La transformation des élites : un processus aussi indispensable qu’inévitable
Responsable de la troisième circonscription du parti dans la Sarthe, Romain Lemoigne s’attaque à l’épineux sujet du remplacement des élites dans le cas d’une victoire du RN en 2027.
« Époque : Tonner contre elle. Se plaindre de ce qu’elle n’est pas poétique. L’appeler époque de transition, de décadence », raillait Flaubert. La décadence. Un terme attrape-tout qui, depuis plus de deux siècles, n’a semble-t-il pas vieilli. Elle est dans tous les esprits, y compris dans ceux des élites résignée chez qui elle exerce une forte séduction. La décadence, nationale en l’occurrence, ce grand effacement de toute une civilisation n’est pas le fait du hasard mais celui d’une élite sclérosée, immobile, pétrifiée qui conserve néanmoins le pouvoir. Il est temps qu’elle y cède sa place. Au demeurant, elle y sera nécessairement conduite par l’Histoire.
Une complaisance élitiste à la décadence : le confort de vivre « à moindre frais »
Ortega y Gasset, éminent philosophe espagnol du XXᵉ siècle, confiait : « Les époques de décadence sont les époques durant lesquelles la minorité dirigeante d’un peuple — l’aristocratie — a perdu ses qualités d’excellence, qui précisément lui avaient permis d’occuper ce rang. » (España invertebrada, 1921). La décadence n’est pas un phénomène « naturel », livré au sort du hasard, mais social, temporel. De fait, elle est la résultante de mauvais choix politiques. Héritiers des Grecs, les Romains en avaient bien conscience. Dès les prémices du régime, les élites romaines percevaient des signes de décadence qu’elles s’évertuaient donc à contrer. Nombreux sont les historiens qui postulent que c’est, précisément, parce que Rome a cultivé très tôt cette obsession de la décadence qu’elle en est longtemps restée éloignée.
À l’inverse, notre époque est celle d’une élite qui se complaît à chuter. Dans les rangs macronistes, le fatalisme (l’idée que la France ne peut plus exister « seule ») comme la pensée de la chute (qu’elle doit disparaître dans l’UE) fascinent. Tomber semble plaire, se relever beaucoup moins. Des décadents dans la décadence. Une partie de l’élite se délecte à répéter que nous sommes décadents non pour y remédier mais pour exister à moindre frais – quitte à y délaisser notre souveraineté. Pour les macronistes et leurs alliés, nous serions « trop petits » pour continuer à exister entre Français. Ceux-là n’ont pas compris la puissance : par son génie universel, la France a longtemps inspiré le monde en dépit de sa superficie « limitée ». En réalité, la prétendue « petite taille » de notre pays n’est qu’un prétexte pour ne plus agir et se départir de toute responsabilité.
Pour reprendre les mots d’Ivan Krastev dans Le Destin de l’Europe (2017) : « Les élites aristocratiques traditionnelles avaient des devoirs et des responsabilités » alors que « les nouvelles sont formées pour gouverner mais sont tout sauf prêtes au sacrifice ». Toutes, ou presque, admettent volontiers que le pouvoir d’agir n’est plus là mais ailleurs : dans des niveaux infra– : les forces du marché, – et supra– : les organisations internationales confiscatoires de souveraineté. Toutes, ou presque, louent la « société ouverte » (de Karl Poppers) pour ne plus avoir à défendre les leurs. Toutes ou presque, sont formées à des exercices en apparence sophistiqués mais qui n’ont, bien souvent, aucun lien avec la réalité. Toutes ou presque, prétendent agir au service du pays par un flot innombrable d’actions et de réglementations, alors qu’il ne s’agit que de prestidigitation.
Tocqueville avait prévenu dans L’Ancien Régime et la Révolution (1856) que les signes les plus caractéristiques de l’effondrement d’une classe dirigeante sont, précisément, sa fermeture, son arrogance et son inutilité sociale. Plus une classe dirigeante devient inutile, moins elle assume ses responsabilités, plus elle rappelle son rang, se réifie et se durcit — quitte à se fermer à toute contradiction possible. C’est ce paradoxe qui, à travers les âges, précipite la chute des élites lorsqu’elles deviennent vaniteuses et empêchent la mobilité sociale. À chaque période d’affaissement national, une nouvelle élite émerge pour se substituer à celle en place. Un processus aussi indispensable qu’inévitable. Un processus qui pourrait bien, à terme, concerner « l’élite » macroniste : mondialiste et antinationale. Chaque jour témoigne de son impéritie crasse.
Un renouvellement des élites inéluctable : la « loi de l’anacyclose »
Dans une formule qui fera date, l’auteur italien Vilfredo Pareto a dit : « L’histoire est un cimetière d’aristocraties ». Pour lui, il y a, dans l’élite, les renards qui gouvernent par la ruse et les lions qui dominent par la hargne ; lors de son avènement une élite est majoritairement composée de ces « lions », c’est-à-dire de gens qui ont les compétences et l’envie résolue de servir ; puis, au fur et à mesure des époques, cette élite vieillit, perd de sa superbe et de son énergie, campe sur ses paradigmes établis, quand bien même ils s’avèrent tous inefficients : les « renards » ont pris place. Et Pareto d’en conclure : « Toute élite qui n’est pas prête à livrer bataille [est] en pleine décadence, il ne lui reste plus qu’à laisser sa place à une autre élite ayant les qualités viriles qui lui manquent » (Les Systèmes socialistes, 1902).
Toute élite qui s’installe dans la sclérose est vouée à être remplacée par une autre, faite de « lions » – la première ne remplissant plus son rôle. C’est une constante historique, ce que d’aucuns appellent la « loi de l’anacyclose » : avec le temps, une nouvelle élite en puissance se forme au sein de la masse, prête à détrôner celle entrée en décadence. Un phénomène d’autant plus nécessaire qu’une élite décadente est dangereuse. Bloch, dans L’Étrange Défaite (1946), l’avait bien expliqué : lorsqu’une élite devient immobile, inactive et plonge dans le déni de réalité, elle se rend co-responsable des grands chamboulements du monde ; l’auteur disant au sujet du second conflit mondial que : « Jusqu’au bout, [cette] guerre aura été une guerre de vieilles gens ou de forts en thèmes, engoncés dans les erreurs d’une histoire comprise à rebours […]. L’histoire appartient à ceux qui aiment le neuf ».
L’Histoire appartient à ceux qui aiment le sang neuf. Tout est dit. Le temps est venu de pousser une nouvelle élite, issue du peuple, aux quatre coins du pays.
Le besoin urgent d’une révolution cosmologique
Tout pousse à croire que la fin est proche. La décadence nationale préside à tous les domaines. Et pourtant, quel autre pays que la France pour se relever d’un déclin sans pareille ? Après tout, qu’est-ce que la France sinon cette vieille Nation « accablée d’Histoire, meurtrie de guerres et de révolutions, allant et venant sans relâche, mais redressée, de siècle en siècle, par le génie du renouveau » (Général de Gaulle, Mémoires de Guerre) ? Tous les sursauts français dans l’Histoire tiennent à une chose : la croyance résolue qu’ils sont possibles. De Gaulle admettait que l’on gouverne ce pays métaphysique, la France, par une certaine idée de la puissance. Il savait mieux que quiconque qu’un rêve français, surtout quand il apparaît impossible, est en fait souvent prophétique.
Toutes les grandes périodes de décadence ont été scellées par ce vitalisme, fédérateur, celui de nouvelles élites issues du peuple. Le vitalisme, celui pour qui nous ne sommes pas seulement des « corps chimiques », sans fond si sans âme, mais des Français dotés d’une étoffe particulière, d’une prétention à la grandeur comme à des lendemains meilleurs. Le vitalisme, positif, comme ode à l’optimisme, l’ode visionnaire d’un Général de Gaulle confiant à une poignée de camarades en plein Blitzkrieg à Londres : « moi je n’ai aucun mérite, car je sais que nous allons gagner ». Nous avons besoin de cet optimisme révolutionnaire.
Il est temps d’entamer notre révolution cosmologique, en initiant un nouveau cycle d’élites, d’élites déterminées, de « lionnes » qui réaxent la Nation sur l’essentiel, réactivent les principes de départ et l’importance du bien commun. Une nouvelle classe dirigeante, qui réintroduise dans la conduite des affaires publiques le bon sens et la décence des gens « ordinaires ». Dans une magistrale étude, le colonel Michel Goya a démontré que la Grande Guerre n’aurait jamais été gagnée si le haut état-major n’avait été contraint de laisser les initiatives de la « base » remonter. Le peuple est – et restera — la force motrice du redressement du pays.
Ce projet de transformation des élites n’est pas « dégagiste » mais réformiste : il est à l’évidence possible de redorer le caractère de nos élites par une formation renouvelée et la diffusion plus large d’une idée positive de la Nation. Ce projet, c’est assurément celui que porte le Rassemblement national autour de Marine Le Pen et de Jordan Bardella ; le seul parti à reconnaître que la France ne se gouverne ni à droite, ni à gauche, encore moins dans une synthèse centriste liquide, mais par une haute idée de la politique et de la conscience nationale. Par l’envie de servir. Et par l’appui d’une élite qui, chaque jour et s’il le faut chaque nuit, se lève avec la croyance résolue que redresser la France, c’est possible.
Nous le ferons. Tenez-bon, nous arrivons.
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