Politique
Darmanin : pourquoi il ne faut pas l’enterrer trop vite
Récit sur place d’une journée mouvementée à Tourcoing.
Gérald Darmanin a-t-il échoué sa rentrée politique de Tourcoing, comme le prétendent la majeure partie des médias, ou a-t-il su poser les jalons de son émancipation pour les années à venir ?
Il faut dire qu’en rentrant de son meeting de rentrée –car c’était un meeting, sans conteste– où je m’étais rendu avec l’équipe de Livre Noir pour mieux comprendre le tonitruant et ambitieux ministre de l’Intérieur, je n’avais absolument pas le même sentiment intérieur que celui décrit quelques heures plus tard par Le Point, Le Figaro et d’autres.
Pour ces grands médias, Gérald Darmanin s’était fait humilier par la première ministre Elisabeth Borne. Il avait totalement raté sa rentrée. Et s’était presque décrédibilisé, avec un discours fade, rempli d’hésitations.
En tentant de comprendre le pourquoi de ces réactions, j’ai vite découvert les raisons profondes de ce désaveu médiatique : Gérald Darmanin en avait trop fait. Les médias attendaient une « nouvelle cuvée de redressement », à l’instar de ce qu’avaient fait Arnaud Montebourg et Benoit Hamon face à Hollande en 2014. Les jeux étaient faits : Darmanin allait défier Emmanuel Macron, au moins indirectement. Quelle ne fut pas leur déception, de facto, lorsqu’ils ont dû voir que le jeune ambitieux avait dû faire relire son discours par l’Élysée, inviter la Première ministre qu’il ne souhaitait pas voir, et ravaler ses ambitions.
Il faut dire que Darmanin a commis une erreur de communication : celle d’avoir survendu son événement. C’est bien connu : les médias lèchent, lâchent puis lynchent. L’interview à la Voix du Nord était de trop.
« Il n’allait pas s’en sortir comme cela »
Voilà ce que m’a lâché un confrère plus tard.
Ceux qui ont déjà pratiqué la politique savent à quel point le traitement médiatique peut basculer. Soit par ego, soit par mimétisme. Les journalistes se connaissent, parlent beaucoup entre eux, se rendent parfois aux événements ensemble en voiture (sauf avec les journalistes « d’extrême droite » bien sûr) : toute cette phase permet une sorte d’homogénéisation naturelle de leur pensée.
Dans le fond, toute cette histoire a d’abord révélé la difficulté pour un homme politique du bloc central de se projeter pour 2027, alors que cela est bien nécessaire, dans la mesure où Emmanuel Macron ne pourra pas se représenter.
Ceux qui pensent que Gérald Darmanin allait défier ouvertement le Président ont cru en leurs propres fantasmes : la politique a ses règles, et le jeune ambitieux du nord les connait par cœur.
Alors, où a-t-il péché ?
Darmanin a d’abord réussi un véritable coup de force en réunissant une dizaine de ministres, des élus de LR –quand dans le même temps la Première ministre est bien incapable de rassembler– et de nombreux élus locaux. Comme il le dira dans son discours, c’était un retour du débat politique, sain. Cette même politique que le président a tant voulu voir disparaître, de telle sorte que finalement, les seuls élus plutôt populaires, drôles et sympathiques de cette réunion, furent ceux issus de LR : Karl Olive et le président de la région PACA, Renaud Muselier.
Lorsqu’on se rend dans différentes rentrées politiques, on décèle bien les ambitieux, ceux qui ont une équipe, et ceux qui n’en ont pas, sans même en avoir conscience.
Ce dimanche à Tourcoing, l’ambition s’est clairement ressentie. Les éléments de langage étaient distillés chez les élus : bref, Darmanin lançait une campagne. Laquelle ? Nous verrons bien.
Si la Première ministre s’est imposée, elle a d’abord commis l’erreur de porter un discours trop violent, rigide, et symptomatique de sa fébrilité politique. Ses mots semblaient directement rédigés par le cabinet de l’Élysée, elle qui semblait découvrir son texte au premier rang quelques minutes avant.
Le ministre de l’Intérieur, lui, a commis l’erreur de montrer son agacement, sans se prêter au jeu du sourire : en écoutant Elisabeth Borne d’un côté, et Gérald Darmanin de l’autre se passer le visage dans ses mains, comme épuisé par les mots déguisés de remontrance de sa Première ministre, on se croyait véritablement de retour dans une guerre infantile. Les médias l’ont bien senti, et ont donc décrété que Darmanin avait perdu la manche. D’abord parce qu’ils ne prêtent que de peu de crédit à l’avenir de Borne.
C’était sans compter sur le temps long : en étant ainsi remis à sa place par la Première ministre d’Emmanuel Macron, sans pour autant provoquer de guerre, Darmanin a posé les jalons pour la suite. Dans quelques années, il sera le premier à nous rappeler sa rentrée de Tourcoing, expliquant qu’alors il avait tenté de faire vivre sa différence, mais que le président ne voulaient qu’une seule ligne, la sienne. Darmanin, loyal –ce que les centristes apprécient toujours, sauf Bayrou– se sera alors rappelé la nécessité de ne pas faire exploser la majorité, pour le pays.
Car c’est cela le seul sujet véritable : la majorité. Peu importe qui souhaitera reprendre le flambeau, aucun ne pourra réunir le pôle gauche et le pôle droit de la macronie. Mais personne ne veut être le premier à tout faire exploser. Ce pourquoi Darmanin a noué ce pacte si puissant avec Olivier Dussopt, ex-socialiste et ministre du Travail.
De fait, il faut bien que quelqu’un se charge de le trouver, ce créneau ! Alors que la macronie s’est constituée, comme son nom l’indique, autour d’un seul homme, le successeur d’Emmanuel Macron aura, à défaut de pouvoir rassembler le « grand centre », le devoir de trancher, de choisir où pencher. Avec son profil à la fois techno et issu de la classe moyenne, peut-être a-t-il une chance ?
On ne sort de l’ambigüité qu’à ses dépens
Si Borne avait raison sur un point, c’est que Darmanin est tenu aux résultats, alors que le ministère de l’Intérieur n’a jamais compté sur autant de moyens mais que la violence augmente. La loi immigration sera un crash test pour lui. Il devra choisir : le rassemblement, ou la cohérence.
Pour l’instant, cette loi ne cesse d’être reportée, on ne comprend pas vraiment ce qui y sera, hormis la légalisation des sans-papiers en zones tendues. Le ministre de l’Intérieur a commis une erreur à Tourcoing : celle de croire qu’il était ministre du Travail. En voulant faire oublier son portefeuille et en ne voulant parler que de social.
C’est important. Mais c’est d’abord négliger que si les classes populaires se sont tournées vers le Rassemblement National, c’est avant tout par défiance des politiques qui une fois au pouvoir parlent plus qu’ils n’agissent.
Le soir même, alors que Darmanin devait être normalement la « star », un autre homme a surgi : Gabriel Attal. Avec une première sortie au JDD puis le soir sur TF1, il a remplacé l’ambitieux de Tourcoing par une simple décision : l’interdiction de l’abaya.
En deux minutes, il semblait en avoir plus fait que le ministre de l’Intérieur en quatre ans.
Rendez-vous Dieu sait quand pour cette énième loi immigration. On vous en parlera bien entendu dans notre magazine. Rassurez-vous, nous avons sollicité le ministre pour obtenir des réponses. Sans succès pour l’instant, mais nous allons continuer à le suivre : enterrer un politique parce qu’il s’est fait couper en pièces par la presse n’est jamais une bonne chose. Gérald Darmanin peut avoir un destin. À condition de le trouver.
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