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Pourquoi l’école publique est-elle à la traîne ?

La guerre entre l’école publique et privée est relancée. Alors que les professeurs et le programme sont les mêmes, comment expliquer la différence de niveau entre le public et le privé ?

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Pourquoi l’école publique est-elle à la traîne ?

La nouvelle ministre de l’Éducation Nationale, Amélie Oudéa-Castera a placé ses trois fils dans une école privée. L’ancien ministre de l’Éducation Nationale, Pap Ndiaye, lui aussi, avait scolarisé ses enfants dans le privé. Lorsque ces deux affaires ont été révélées au grand public, des cris d’orfraie étaient poussés de toutes parts. Comment osent-ils, ceux qui dirigent l’école publique, ne pas faire subir à leurs enfants ce qu’ils font subir aux nôtres ? Car c’est cela, la véritable raison. Une rancœur face à l’aveu de Grenelle. Les ministres savent que s’ils souhaitent que leurs enfants réussissent, ils ont plutôt intérêt à les placer dans le privé. En effet, le taux de réussite au bac y est meilleur avec 98,2 % en moyenne, contre 93,9 % dans les lycées publics. Comment expliquer cette différence de niveau ?

La grande question du remplacement

Des professeurs absents, ce sont des élèves qui n’apprennent pas. Des professeurs absents, ce sont des élèves qui prennent du retard. Dans l’école publique, le système de remplacement repose sur le volontariat. Seuls les professeurs qui ont signé le pacte enseignant peuvent être contraints à remplacer leurs collègues. Ils s’engagent alors pour 18 heures sur l’année, rémunérées 69 euros brut. Une proposition alléchante pour les professeurs qui réclament une revalorisation de leur salaire depuis la naissance du premier syndicat. Pourtant, seuls 30 % des enseignants ont accepté à ce jour de signer le pacte. 

Pour comprendre la gestion du remplacement dans le privé, Jean-Paul Brighelli, enseignant et essayiste, prend pour Livre Noir l’exemple du lycée Stanislas à Paris : « il y a bien des remplacements, mais exercés par les parents, pourvu que les parents aient un diplôme. Lorsqu’il y a des absences, il y a bien un adulte, mais aucune garantie que l’adulte soit compétent. » À la différence de l’école publique dont l’administration est lourde et fait que « le rectorat et les ressources humaines sont incapables d’aller trouver un enseignant à droite à gauche », les établissements privés ont une capacité d’adaptation plus étendue. « Dans le privé, les gens s’organisent eux-mêmes », souscrit Roger Chudeau, député RN de Loi-et-Cher spécialisé dans la question éducative contacté par Livre Noir. Par ailleurs, la pression syndicale dans le privé est moindre sinon inexistante. « Les directeurs d’établissements peuvent plus facilement pousser les enseignants à remplacer leurs collègues. »

La pression syndicale, une tare de l’école publique

À la mise en place du pacte enseignant, les syndicats se sont précipités pour expliquer à quel point il était abominable. Mais alors, que lui reprochent-il ? Croient-ils qu’il aspirera leur âme et les entraînera directement en enfer ? Le SNES-FSU a publié sur son site « 10 raisons de refuser le pacte ». Nous invitons nos lecteurs à aller le consulter afin de mieux comprendre le « front de refus » comme aime les appeler Roger Chudeau. 

« Pour les syndicats, la doxa est simple, explique le député qui fut lui-même enseignant pendant 10 ans, : « des moyens, des moyens, des moyens ! » Or, nous avons 10 700 000 élèves, les Allemands en ont autant et les Britanniques aussi. Nous les scolarisons avec 1 300 000 professeurs, les Allemands avec 821 000 et les Britanniques avec 878 000. Nous dépensons énormément d’argent, employons énormément de monde avec des résultats inférieurs à ceux de nos voisins. » L’Allemagne et le Royaume-Uni affichaient des résultats supérieurs au classement PISA 2022. « Nous devons cela au laxisme des pouvoirs publics et à la pression syndicale, poursuit Roger Chudeau, qui veut toujours plus de profs qui travaillent toujours moins longtemps. C’est pour cela que le système est bloqué. Nous sommes très mal organisés, de manière coûteuse et lourde. Prenons l’administration académique par exemple : en France, il y a 220 000 fonctionnaires, en Allemagne, 87 000, et au Royaume-Uni, 100 000. 220 000 fonctionnaires pour 1 300 000 enseignants, cela fait un taux d’encadrement énorme et les voisins s’en sortent avec trois fois moins. »

À la décharge des syndicats, tout n’est pas uniquement leur faute, bien qu’ils rendent très difficile chaque évolution que les gouvernements successifs tentent de mettre en place. L’une des raisons de l’absentéisme des professeurs tient à des formations imposées par l’Éducation Nationale. Selon Le Monde, sur 15 millions d’heures perdues, car non-remplacées dans les collèges et lycées, 10 % seraient causées par ces formations. 

Le déterminisme social, le point clé de la différence public/privé

De nombreux paramètres sont à prendre en compte pour comprendre les différences entre l’école publique et l’école privée. Parmi eux, les élèves eux-mêmes sont un critère de réussite très important. « Si vous ne choisissez que les meilleurs élèves, vous aurez 100% de réussite, résume Jean-Paul Brighelli. Le privé recrute sur dossier. Dans les écoles très chères, si vous avez plusieurs enfants, ça coûte un bras. Des enfants qui sortent d’un milieu favorisé ont déjà des connaissances de la langue, par exemple, très supérieurs à des enfants qui sortent de milieux défavorisés. Ils ont accès à la culture, au voyage. Si vous prenez n’importe quel élève et que vous le mettez dans des conditions adéquates, vous aurez le même résultat quel que soit le niveau des parents. » « Les enfants ignares au départ, qui ne parlent pas français, vont dans le public. », estime ainsi Jean-Paul Brighelli.

La qualité de l’enseignement tient aussi dans la liberté des professeurs à enseigner. En France, 48 % des professeurs disent se censurer lorsqu’ils enseignent l’histoire en classe. Dans les Yvelines, une œuvre du XVIIe siècle, « Diane et Actéon » présentant de la nudité, avait suscité une vive polémique et conduit l’enseignante à être accusée d’islamophobie. « Dans le public, les enfants importent leur fanatisme. Dans le privé, on trie les élèves et il y n’y a pas de problèmes de ce genre. Ils arrivent sans idées reçues ni fanatisme. »

Selon la population qui occupe les différents établissements, l’Éducation Nationale s’abaisse. Jean-Paul Brighelli, qui a enseigné au Lycée (public) Thiers à Marseille, comme professeur en classes préparatoires, le détaille. « Pour sélectionner nos étudiants en prépa, on regarde surtout les établissements d’origine. On prend aussi la peine de regarder le dossier de l’élève, évidemment. À Marseille, il y a quatre lycées dont on n’a jamais pris un seul élève. Nous savons que leurs notes ne reflètent pas la réalité. À Paris, c’est pareil. On sait qu’un 12/20 à Louis Le Grand vaut un 20/20 à Paul Valéry. On a beau avoir des professeurs compétents partout, le recrutement social fait que nous sommes obligés de baisser la barre dans certains établissements. Face à quelqu’un qui ne sait pas parler français, on ne s’exprime pas de la même manière que face à quelqu’un qui a tété à l’imparfait du subjonctif. »

Le privé peut s’adapter à l’élève

Si de nombreux établissements privés nourrissent un élitisme qui ne permet pas aux personnes défavorisées de bénéficier d’un enseignement d’excellence, ce n’est pas le cas de tous. En Bretagne, un collège-primaire privé catholique hors-contrat résiste encore et toujours à l’élitisme. « Nous demandons à chaque élève d’être excellent selon ses capacités. Certains ont l’espérance de majorer à 13 et nous le féliciterons lorsqu’il les atteindra », relate le directeur adjoint de l’établissement. Le principal critère de sélection, dans ce collège qui accueil 66 élèves, est la motivation. « Il nous semble moins opportun de prendre un élève remarqué dans son dossier pour son impertinence qu’un élève remarqué pour sa persévérance ».

L’établissement hors-contrat bénéficie de libertés afin de s’adapter aux élèves et assurer le niveau d’excellence recherché. S’ils sont tenus de respecter le programme de l’Éducation Nationale, ils peuvent y apporter des aménagements. « Nous avons un délai pour garantir les acquis à la fin de la troisième, mais sommes libres de déterminer l’agenda. Si nous souhaitons faire voir aux élèves de CM2 les fonctions, nous pouvons le faire. » Par ailleurs, la force de l’établissement tient en de petites classes : « nous pouvons ainsi prendre plus de temps avec nos élèves. »

Côté public, aucune sélection n’est envisageable. C’est le principe de l’école publique : l’instruction pour tous. Cependant, aucun aménagement n’est possible non plus pour accompagner les élèves plus faibles et leur prodiguer une attention particulière.

Pour Roger Chudeau, la concentration des difficultés scolaires se trouve dans les zones prioritaires, REP +. Dans ces zones, « les enfants ne parlent pas français ou le parlent très mal. Leur démarrage dans l’enseignement est compliqué, il faut adapter l’enseignement. Il faut un enseignement du français dédié, intensif, suivi et contrôlé. » Néanmoins, la grille horaire est la même pour tous au premier degré : 10 heures de français par semaine, ni plus, ni moins. À noter que Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation Nationale, a promis d’augmenter le nombre d’heures de français.

Les REP +, un territoire abandonné de la République

La difficulté d’enseignement dans les REP + a un impact sur les moyens humains. Les enseignants n’ont pas envie d’aller enseigner là-bas. « En 2022, pour le concours du CRPE [examen diplômant pour enseigner dans le premier degré, NDLR], il y avait plus de mille places à l’académie de Versailles. Moi, j’ai passé l’examen en première session à l’académie de Rouen, je n’ai pas été retenue. Le deuxième session, je l’ai passée pour intégrer l’académie de Versailles, explique une enseignante du premier degré à Sarcelles. Lors du second examen à Versailles, les surveillants m’ont raconté que seules 400 personnes s’étaient présentées à la première session. J’étais sur liste complémentaire [l’équivalent d’une liste d’attente, NDLR]. Ils manquaient tellement de monde que tous ceux qui étaient sur liste complémentaire cette année-là ont été pris. » Pour être prise à l’académie de Rouen, l’enseignante devait obtenir une note de 17/20, pour Versailles 11/20 a suffi. D’autant qu’étant deuxième sur la liste complémentaire, nous pouvons imaginer que les autres n’ont pas obtenu 11/20, mais « sûrement plutôt 8/20 » estime l’enseignante. Il est cependant impossible de le savoir, « il faudrait connaitre la dernière personne de la liste complémentaire ».

Ainsi, alors que c’est dans ces zones que la qualité et l’attention donnée à l’enseignement devrait être les plus accrues, les professeurs refusent d’aller y enseigner. Certaines académies sont donc contraintes d’abaisser le niveau d’entrée pour recruter le personnel nécessaire et le niveau d’enseignement ne fait que baisser, pour un nombre d’enseignants toujours insuffisant par rapport aux besoins des enfants. Pour Roger Chudeau, « la situation est bloquée. Une série d’impasses ont été faites par les gouvernements successifs. Le phénomène qui conduit les jeunes étudiants à ne pas se présenter aux concours ou à démissionner après le concours dans ces académies est multifactoriel. Il faut agir sur plusieurs choses. La rémunération est à peu près bien abordée. » À la titularisation des professeurs, la rémunération atteint 2 102 € nets dans l’enseignement public et 2 466 € nets pour les professeurs qui débutent en REP +. « Puis, il y a la question de la protection et de l’autorité du personnel enseignant. Aucun texte, aucune décision, même symbolique, n’a été prise pour faire en sorte de rétablir l’autorité des professeurs. Dans certains quartiers, vous rasez les murs, ils sont hors de contrôle. Quand je suis allé en mission parlementaire à Marseille, nous sommes allés visiter une école du quartier nord. Nous avons été contrôlés par la mafia. Ils ont regardé notre plaque d’immatriculation et nous ont demandé ce que nous faisions là. La directrice de l’école me disait : « quand je rentre chez moi, que je vais à ma voiture et qu’une voiture passe à côté de moi en ralentissant, j’attends la rafale ».

 

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À lire aussi : Syndicats vs ministre de l’Éducation : un moment « extrêmement tendu »

3 commentaires

L'école, territoire perdu de la République

[…] À lire aussi : Pourquoi l’école publique est-elle à la traîne ? […]

Grève des enseignants : que demandent-ils ?

[…] Tout commence lorsque, à peine quelques jours après sa nomination, le public apprend que la ministre a placé ses enfants dans une école privée catholique : Stanislas. Dans une volonté d’apaisement mal maitrisée, la ministre a plaidé la « frustration » des remplacements mal effectués dans l’école publique. Livre Noir a eu l’occasion d’approfondir la question des remplacements, et plus largement, de la différence entre le public et le privé dans un précédent article.  […]

Jacqueline Quehen

Les choses ont bien changé en quelques décennies Jean-Paul a raison mais auparavant le privé accueillait les élèves renvoyés du public. J’ignore quelle est la liberté pédagogique accordée aux professeurs du privé. J’ai enseigné 35 ans dans le second degré ((dont 12 ans comme titulaire remplaçante) et j’avoue avoir pris beaucoup de latitude par rapport aux instructions officielles. Il y a eu tellement de reformes absurdes ! J’ai toujours enseigné l’orthographe et la grammaire comme matières autonomes, ce qui était proscrit.)
Quant aux remplacements, le statut de titulaire remplaçant aurait-il disparu ?
Je comprends les enseignants qui refusent d’alourdir leur charge de travail car d’une part celle-ci est largement minimisée généralement. Évidemment cela dépend des disciplines. En français elle est très lourde. D’autre part, il faut une souplesse certaine pour s’adapter à de nouveaux élèves, reprendre au pied levé la suite du professeur absent, Ça n’a de sens que pour des remplacements longs ( 15 jours minimum) et évidemment dans sa propre discipline. J’avoue que j’ai adoré faire des remplacements car on était la plupart du temps très bien accueilli.par les élèves en tout cas. Ce qui fait défaut souvent c’est le soutien de la hiérarchie. On connaît le fameux « pas de vagues ». La réforme Haby par ailleurs a fait beaucoup de mal. Mon meilleur souvenir est sans doute une classe de 3e d’élèves dits faibles qui ont eu par la suite de très bons résultats. Il est plus facile d’enseigner dans une classe homogène. Dans une classe hétérogène les forts restent forts, les faibles peuvent évoluer car on concentre ses efforts sur eux mais les moyens sont tirés vers le bas.
Les groupes de niveaux sont une bonne idée et permettent aux élèves de ne pas se sentir en échec dans les matières où ils ont du mal et d’être valorisés dans d’autres. Maïs évidemment tout dépend de leur motivation et de la motivation de leurs parents.
Amener toute une classe d’âge au bac était une erreur. Le bac n’a plus aucune valeur. J’ai corrigé des copies de bac français section littéraire. Certains n’écrivaient même pas un français correct. Auparavant il y avait des classes passerelles qui permettaient aux élèves en difficulté de se hisser au plus haut niveau s’ils étaient motivés.
Le gouvernement qui est si fort en communication devrait justement se pencher sur une politique de valorisation de l’effort.
Pardon pour ce propos décousu mais il y a beaucoup à faire pour renverser la vapeur notamment quant à la formation des enseignants.

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