Immigration
[Edito] Cour des Comptes : derrière la polémique, 141 pages déroutantes
Jeudi 4 janvier 2024, la Cour des Comptes publiait un rapport de 141 pages sur l’immigration illégale. Depuis, la polémique ne cesse d’enfler : pourquoi avoir publié ce rapport après la loi immigration, alors que sa publication était initialement prévue le 13 décembre ? Derrière le scandale, on décèle un rapport très inquiétant.
Le mercredi 13 décembre dernier, la Première ministre Elisabeth Borne recevait à Matignon les dirigeants des groupes LR et Renaissance au Parlement, pour discuter d’une sortie de crise concernant la loi immigration. En effet, deux jours auparavant, ce texte pourtant préparé longuement depuis deux ans, faisait l’objet d’une motion de rejet avant même sa lecture. Les députés Les Républicains ainsi que ceux du Rassemblement national ont voté cette motion proposée par le groupe EELV, jugeant le texte immigration beaucoup trop laxiste, et pas à la hauteur.
Cependant, ce jour-là, une autre actualité aurait dû logiquement animer les débats, nécessaires dans une démocratie : depuis des mois est en effet calé la date de sortie d’un rapport de la Cour des Comptes, sur « La politique de lutte contre l’immigration illégale ». Près de 141 pages et des mois de travail pour éclairer le politicien et le citoyen sur les chiffres de l’immigration clandestine, les moyens mobilisés pour y faire face, avec des détails jusqu’au policier près, et enfin son efficacité. Ces rapports sont à chaque fois attendus et éclairants, puisqu’ils permettent au législateur de tenir une position éclairée et rigoureuse d’un sujet. Exactement ce qu’il fallait pour un projet de loi aussi clivant que celui sur l’immigration.
Quand la Cour des Comptes cache la vérité sur l’immigration
En nous penchant sur la définition exacte de cette Cour des Comptes, voilà ce qu’il en ressort : « La Cour des comptes est une juridiction financière de l’ordre administratif en France, chargée principalement de contrôler la régularité des comptes publics, de l’État, des établissements publics nationaux, des entreprises publiques, de la sécurité sociale, ainsi que des organismes privés bénéficiant d’une aide de l’État ou faisant appel à la générosité du public. Elle informe le Parlement, le Gouvernement et l’opinion publique sur la régularité des comptes. » Ce n’est donc pas un simple think-tank, elle fait partie intégrante de nos institutions. La Cour des Comptes est bien connue du grand public pour publier chaque année son rapport sur les dépenses de l’Élysée, ce qui ne manque pas à chaque fois de faire polémique. Malgré cela, elle publie, en toute indépendance.
Mais voilà, ce mercredi 13 décembre 2023, aucun rapport ne figure sur le site de la Cour des Comptes. Pourtant, aucune polémique : évidement, rien n’a fuité dans la presse. Ça ne sera que plusieurs semaines après, une fois la loi votée, le 4 janvier 2024, qu’il sera enfin en ligne sur le site de l’institution de la rue Cambon.
Son président, l’ancien ministre socialiste Pierre Moscovici, en donnera une explication hasardeuse qui choque : « nous étions dans une crise politique, dans un moment où les arguments rationnels se faisaient peu entendre », dira-t-il sur LCI face au journaliste Darius Rochebin médusé. Pire, il arguera qu’au moins il a choisi de le publier : grand bien nous fasse. Merci Monsieur le président.
Depuis trois jours, la polémique enfle, le président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, a même demandé la démission de Pierre Moscovici. Tous parlent de ce rapport, mais peu l’ont lu en détail.
C’est ce que nous avons souhaité faire chez Livre Noir : analyser ces 141 pages passionnantes qui détaillent une grande partie des dysfonctionnements de la lutte contre l’immigration illégale, celle contre laquelle même le peuple de gauche souhaite lutter selon les sondages. Ces pages, nous les analyserons en plusieurs volets pour laisser une trace d’un rapport qui aurait dû paraître avant le vote.
Une gestion calamiteuse
On y apprend ainsi de graves dysfonctionnements, dont une partie aurait pu être réglées dans le projet de loi immigration. Concernant les procédures de contrôles aux frontières, certains détails sont proprement ahurissants. Ainsi, la police aux frontières ne relève que l’identité des personnes contrôlées, sans l’intégrer dans un système d’information nationale et les empreintes des personnes ne sont pas prises, en l’absence d’un cadre légal. Leurs documents d’identité ne sont pas scannés, alors qu’ils seraient utilisés dans le cadre d’une mesure d’éloignement future. Enfin, aucun croisement des fichiers de police n’est opéré pour identifier les antécédents d’une personne contrôlée, sauf cas exceptionnels dans un cadre très strict.
La Cour des Comptes nous apprend également que les services de police généralistes se désengagent de plus en plus des missions de contrôles des frontières, alors qu’ils sont mobilisés dans le cadre du plan national de sécurité renforcée : en conséquence, par exemple, sur les Alpes-Maritimes qui connaissent une très forte tension migratoire en raison de sa frontière avec l’Italie, les deux compagnies républicaines de sécurité ont été retirées.
Le manque de coordination des services et surtout de l’information semble être un point crucial à régler : ainsi, lorsqu’un illégal se voit notifier une OQTF par la préfecture, les autres ministères ne sont pas informés, telle que l’URSSAF ou les bailleurs sociaux, de sorte qu’une sans-papiers enjoint de quitter le territoire peut continuer à percevoir des aides sociales et avoir un logement, y compris s’il n’est pas expulsé.
La cartographie des lieux de contrôles, près de 160, ne serait plus à jour. Pire encore, la Cour des Comptes lance un appel face à la possibilité prochaine de ne plus pouvoir utiliser la procédure de non-admission d’une étranger, qui permet de raccompagner automatiquement un illégal à la frontière, suite à une décision de septembre 2023 de la CJCE. Pourtant, c’est cette procédure qui est la plus efficace, avec 90 000 non-admissions en 2022. Ces quelques exemples parmi bien d’autres sont une illustration de la gravité d’un problème.
Un constat d’impuissance
La Cour des Comptes dresse un véritable constat d’impuissance quant à nos capacités d’expulsion, et insiste donc sur la nécessité de renforcer les contrôles et d’anticiper un changement complet de notre politique dans le cas probable où la législation européenne nous l’imploserait.
Face à ces constats, qui reposent sur des dizaines de déplacements sur le territoire français y compris en Guyane, et à l’analyse et au croisement des donnés de l’ensemble de ces services, une dizaine de propositions non contraignantes sont formulées de la sorte :
1. Revoir la répartition des points de passage frontalier entre la police aux frontières et les douanes afin de confier à la première ceux dont le trafic des voyageurs a fortement augmenté et qui présentent des enjeux de sécurité importants.
2. Recueillir et conserver les données d’identité des étrangers interceptés lorsqu’ils franchissent irrégulièrement les frontières intérieures et extérieures, via la constitution de systèmes d’information et d’un cadre juridique adapté.
3. Sur la bande frontalière, aligner les pouvoirs d’inspection de la police aux frontières sur le cadre applicable aux douanes en matière d’inspection de véhicules.
4. Renforcer les effectifs des services chargés des étrangers en préfecture, afin d’améliorer la qualité des décisions et d’assurer la représentation systématique de l’État aux audiences devant le juge judiciaire et le juge administratif.
5. Simplifier le contentieux de l’éloignement en réduisant le nombre de procédures juridictionnelles et en les distinguant selon le degré réel d’urgence.
6. Améliorer l’urbanisation des systèmes d’information et applications utilisées pour le contrôle des frontières et le suivi des étrangers afin d’en simplifier l’utilisation et de renforcer la fiabilité des données.
7. Centraliser la procédure de délivrance de laissez-passer consulaires, sauf pour les préfectures ayant un consulat à proximité.
8. Identifier de manière systématique les obligations de quitter le territoire français prononcées pour troubles à l’ordre public et suivre l’exécution de la mesure d’éloignement.
9. Rendre le dispositif de l’aide au retour volontaire plus souple en termes de personnes éligibles, de modulation du montant et de présence requise sur le territoire national.
10. Formaliser une stratégie interministérielle de lutte contre l’immigration irrégulière, et s’assurer de sa mise en œuvre par une
instance interministérielle.
Évidemment, cette décision du président socialiste de la Cour des Comptes est un scandale et ne manquera pas d’aggraver la perte de confiance de nos citoyens dans les institutions de la République. Pour autant, cette polémique ne doit pas occulter le fond de ce rapport passionnant et instructif, qui à défaut d’être défendu par sa propre institution, doit être largement analysé, diffusé et repris.
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