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Le « trouble jeu » algérien au Niger

L’Algérie est embarrassée par le coup d’État au Niger : elle a rapidement condamné les putschistes, demandé le rétablissement de l’ordre constitutionnel et condamné par avance toute intervention militaire de la CEDEAO ou autre dans la région.

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Le « trouble jeu » algérien au Niger

L’Algérie justifie son attitude par le précédent libyen qu’illustre, dix ans après l’intervention franco-britannique, le chaos généré par une intervention militaire étrangère. Sa longue frontière avec le Mali comme avec le Niger lui fait craindre des troubles sur son flanc sud, troubles qui ne manqueraient pas de gêner fortement l’Algérie. Une guerre par procuration à la frontière algérienne ne manquerait pas de créer d’épouvantables désordres qui rappelleraient la profonde déstabilisation de la région suite à la guerre en Libye.

C’est donc entendu. Il est clair que l’Algérie est fragilisée par la crise au Niger. Non seulement il s’agit du troisième coup d’État dans une région qu’elle connait bien, mais la fonction de digue et de répartiteur jouée par le Niger en matière migratoire serait bouleversée par une intervention militaire et les conséquences migratoires pour l’Algérie, comme bien sûr pour l’Europe, pourraient être dévastatrices.

Quand Alger rit

De prime abord, l’Algérie n’a jamais été convaincue par la présence militaire de son ancien colonisateur français à sa frontière sud. Même si Paris était intervenu en 2013 pour lutter contre les djihadistes qui menaçaient la stabilité du Mali, Alger n’avait jamais vraiment accepté une intervention française dans son pré carré et ce qu’elle considère comme son arrière-cour. C’est du bout des lèvres que le Président Bouteflika avait donné son accord en 2013 pour le survol du territoire algérien par l’armée française. La coopération que Paris demandait, en raison de l’expertise algérienne, n’est jamais allée très loin, limitée à la fourniture d’eau et d’essence pour les forces de Barkhane, à l’exception d’une véritable coopération opérationnelle qui aurait pu se traduire par des échanges d’officiers de liaison. Les Français n’ont cessé de demander à l’Algérie un engagement plus fort, plus sincère, plus durable et Alger répondait invariablement que sa constitution ne lui permettait pas d’envoyer des troupes en territoire étranger. Soit, mais soyez au moins plus réactif, répliquait-on à Paris. Or, même pour cela, Alger était plus que réticent : Abdelmalek Droukdal, le chef de « Al Qaeda au Maghreb islamique » mit plus de quinze jours pour traverser du nord au sud le territoire algérien sans que l’armée algérienne réussisse à le localiser. Iyad Al Ghali, l’émir du « groupe de soutien à l’islam et aux musulmans » réussit apparemment à se déplacer librement dans cet immense territoire sans que l’armée algérienne, en dépit de nos demandes, ne parvienne à le neutraliser.

Il est clair que sur ce dossier sahélien, ce « trouble jeu » algérien n’est pas sans conséquences.

D’une part, la guerre en Ukraine et la proximité algérienne avec Moscou ont changé la donne. Moscou compte aujourd’hui ses alliés  et sans doute tout ce qui est bon pour déstabiliser un des partenaires de Kiev est à prendre. Or l’Algérie, par sa relation avec la France et par l’importante communauté algérienne en France, détient, dans le jeu poutinien, une carte majeure. En deux semaines, c’est le Président algérien Tebboune qui s’est rendu à Moscou pour une visite d’Etat au cours de laquelle il a eu des paroles pour le moins très aimables et inattendues vis-à-vis de son homologue russe, puis le Chef d’état-major de l’ANP, le général Chengriha qui l’a suivi pour une visite de travail. On pourrait très bien imaginer que les Russes aient soufflé à leurs amis algériens quelques idées perverses pour déstabiliser un peu plus le pion français. Comment expliquer sinon le communiqué d’Alger appelant, durant les émeutes de juillet 2023, Paris à protéger les ressortissants algériens… fussent-ils français et fussent-ils des émeutiers eux-mêmes ?

Les intérêts avant tout

Mais d’autre part, Alger a tout intérêt à éviter une déflagration sur son flanc sud qui pourrait déclencher une vague migratoire inédite. Certes, les migrants venant de Guinée, de Somalie, du Congo, de Côte d’Ivoire ou du Nigéria fuient ces régions pour en priorité rejoindre l’Europe et pour beaucoup la France. Mais pour cela, le Niger avec Agadez est une plaque tournante des routes migratoires et les migrants, pour atteindre la Méditerranée, doivent traverser le désert algérien. Traverser soit, mais s’installer, non. Or, un conflit armé au Niger pourrait forcer nombre de personnes à fuir coûte que coûte et rester durablement en Algérie, ce qu’Alger ne veut pas, même s’il ferme les yeux sur le travail illégal et les trafics en tous genres générés par ces derniers. Que faire de ces potentiels migrants si ce n’est leur ouvrir la porte et donc la frontière vers l’Europe ? Le risque est donc là, celui d’une vague migratoire déclenchée par un banal coup d’État au Niger et amplifiée par une intervention militaire étrangère.

On voit donc que le jeu algérien est pour le moins trouble et qu’il doit éviter à tout prix une intervention militaire étrangère qui, comme en Libye il y a dix ans, signifierait une déstabilisation durable de la région, tout en évitant de donner quitus à une action française au Sahel. En revanche, une coopération officielle avec les Américains qui ont eux aussi des bases à Niamey et Agadez et une coopération officieuse avec Moscou n’est pas pour déplaire à Alger.

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