[Édito] La politique migratoire est incompatible avec le « en même temps » macronien
Thibault de Montbrial, avocat, spécialiste des questions de sécurité intérieure et membre du comité stratégique de Livre Noir, analyse la politique migratoire d’Emmanuel Macron.
La gestion des enjeux migratoire est-elle compatible avec la godille politique du « en même temps » ? Tel est l’un des enjeux de cette rentrée 2023, où l’on attend toujours de connaître la position du gouvernement d’Elisabeth Borne sur deux questions liées : le projet de loi sur l’immigration annoncé depuis près d’un an va-t-il enfin être déposé sur le bureau de l’Assemblée Nationale ? Si oui, dans quel format ? Les deux ailes de la majorité (relative) présidentielle rivalisent de manœuvres, qui pour « muscler » (enfin, tout est relatif…) le projet, qui pour « l’équilibrer » en créant un nouveau visa de travail pour les métiers dits en tension, voire pour les plus audacieux de l’aile gauche, en régularisant les clandestins qui disposent déjà d’un emploi en France.
La fébrilité sur la question migratoire n’épargne pas le président puisque Emmanuel Macron a évoqué l’idée d’un référendum, voire d’un « préférendum » (sic) afin de prendre la température de l’opinion publique. Sauf qu’un référendum dépend par nature de la question posée et, qu’en toute hypothèse, son organisation à propos de la politique migratoire nécessiterait au préalable une réforme constitutionnelle pour adapter les termes de l’article 11 de la Constitution. Bref, suivre cette voie consacrerait le choix de l’enterrement de première classe du projet.
Quant au fond, difficile également de suivre le président, qui promeut une immigration de peuplement dans Le Figaro Magazine début août avant de se déclarer intransigeant dans un entretien au Point début septembre. Faut-il croire Docteur Emmanuel ou Mister Macron ? Cette pusillanimité autour de l’immigration explique les analyses lunaires au sortir des émeutes du début de l’été.
À en croire les principaux dirigeants de notre pays, ces explosions de violence auraient d’abord été imprévisibles. « Qui aurait pu les prévoir ? » s’est en effet interrogé sans broncher le président début juillet. Sans doute à peu près tous les professionnels de la sécurité intérieure en France, depuis les fonctionnaires du renseignement jusqu’aux policiers des Bacs en passant par de nombreux préfets ou procureurs, sans parler des journalistes ou des spécialistes d’à peu près tous les partis politiques ou de la société civile. Sans doute aussi François Hollande ou Gérard Collomb, dont certains propos tenus alors qu’ils exerçaient leurs fonctions respectives (et quelles fonctions !) sont dépourvus de toute ambiguïté. Sans doute également les auteurs de fiction de plus en plus nombreux qui ont scénarisé de tels évènements (voir par exemple le troublant Athéna sur la plateforme Netflix). Bref, sans doute à peu près tout le monde.
Ensuite, ces émeutes n’auraient « rien eu à voir » avec l’immigration puisque « seulement dix pour cent » des individus interpellés étaient étrangers. Le ministre de l’Intérieur fut chargé de cette partie de l’intox, manifestement à contrecœur. Sa désormais fameuse référence, lors d’une audition devant le Sénat, aux « Kevin et Matéo » impliqués lors de ces violences faisait fi des observations de terrain, mais surtout des listes des noms des personnes interpellées publiées par plusieurs médias. Gérald Darmanin n’est évidemment pas dupe, mais la parole n’est jamais complètement libre dans un gouvernement, et l’on comprend bien qu’il n’était pas question de révéler que la majorité des émeutiers étaient soit titulaires de la double nationalité, soit français depuis moins de deux générations.
Le communiqué grossièrement provocateur publié par le gouvernement algérien « inquiet pour ses ressortissants » (dont de nombreux binationaux) en pleine phase de razzias devrait achever de convaincre les irréductibles qui douteraient encore du lien solide entre les émeutes et l’immigration.
Il faut d’ailleurs souligner que l’acquisition de la nationalité française peut produire cet effet magique dans le débat public, qu’elle fait instantanément disparaître des statistiques l’origine de ceux qui en bénéficient. C’est la raison pour laquelle il est crucial de dire et répéter que les conditions de l’accès à la nationalité sont une partie essentielle de la politique migratoire d’un pays. À cet égard, il est incompréhensible que des individus puissent devenir français avec un casier judiciaire nourri, ce qui est par exemple impossible en Allemagne ou au Danemark.
Sans un changement drastique de politique migratoire, la France s’expose à une crise dont la violence pourrait être inédite pour notre société. Il y a urgence à quitter les atermoiements mortifères du « en même temps », et à tenir enfin le cap d’une autorité ferme et résolue.
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