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Le Comte de Monte-Cristo : assiste-t-on à un renouveau de la grande adaptation littéraire au cinéma ?

Dans l’industrie du cinéma, il y a toujours de ces phénomènes sur lesquels on n’aurait pas forcément parié. Le succès du Comte de Monte-Cristo, long-métrage du tandem Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte sorti fin juin sur nos écrans, en fait partie.

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Le Comte de Monte-Cristo : assiste-t-on à un renouveau de la grande adaptation littéraire au cinéma ?

 

Voilà en effet bien des années que la production française ne pariait plus sur des films d’époque tirés des grands classiques de la littérature française, d’une durée de près de trois heures, pour remplir massivement les salles, qui plus est en plein été. À l’issue de sa onzième semaine d’exploitation, Le Comte de Monte-Cristo continue de séduire le public en dépassant les 8 millions d’entrées, faisant de l’adaptation du célèbre classique d’Alexandre Dumas le deuxième plus grand succès de l’année au box-office après la comédie d’Artus Un pt’tit truc en plus. On peut également voir dans le film une belle réussite de l’exportation de la création française, puisque Le Comte de Monte-Cristo comptabilise déjà près d’un million d’entrées en dehors du territoire national. Après les succès commerciaux en 2023 des deux volets des Trois Mousquetaires, scénarisés par les mêmes Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte, ou encore, osons le rapprochement, l’adaptation des Illusions perdues de Balzac par Xavier Giannoli en 2021, les spectateurs de cinéma nous prouvent, malgré des taux de fréquentation des salles obscures qui n’ont pas retrouvé leur taux pré-covid, un certain intérêt porté au renouveau d’un cinéma mettant à l’honneur de grandes œuvres de notre littérature. Et cet engouement pour de grands films épiques mettant en valeur notre patrimoine, littéraire, mais aussi architectural et régional, avec des tournages quasiment intégralement réalisés sur sites historiques français, est assez réjouissant.

Le Comte de Monte-Cristo signe le renouveau de l’adaptation littéraire

Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces deux dernières décennies n’ont en effet pas été marquées par un grand zèle de nos producteurs à se risquer dans des projets alliant grand spectacle populaire, patrimoine littéraire et ambitions cinématographiques. Il est vrai que ces projets impliquent un certain coût (Le Comte de Monte-Cristo est, avec ses 42,9 millions d’euros de budget, le film français le plus cher de 2024), et qu’un certain air du temps pouvait laisser penser que de longs films en costumes de trois heures ne séduiraient ni la critique, plutôt hostiles à ceux qui se prêtent à ce genre d’exercice au cinéma, ni le grand public que l’on s’imaginait peu attiré par les poussiéreuses aventures de héros romanesques. Après une décennie des années 1990 plutôt riche en adaptations d’envergure (Cyrano de Bergerac et Le Hussard sur le toit de Jean-Paul Rappeneau, La Reine Margot de Patrice Chéreau, Germinal de Claude Berri, La Gloire de mon Père et Le Château de ma mère d’Yves Robert, Madame Bovary de Claude Chabrol…), nous restions un peu sur notre faim depuis les années 2000, et dans un certain étonnement devant un cinéma français aux thèmes souvent assez stagnants qui n’osait pas piocher dans son pourtant légendaire trésor littéraire pour faire vibrer les français sur grand écran.

Bien longtemps, la production française a certainement voulu tourner la page d’une époque de l’adaptation littéraire très théâtralisée des années 1960 et 1970 où fleurissaient sur l’ORTF, sous forme de feuilletons, les aventures des héros de la littérature : Michel Strogoff, Joseph Balsamo avec Jean Marais, Arsène Lupin, Les Mohicans de Paris, Les Rois Maudits, La Dame de Montsoreau ou encore Le Comte de Monte-Cristo avec Jacques Weber, dont le réalisateur n’est autre que le père d’Alexandre de La Patellière. Ces adaptations en feuilletons, qui faisaient la part belle aux comédiens de théâtre avec une diction de circonstance à laquelle nous ne sommes plus habitués, avaient le mérite de maintenir un lien quasi quotidien entre les Français, leur littérature et leur histoire.

Le Comte de Monte-Cristo et son succès, non seulement en salles mais en librairie (les ventes du roman ayant été multipliées par dix au cours de l’été, Gallimard annonce réimprimer le chef-d’œuvre de Dumas pour satisfaire la demande) prouvent l’attachement des Français de tous les âges à ces œuvres intemporelles qui le furent hier et le seront toujours demain. Car qu’y-a-t-il de plus intemporel, surtout par les temps qui courent, que cette grande histoire d’injustice, de vengeance, de colère, de souffrance et d’espérance ? Si le cinéma peut être une porte d’entrée à une relecture ou première lecture d’un classique, personne ne devrait bouder son plaisir, n’en déplaise à quelques fâcheux au fond de la classe (toujours les mêmes ?) qui apprécient rarement ce qui est populaire, épique et qui flatte le sentiment de fierté nationale.

L’accueil de la critique

Télérama, après avoir affirmé que le romansouffre d’une mise en scène grandiloquente” finit par admettre à demi-mots son snobisme : “On reste toujours aussi dubitatifs quant à la nécessité de porter pour la trente-neuvième fois au moins le destin tragique d’Edmond Dantès – mais, au vu de l’engouement suscité à Cannes mercredi soir par la projection du film hors compétition, on semble bien les seuls”. Pour les Cahiers du cinéma, “ce Comte de Monte-Cristo fait tellement profil bas devant le texte de Dumas que celui-ci devient presque sacré” tandis que pour les Inrocks “Le Comte de Monte-Cristo prend du muscle mais peu de risques”. Et pourtant, nous ne pouvons que saluer ce risque pris par le producteur Dimitri Rassam qui, en pleine crise du covid, a lancé les trois projets de films, Les Trois Mousquetaires : d’Artagnan, Les Trois Mousquetaires : Milady et Le Comte de Monte-Cristo simultanément et avec une équipe en partie similaire.

Soyons honnêtes, ces trois films n’ont rien de parfait. Est-ce seulement possible d’adapter une œuvre aussi foisonnante que celle de Dumas, même en trois heures de temps et sans écraser le téléspectateur par les dizaines d’intrigues et de sous-intrigues parallèles qui parcourent ces romans destinés à être lus comme des feuilletons ? Ces critiques ne sont pas sans intérêt ou vérité, mais oublient la plupart du temps ce qui fait aussi l’essence du cinéma : le facteur plaisir du spectateur, en l’occurrence le plaisir à redécouvrir ou découvrir une œuvre sur grand écran, notamment pour toute une génération trop jeune pour avoir connu les dernières en date qui n’ont, du reste, pas marqué l’histoire du cinéma.

Il est heureux en tout cas de constater que la France, dont l’histoire est évidemment si inspirante pour le monde, ne se laissera peut-être plus prendre ses propres sujets sans proposer autre chose de facture plus nationale : car si nous n’adaptons pas nos œuvres, d’autres s’en chargent à notre place de manière plus ou moins heureuse. On se rappelle tous des versions à la sauce broadway des Misérables de Victor Hugo, du Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux ou pire, l’effroyable version kitsch de Cyrano par le pourtant excellent réalisateur britannique Joe Wright. Parallèlement, notre histoire n’ayant de cesse d’inspirer à l’étranger, il serait encore plus heureux de faire plus d’efforts pour devancer les anglo-saxons sur la mise en scène de notre propre histoire, après les Napoléons (Ridley Scott, 2023), Marie-Antoinette sur Netflix (2022) ou le fameux Versailles (2015-2018), production franco-canadienne intégralement tournée en anglais avec autant d’acteurs français qu’il y avait d’Anglais à Versailles du temps du Roi-Soleil.

Adaptons plus nos grands romans comme le Comte de Monte-Cristo

Soyons donc un peu plus Français dans notre audace et notre talent, mais aussi un peu plus Anglais dans notre patriotisme au cinéma ! Il est amusant en effet de constater que le Royaume-Uni, pourtant en proie aux plus grands bouleversements identitaires de son histoire, ne sait jamais plus qui elle est que lorsqu’elle se met en scène dans ses innombrables fictions, et en particulier dans ses incalculables adaptations de romans anglais qui prospèrent chaque année sur grand écran ou sur toutes les chaînes de la BBC. Il n’existe en effet outre-Manche souvent pas une décennie sans une adaptation différente d’un roman de Jane Austen, Dickens, Thomas Hardy, Forster, Elisabeth Gaskell, Conan Doyle, Agatha Christie, Shakespeare ou les sœurs Brontë. Nous manquons, en France, de ce talent de la mise en scène et de cette confiance à assumer notre histoire sans tomber automatiquement dans l’autoflagellation et la représentation des aspects les plus sombres d’une réalité. C’est sûrement ce qui fait aussi notre particularité : celle d’aimer nous concentrer sur nos zones d’ombres, à l’image de nos romanciers dont les fins heureuses ou les personnages lisses ne sont pas exactement la tasse de thé ! Et quel personnage mieux qu’Edmond Dantès pourrait représenter cette ambivalence ?

On espère en tout cas voir s’épanouir prochainement sur nos écrans, pour ne citer que les auteurs classiques, plus de Dumas (il en reste une bonne trentaine à exploiter Messieurs les réalisateurs, servez-vous !), d’Hugo, de Stendhal ou de Balzac, de Maupassant, de Zola, de Proust même s’il faut s’y casser les dents ! Visiblement, les talents techniques et artistiques nécessaires au tournage de grandes fresques épiques n’ont pas disparu en France, comme nous le montrent ces productions qui font visiblement le bonheur des spectateurs. Nous espérons que ces succès donneront envie à d’autres de nous offrir, dans les prochaines années, des spectacles aussi plaisants.

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