qu’elle soit ».
Problème, il n’existe pas de sondage en France sur l’orientation politique des journalistes. Si on peut trouver des chiffres – d’ailleurs assez éloquents – sur des votes réalisés dans les écoles de journalisme, il faut rappeler que tous ne trouvent pas un travail et que nombre de journalistes ne sont pas passés par l’une de ces écoles. Difficile à mesurer donc, mais pour information, un récent sondage réalisé en Suisse établissait que 76 % des journalistes votaient à gauche, dont près de la moitié « très à gauche ».
La montée des médias de droite
CNews, Le JDD, Europe 1 ou Frontières : il est incontestable que l’offre médiatique croît depuis plusieurs années à droite. Pourtant, si cette offre augmente effectivement, c’est en partie parce qu’une demande la soutient. Cette demande, c’est notamment celle d’une certaine part des Français longtemps marginalisée et non-représentée dans les médias qui y trouve aujourd’hui un écho.
Ici, la thèse de la gauche est que les médias comme CNews distillent des « idées racistes » qui sont ensuite transmises dans la population qui se met à voter RN par racisme – mettons de côté l’insulte. L’idée est simple, mais fausse en pratique : en 2017, alors que le camp national ne tient aucune chaîne de télévision (CNews est encore largement moins connue et bien moins marquée à droite) et n’a derrière lui que très peu de journaux, Marine Le Pen accède au second tour en réunissant plus d’un tiers des suffrages. Le mouvement de fond ne fait d’ailleurs que se poursuivre depuis : le RN n’a jamais eu besoin des médias pour croître et a longtemps été nourri par son opposition à leur encore.
Les médias et le système : deux alibis bien pratiques
Mais pourquoi diable serait-ce la faute des médias ? Et pourquoi pas ? Il faut dire que l’excuse est bien pratique ! Elle permet notamment à la gauche et aux ennemis du camp national en général de se placer dans une posture de résistance, et ce en incriminant les milliardaires – leurs ennemis jurés – tout en évitant à tout prix de se remettre en question.
Car il faut dire que jusqu’ici, la stratégie anti-RN de la gauche est loin, très loin de porter ses fruits. En même temps, elle repose sur un paradoxe : d’un côté, il y a cette idée que « le vote RN est un vote raciste ». De l’autre, celle selon laquelle « on ne discute pas avec le racisme, on le combat ». Alors, la gauche ne parle plus aux électeurs du RN car elle ne veut pas de « racistes » dans ses rangs.
En attendant, le parti de Jordan Bardella progresse d’année en année en nombre de voix comme en proportion. Il faut croire qu’insulter les gens et ne pas leur parler est une stratégie moyennement efficace pour conquérir les voix. Leur seul espoir ? Le « front républicain », soit l’alliance avec le centre et la droite, et donc la mobilisation d’une faible majorité du corps électoral contre le premier parti du pays. Pourtant, on constate que quand on vote RN une fois, il est rare, très rare de revenir en arrière.
Le mouvement ne semble donc pas jouer en leur faveur, d’autant que la gauche a perdu une grande part de son attrait d’antan. De 44 % des voix au premier tour en 2012, elle est passée à 27 % en 2017 avant de remonter à 31 % en 2022, subissant de plein fouet la tripartisation de la vie politique. Depuis 2022, on constate d’ailleurs une hausse du Parti Socialiste et de la gauche modérée face à la stratégie marginalisante de LFI, le fameux « ne pas parler aux racistes ». En espérant sans cesse agrandir la fenêtre d’Overton par la critique du « système » et des « médias » sans jamais remettre en question le fond, la gauche radicale s’enferme petit à petit dans sa bulle idéologique : bon débarras, personne ne la pleurera.
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