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Un film sur une transgenre de Gaza déprogrammé à Bruxelles sous l’impulsion d’activistes pro-palestiniens
La Belle de Gaza, un documentaire qui explore la vie des transgenres palestiniens, a été déprogrammé de la 31e édition du Festival cinéma méditerranéen de Bruxelles (Cinemamed), suite à des pressions exercées par des activistes pro-palestiniens.
Le Festival Cinéma Méditerranéen de Bruxelles (Cinemamed) qui s’est clôturé le vendredi 6 décembre, est au cœur d’une controverse avec l’annulation de la projection du documentaire français La Belle de Gaza. Réalisé par Yolande Zauberman, ce film explore les réalités de la communauté transgenre palestinienne à Gaza, une thématique rare dans le paysage cinématographique. Cette décision a été prise sous la pression de groupes activistes pro-palestiniens, soulevant des débats sur la liberté artistique face aux tensions géopolitiques.
Un film sous le feu des critiques militantes
Signé Yolande Zauberman, La Belle de Gaza s’attaque à des thématiques rarement abordées : les réalités vécues par les femmes transgenres palestiniennes dans une région marquée par des conflits géopolitiques. La réalisatrice française capte avec sensibilité le parcours d’une femme transgenre ayant quitté la bande de Gaza pour tenter de se réinventer à Tel-Aviv. Acclamé lors de sa présentation au Festival de Cannes 2024, ce documentaire, salué pour sa sensibilité et son audace, a rapidement suscité des critiques virulentes.
Demain sort la Belle de Gaza, que j’ai eu la chance de voir, un film sur des Palestiniens et arabes israéliens qui ont fui leurs familles pour pouvoir être qui elles sont, et changer de sexe. Chose impossible en Palestine, et difficile dans les villes arabes. ⤵️ pic.twitter.com/QqNH5xeHYG
— Ari Kouts (@arikouts) May 28, 2024
Des activistes pro-palestiniens ont accusé le film de pratiquer le « pinkwashing », une stratégie perçue comme visant à redorer l’image d’Israël sur la scène internationale, à travers la promotion des droits LGBTQ+. Dans un communiqué, Cinemamed, qui se présente comme « un espace de dialogue et d’échange (…) au service de la tolérance et de l’interculturalité », a en effet expliqué que des activistes reprochaient au film de « contribuer au pinkwashing d’Israël et à la narrative coloniale génocidaire ». Bien que Cinemamed ait rejeté ces accusations, les menaces de perturbations autour de la projection, prévue au Cinéma Palace de Bruxelles et les appels à la mobilisation, ont conduit à son annulation. Les organisateurs ont expliqué avoir pris cette décision pour éviter tout trouble à l’ordre public et protéger les autres films de la programmation.
Le producteur s’indigne : « Au nom de quelle menace fantôme ? »
Bruno Nahon, producteur de La Belle de Gaza, a vivement dénoncé cette décision dans les colonnes de Télérama. Selon lui, cette annulation constitue une atteinte à la liberté artistique. « On parle d’un film 100 % français qui est allé à Cannes, qui a été projeté, accompagné dans de nombreux pays par Yolande Zauberman, et qui a donné lieu à de nombreux débats avec toutes sortes de publics. On peut ne pas être d’accord avec La Belle de Gaza ; mais en Belgique, pas plus qu’en France, on n’interdit un film tant qu’il ne contrevient pas à la loi. »
Le producteur pointe également le manque de prise de responsabilité des organisateurs face aux pressions. « S’il y avait un risque de trouble à l’ordre public, alors il fallait alerter la police. Mais qu’aurait-il pu se passer ? Au nom de quelle ‘menace fantôme’ cette projection a-t-elle été annulée ? De quoi ceux qui l’ont programmé ont-ils eu peur ? » s’interroge-t-il. Ces questions mettent en lumière la confusion et la complexité d’une décision qui, selon lui, marque un précédent inquiétant dans le rapport entre art et militantisme, dans un contexte hautement politisé.
Une œuvre à la croisée des questions de genre et de géopolitique
Avec La Belle de Gaza, Yolande Zauberman explore les identités transgenres dans une région où les luttes identitaires sont souvent invisibilisées, une perspective inédite dans le cinéma. Le documentaire, encensé pour sa profondeur et son humanité, se trouve néanmoins à l’intersection de revendications militantes opposées.
Bref, le matin après la projection, j’ai d’abord halluciné quand j’ai vu les articles de @libe et du monde « les trans en Palestine », destin « tragique » en israël. Quasi aucun rappel qu’elles seraient déjà tués en palestine, comme elles le racontent pendant tout le film pic.twitter.com/6vFdLzMR1N
— Ari Kouts (@arikouts) May 28, 2024
Yolande Zauberman, connue pour son travail sur des sujets sociaux complexes, avait choisi d’explorer la manière dont les questions de genre s’entrelacent avec le contexte géopolitique explosif du Moyen-Orient. Mais ce documentaire est devenu un point de friction entre deux univers souvent opposés : l’activisme pro-palestinien et les revendications LGBTQ+. Une dynamique explosive qui a placé Cinemamed dans une position délicate.
Une annulation controversée et ses implications
La décision de Cinemamed de retirer le documentaire divise profondément. D’un côté, certains estiment qu’il s’agissait d’un choix prudent face à des menaces réelles ou perçues. De l’autre, des voix s’élèvent pour dénoncer ce qu’elles considèrent comme une soumission aux pressions militantes, compromettant ainsi la mission culturelle du festival. « Invisibiliser les voix et les valeurs des autres films de la programmation » était un risque que Cinemamed ne voulait pas prendre, a précisé le festival dans un communiqué publié le 4 décembre.
L’une d’entre elles raconte avoir été battue au sang et projeté sur un barrage militaire israélien pour la faire passer pour une terroriste.
L’autre que sa famille est venue la kidnapper
Toutes se cachent— Ari Kouts (@arikouts) May 28, 2024
Au-delà de cette affaire, c’est une question plus large qui se pose : jusqu’où les festivals et institutions culturelles doivent-ils aller pour garantir la sérénité de leurs événements ? Cet épisode souligne la fragilité de l’art face aux influences politiques et met en lumière les défis à venir pour les créateurs et organisateurs culturels.
Un précédent inquiétant pour la liberté artistique
Cet incident met en lumière les défis croissants auxquels fait face le monde de la culture, pris entre les impératifs de liberté d’expression et les revendications militantes. L’annulation de La Belle de Gaza pourrait avoir un impact durable sur la manière dont les festivals programment des œuvres abordant des thématiques sensibles.
L’affaire rappelle que l’art ne se développe jamais dans un vide apolitique. Dans un contexte où les questions de genre, de représentation et de politique sont de plus en plus imbriquées, les créateurs et les institutions culturelles doivent naviguer avec prudence. Enfin, cet épisode souligne une vérité essentielle : l’art, par sa capacité à questionner, éclaire souvent des vérités que l’on préfère taire.
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